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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

vous enveloppe… Il est comme une chose lointaine, la rumeur confuse des étendues. Plus que le silence total, il plonge la pensée dans un sentiment funèbre. On se retourne, et c’est un petit point obscur, qui vibre et sillonne l’espace. Dans cette parcelle de mystère s’est ramassé le dernier soubresaut des vies éparses, en elle se concentre tout le mouvement de l’univers.

On regarde mieux… Et, sublime immensité des petites choses, présence du tout dans un corps minime… l’émotion puissante a possédé nos cœurs avec le bourdonnement d’un insecte qui vole.

Goha s’était endormi à l’ombre d’un pan de mur. Il sommeillait encore lorsque apparut la caravane nuptiale. En tête du cortège, dans une charrette, des musiciennes, de leurs mains teintes, choquaient des cymbales ou agitaient des tambourins. Des chameaux chargés de clochettes portaient les femmes. Au centre, deux dromadaires blancs, ornés de miroirs, de colliers étincelants, le naseau percé d’un anneau de corail, balançaient un vaste palanquin entièrement recouvert d’étoffes précieuses. Sur les coussins, au fond du véhicule, Nour-el-Eïn, reine isolée du cortège, drapée d’un voile pesant, lamé d’or, penchait la tête.

Des équilibristes, des acrobates égayaient de leurs tours les assistants. Par intervalles, d’un chœur de femmes, montait la zaglouta, ce cri à la fois strident et chevrotant qui simule un vertigineux appel de cloches, et va s’éteindre au seuil du septième ciel.