Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/254

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— Mais, tu es fou ? Je ne suis pas sortie de la journée… C’est ma pensée qui t’a suivi.

Il ne perdit pas son assurance, donnant d’instinct une explication à tout :

— Ta pensée ? Eh bien… oui… ta pensée. Dis-moi… Comment est-elle ta pensée qui m’a suivi ?

— Mais je ne l’ai jamais vue, s’écria Nour-el-Eïn, riant malgré l’inquiétude qu’elle éprouvait à ces questions étranges, la pensée c’est de l’air. Est-ce que tu sais comment elle est, toi ?

Il lui fit un petit signe mystérieux, et, à voix basse, il lui confia :

— Elle est grise, ta pensée… Elle est grise…

Cette révélation impressionna Nour-el-Eïn. Devait-elle traiter son amant de fou et rire de ses paroles ?… La physionomie de Goha avec ses lèvres entr’ouvertes, ses prunelles dilatées était celle d’un mystique et Nour-el-Eïn comprit qu’il était le détenteur d’un secret merveilleux. Craintive, elle balbutia :

— Comment sais-tu cela ?

— Je l’ai vue, répliqua-t-il dans un murmure.

Il était, lui aussi, impressionné par ce qu’il venait de dire. Depuis qu’il avait remarqué que les êtres ont une ombre qui les suit en tous lieux et que cette ombre est grise, il n’avait fait part à personne de sa découverte. Mais tout cela s’était brouillé dans son esprit. Cette nuit, il voulait faire revivre ces souvenirs pour Nour-el-Eïn, l’initier à ce mystère. Il se rappela l’ombre qui si longtemps l’avait accompagné. D’où venait-elle ? À qui appartenait-elle ? Il chercha une image, un