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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/158

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ASCETISME

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lorinus, au moment de sa conversion, écrit : Volehant eum omnes intro rapere in cor suiim ; et rapiebant amando et gaudendo. Hae rapientium manits erant (Conf., VIII, 2). Si tout amour a cette force, quelle vertu transformante n’aura donc pas cet amour, le plus vrai et le plus pur des amours, qui, très ardemment et très suavement, nous unit à Dieu comme au meilleur des pères.

Dieu d’ailleurs, en même temps que nous tâchons de le saisir, s’unit lui-même à notre âme. Par son Esprit saint il verse dans nos cœurs sa divine charité et les trésors de sa grâce. Cette grâce répandue en nous n’est pas autre chose que la ressemblance parfaite de Dieu, don qui surpasse tous les dons, qui contient d’une manière admirable Dieu lui-même, qui l’unit à l’àme humaine, imprègne cette âme de la divine beauté et la rend participante de la nature divine. De toute éternité le Père engendre le Fils, d’une nature semblable à la sienne, digne par conséquent de son amour infini ; Dieu ne communique pas sans doute à l’homme, par voie de génération, sa nature divine, mais il lui donne sa grâce ; sa grâce qui tend à le diviniser, qui en fait un fils bien-aimé, digne d’un amour très grand et capable de s’unir à son Père par une véritable amitié. La grâce nous rend aimal>les à Dieu ; grandit-elle, son amour pour nous grandit.

Elle ne se contente pas de créer en nous une ressemblance divine, elle nous excite, elle nous aide à produire des actes qui augmentent cette auguste similitude. Peu à peu l’àme, en s’unissant à Dieu plus intimement, se nourrit et se fortifie de sa vie divine et de ses perfections divines comme d’un céleste aliment ; peu à peu elle se vide de tout bien, de tout amoiu" créé, et, pour ainsi parler, de sa propre vie, elle se laisse remplir de Dieu seul, elle est comme transformée en lui, et peut en toute vérité s’écrier avec l’Apôtre : Vivo, jam non ego, vivit vero in me Christus (Galat., ii, 20).

C’est donc la charité qui seule, nous unissant véritablement à Dieu, nous aide à atteindre notre perfection, et dès lors l’ascétisme ne devra pas avoir d’autre but que de la faire naître et grandir en nous. Dans un traité complet, il faudrait étudier les différents actes de cette charité et ses rapports a^ec les autres vertus, qu’elle renferme et vivifie ; ce que nous venons de dire suflit à bien déterminer la nature de l’ascétisme chrétien, méconnue par tant de nos contemporains. On peut le définir : l’ensemble des moyens qui nous aident à nous unir à Dieu dans et par la charité.

Raison d’être de l’ascétisme chrétien. — i. — Il suffit pour en voir l’utilité et la nécessité d’étudier un .nstant la nature humaine. Un fait s’impose, que nous avons déjà signalé : la guerre existe entre le corps et l’àme (Galat., v, 17), entre les appétits et la raison et il nous faut lutter pour rétablir l’ordre. Chrétiens, nous disons que cette lutte défensive et offensive contre ce que saint Jean appelle la triple concupiscence — concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum et superbia’itae, I Joan., ii, 16 — est la conséquence du péché originel (Sum. tlieol., 2^2", q. 85). Par suite du péché d’Adam, la volonté n’est plus maîtresse des sens, elle n’est plus maîtresse des facultés sensibles de l’àme. Dès lors, comme c’est par la volonté et par la raison que nous devons nous unir à Dieu dans la charité, il faudra lutter pour permettre à ces deux bras de l’àme de se débarrasser des liens qui les enlacent, et de saisir Dieu qu’ils doivent étreindre : l’ascétisme devra combattre tout ce qui, en nous et hors de nous, serait un obstacle à cette étreinte, à notre perfection.

