Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/209

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barre et se balança, suspendu par les pattes et criant avec véhémence :

— Hawa… Maudit soit ton père !… Maudit soit ton père !… Tozz… Tozz…

L’esclave haussa les épaules :

— Mon père… mon père… Ah ! Bagba, est-ce que je sais qui est mon père ?

Elle alla chercher dans un coin deux paquets soigneusement enveloppés et les ouvrit. L’un contenait des bouts d’étoffes de toutes sortes, rarement plus larges que la main, l’autre une gallabieh roulée, aux couleurs éclatantes. Elle la prit en main, la déplia, la considéra longuement d’un air attendri. Durant quelques minutes, elle ne répondit pas aux facéties de Bagba.

Hawa n’était pas jeune, elle n’avait jamais été jolie, toutefois elle était coquette. Elle mettait de la complaisance dans les soins qu’elle apportait à sa personne et s’était façonné une image idéale d’elle-même, une sorte de double qui réalisait tous ses vœux. C’était la joie de ses siestes et de ses nuits de songer à cet autre elle-même qui ne se distinguait que par des séductions plus évidentes et plus nombreuses. Elle l’entourait de tout ce qui pour elle était inaccessible, des robes les plus riches, des bijoux les plus précieux. Cependant, partout ailleurs que sur sa natte, elle se gardait bien d’évoquer ces folies. S’il advenait qu’admirant les atours de ses dames elle souhaitât d’en avoir de semblables, vite, elle chassait de la main sa vilaine pensée et se morigénait d’un air mi-grave, mi-amusé : « Voyons, Hawa, voyons, je vais