Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/251

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La ville était bleue ; les minarets montraient les étoiles comme des doigts.

— Sidi, que ta nuit soit bénie…

— Que ta nuit soit bénie…

— Asseyons-nous… On pourrait nous voir de la rue… J’ai pensé à toi, ma pensée t’a suivi partout… J’ai fait mettre une natte… Regarde…

Ils s’étendirent sur la natte. Goha se serra contre la jeune femme, l’étreignit avec une joie violente, inquiète et se cacha la face dans la poitrine drapée de soie, comme pour pleurer. Nour-el-Eïn en fut surprise.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-elle, curieuse.

Rien ne subsistait dans ses manières, dans sa voix, de la colère qui l’avait agitée jusqu’au moment de monter sur la terrasse. Elle reprit avec douceur :

— Tu es triste… Tu ne veux pas me voir ?

Il releva la tête

— Tu ne veux pas me voir ?

— Je veux te voir… Oui… Oui… laisse-moi te voir.

Il la regarda longuement, en silence. Ses cheveux étaient follement ébouriffés. Il éprouva le besoin d’y plonger les mains, de se griser de leur mouvement, de leur désordre, puis de courir sur la terrasse en criant à tue-tête. Sa fièvre tomba lorsqu’il s’aperçut que Nour-el-Eïn était immobile. Il contempla son visage. Le dessin en était d’une pureté telle qu’il se sentit angoissé. Une ride, une imperfection l’eût soulagé. Il essaya de s’en détacher, mais n’y parvint pas. Son regard était