Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/35

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comprendre que sa formule abrégée avait perdu sa vertu magique et que Mahomet était mécontent. Il se souvint de la phrase complète et, avec véhé̃mence, s’écria :

— Envoie vers moi ceux qui ont faim !

Aussitôt, dans un bruissement d’ailes, une ombre immense glissa sur sa tête : le quartier de mouton dans les serres un épervier remontait vers le ciel. Le plateau roula sur le sol, les boulettes s’écrasèrent dans la boue. Goha ne se troubla pas et ce fut d’une voix douce qu’il fit remarquer au Prophète sa méprise :

— Tu t’es trompé, Nabi, je te demandais un client.

— De quoi te plains-tu ? Tu demandais un client, il t’est venu du ciel, dit le vendeur de friture avec un gros éclat de rire.

Puis ce fut le tour du porteur d’eau :

— Tu demandais ceux qui ont faim, l’épervier avait faim.

Goha au milieu du désastre les remerciait de tant de sollicitude et le porteur d’eau, pour marquer l’étrangeté de sa pensée, fit claquer ses mains :

— Allah lui-même s’est moqué de Goha ! s’exclama-t-il.

Quant à Cheik-el-Zaki, il dit à son compagnon :

— Comment les hommes se comprendraient-ils, quand un tel malentendu peut se produire entre la créature et le Dieu qui l’a créée…