2. — Il peut arriver et il arrive souvent que la déchéance de notre nature, la révolte originelle de la concupiscence, s’augmente par nos fautes et les habitudes vicieuses qui sont la conséquence de leurs répétitions. La lutte en devient plus nécessaire et plus dure.

3. — Notre-Scigneur ne nous a pas d’ailleurs caché la nécessité de l’abnégation, du renoncement et delà mortification : Si quis vult venire post me, abneget semetipsum, et tollat crucem suam et sequatur me. Qui enim voluerit animam suam salvam f’acere, perdet eam ; qui autem perdiderit animam suam propter me, invenieteam (Matth., xvi, 26, 25). Ces paroles empruntent à la circonstance où elles furent prononcées une gravité exceptionnelle. Jésus-Christ venait de parler à ses disciples de sa passion ; il semble donc qu’il ait voulu leur laisser entendre que, de même que sa mort était nécessaire au salut du monde, ainsi la mortification était nécessaire au salut de chaque homme ; par elle seule, il peut mourir à lui-même et Aivre pour Dieu. La similitude évidemment n’est pas rigoureuse, et il ne faut pas presser la comparaison, elle serait fausse ; il semblait bon toutefois de rappeler l’occasion oii furent prononcées les paroles de Notre-Seigneur. Saint Paul est tout aussi pressant : Qui autem sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cumvitiis etconcupiscentiis(Ga.at., v, 24), etdansl’épître aux Colossiens (ni, 5) : Mortifîcateergomembra vestra quae sunt super terram.

4. — L’ascétisme est nécessaire à notre perfection individuelle, il est nécessaire aux autres hommes, à l’Eglise universelle, au genre humain tout entier, et il a dès lors un rôle social. Ce n’est pas ici le lieu de démontrer la valeur satisfactoire, et pour nous-mêmes et pour les autres, du renoncement et de la mortification, ni d’établir, contre la théologie protestante, la doctrine de l’Eglise catholique. Notre-Seigneur, en clouant avec lui, sur la croix, l’acte de notre damnation, l’a détruit entièrement, et, par son sang, apaisant la colère divine, il nous a réconciliés avec Dieu. Nous aussi selon l’exemple et la doctrine de saint Paul (Col. 1, 24). achevant ce qui manque aux souffrances du Christ dans notre propre chair, nous mortifions nos membres pour apaiser la colère divine et détourner la vengeance du Tout-Puissant. Tel est surtout le but des ordres contemplatifs, si glorieux et si méconnus de nos jours ; par leurs prières et leurs mortifications ils sauvent les âmes et réconcilient la terre avec le ciel. Les apôtres qui travaillent à la conversion des pécheurs savent bien aussi que la souffrance et le sacrifice donnent seuls à leurs traaux une surnaturelle fécondité. In cruce salus, la croix sauve toujours le monde.

5. — Il est une autre raison d’être de l’ascétisme chrétien, trop belle pour ne pas en parler. Tota vita Christi fuit crux et martyrium : et tu tibi quaeris requiem et gaudium {De /mit., 1. II, c. 12,’]). Jésus-Christ a souffert par amour pour moi, je veux souffrir par amour pour lui ; j’aime mon Dieu et je veux être traité comme lui ; il a porté sa croix, je veux porter la mienne. C’est ici une affaire de cœur, et non plus de raison ; mais il n’est pourtant pas besoin d’être chrétien poiir la comprendre. « J’aime la pauvreté parce que Jésus-Christ l’a aimée… y> « Voilà de ces accents, écrit Sante-Beuve, — et ils sont de Pascal, — qu’il faut opposer pour toute réponse à ceux qui demandent au sortir de Montaigne, à quoi bon l’assiette de terre et la cuiller de bois. » {Histoire de Port-Royal, t. II, p. 504, édit. de 1860.)

En répondant aux objections contre l’ascétisme, nous rendrons mieux compte encore de sa raison d’être et de sa nécessité.