Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/211

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Goha sort, il ne rentre plus. — C’est un enfant, ajouta-t-elle en hochant la tête… Je suis tombée dans les mains d’un enfant.

Elle esquissa un geste d’impuissance et sa physionomie prit une expression consternée. Ses yeux jaunes allaient des paquets à l’encoignure de la chambre. Elle hésitait, ne sachant si elle devait se livrer aux méditations tristes qui convenaient à sa situation ou s’abandonner à ses instincts de coquetterie. Elle prit une aiguille et soupira

— Est-ce que je pouvais savoir ?

Bientôt absorbée par son travail, elle oublia ses raisons de souffrir. La gallabieh presque achevée réalisait pleinement son idéal. Fredonnant une chanson nègre, Hawa bâtit une frange de soie jaune autour de la manche droite pour faire pendant à la frange d’argent déjà fixée à l’autre manche. Elle s’interrompit afin de contempler le corsage de satin bleu clair que rehaussaient à l’endroit des seins, deux petites appliques de velours émeraude, brodées de fils d’or. C’étaient les principaux ornements du costume. De l’échancrure bordée d’un cordon de soie, provenant d’une vieille tenture, partaient deux bandes de brocart cramoisi qui s’arrêtaient aux genoux. Quoiqu’elle jugeât le haut de sa tunique trop simple, Hawa résolut de n’y apporter aucune modification. D’ailleurs, à partir de la ceinture, les richesses de coloris s’accumulaient. Jusqu’à mi-jambe, la robe simulait un damier éclatant. Des bouts d’étoffes y voisinaient suivant un effort de symétrie ; mais, si le vert faisait bien face au vert, le rose au rose,