Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/371

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« Je vais déposer mes babouches sur le seuil, pensa-t-il, et je vais entrer… Je ne ferai pas de bruit pour ne pas distraire ces grands cheiks, ces anges et Allah… Dans un coin, je trouverai une dalle inoccupée… Je m’allongerai sur le dos et ce sera pour toujours… »

Bien qu’il allât vers le bonheur, des larmes emplirent ses yeux. Il songeait aux frères mortels qu’il laissait derrière lui et il eut la vision de colonnes humaines emportées dans un ouragan de démence, se brisant les unes contre les autres… « Je me suis retiré d’eux et ils continuent, pensa-t-il… Ce n’est donc pas à moi qu’ils en voulaient… »

Pieusement, jusqu’à terre, Goha salua le Paradis et en franchit le seuil.

Aussitôt une voix indignée s’éleva :

— Quel est ce chien qui vient d’entrer ?

Et sur les poignets de Goha des doigts s’agrippèrent. Il poussa un rugissement. Il lui sembla que le sol avait cédé sous ses pas. Où était-il ? Dans quel piège infernal venait-il de tomber ?

— Alors, fils de vipère, tu as tué ton enfant !…

Un homme jaune, aux paupières saignantes, aux muscles d’acier, lui tordait les bras. Les fumeurs que le haschich n’avait pas tout à fait abrutis suivaient la scène d’un œil bête et s’efforçaient de comprendre.

— Tu l’as conçue dans le péché, tu l’as tuée dans le péché, reprit l’homme qui était un client de Hawa… Je le voyais à ta face que tu avais un cœur pétri dans le crottin… Mes frères, dit-il en se tournant vers les fumeurs sans desserrer son