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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/159

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ASCETISME

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Degrés de l’ascétisme chrétien. — Saint Thomas et les auteurs ascétiques distinguent trois degrés dans la charité, et dès lors il doit y avoir trois degrés dans l’ascétisme : le degré de ceux qui commencent, le degré de ceux qui sont plus avancés, le degré des parfaits.

Dès qu’il est en état de grâce, l’homme entre dans le premier degré. Il bouillonne encore de passions, il se sent entraîné vers ses fautes anciennes : la charité brûle son âme, il voudrait être tout à Dieu, mais ses habitudes mauvaises, ses passions indomptées exposent cette charité à mille périls et ne peuvent lui donner la sécurité de la paix. Il faut donc dompter les rébellions du corps, fuir les occasions des fautes, arracher la racine de tous les vices et pour cela lutter Aigoureusement. Quand la victoire sera devenue facile, quand le péril de pécher mortellement sera presque éloigné tout à fait, quand l’ascète n’aura presque iilus, pour ainsi dire, aucun besoin de combattre pour conserver la charité, il entrera dans le second degré.

Il s’agit alors pour lui de donner à la charité un plus grand éclat, ainsi qu’aux autres vertus qui l’accompagnent. La lutte existe toujours, il faut chasser de l’àme par une énergie et un labeur constants les passions mauvaises, les inclinations vicieuses, fuir les péchés véniels, se détacher des biens temporels et de l’impressionnabilité qui troul)lent la paix. L’ascète y i^arviendra par l’exercice des vertus morales, qu’il devra s’efforcer d’acquérir au prix des plus grands efforts. Il devra aussi travailler à connaître tout ce qui regarde la pratique de la charité, et c’est une longue étude, elle ne peut se faire sans de multiples soucis et de continuelles distractions do l’âme : soucis et distractions qui s’accordent mal avec la paix et le calme du troisième degré. Il faudra donc à celui qui combat dans ce second degré de longues luttes pour parvenir à l’état de calme qui lui permettra de s’unir â Dieu et de travailler pour lui, sans trouble et dans la paix.

L’ascète entre alors dans le troisième degré : les passions sont vaincues, l’âme, détachée de la terre, vide des désirs du monde, possède tout ce qui lui est nécessaire pour atteindre pleinement sa lin ; tout à Dieu, tout à son amour, elle se plonge en lui par une contemplation presque continuelle, ou bien elle se dépense et souffre pour sa gloire. C’est là le véritable état de perfection, et les deux autres degrés ne i)euvent être appelés degrés de perfection que parce (ju’ils sont le chemin qui conduit à ce troisième (Siim. tlieal., 2^ 2^% q. 184. a. 5, ad i.)

Ces trois degrés de perfection s( » nt encore appelés voie purgative, voie illuminative, voie unitive. Ce n’est pas seulement la nature des choses qui nous les fait connaître, saint Paul les indique nettement (E[)hes., 111, 14-nj) ; Denys fait reposer toute sa doctrine sur cette triple forme de la vie spirituelle ; saint Grégoire de Nysse (fn Cantic, homil. i) rattache la voie purgative aux Proverbes, la voie illuminative à l’Ecclésiaste, la voie unitive au Cantique des Cantiques ; saint Grégoire le Grand admet cette même distinction {Moral., 1. 2/4, c. 11), et depuis saint Tliomas (Sitm. t/ipol., 2 » 2^’, cj. 2/ », a. g) elle est commune à tous les théologiens et à tous les auteurs ascétiques.

Il est bien évident que ces trois degrés de perfection, que ces trois vies ne sont pas entièrement isolées les unes des autres et connue séparées par des cloisons ctanclies. Ceux (jui commencent peuvent avoir leurs UKuncnts de paix relative, et de victoire facile ; pour ceux qui sont dans le second degré, il est des retours de passion brusc[ues et si impétueux qu’ils nécessitent toutes les énergies de la vertu ; on

pourrait croire que toutes les luttes anciennes sont à recommencer ; même pour les âmes plus intimement, unies à Dieu, la vertu n’offre pas toujours la même facilité, il faut combattre et parfois bien durement. L’ascète ne devra jamais l’oublier, et, à certaines heures, il lui faudra reprendre les armes qu’il avait crues inutiles à jamais, et recommencer les luttes d’autrefois.

Pratiques de l’ascétisme chrétien. — Il serait très curieux et très intéressant de traiter cette question historiquement, d’étudier dans leur germe, c’est-à-dire dans le Nouveau Testament, les diverses praticjues de l’ascétisme chrétien. Les conseils de Xotre-Seigneur à tous les chrétiens : vigilance à exercer, Matt., XXIV, 49 ; XXV, 13 ; xxvi, 40 ; Marc., xui, 33 ; XIV, 38 ; renoncement, Matt., x, 3^ sqq. ; xvi, 2^, 26 ; Marc, viii, 34 ; Luc, xiv, 26, 2’j ; Joan, xii, 26 ; jeûne, Matt., ix, 14, 10 ; xvii, 21 ; Marc, ix, 28 : à ceux cjui veulent le suivre de plus près : renoncement aux biens de la terre. Malt., xx, 21, 27 ; Marc, x, 28, 30 ; Luc, IX, 59, 62 ; XIV, 33 ; virginité perpétuelle, Matt., XIX, 12 ; — les recommandations de saint Paul qui rappellent et précisent celles du divin Maître, I Cor., XVI, 13 ; Rom., vii, 23, 25 ; xiii, 14 ; I Tim., iv, 7, 8 ; I Cor., vii, 27-40, nous donnent les éléments essentiels de cette pratique de l’ascétisme. Les Pères de l’Eglise, et les premiers auteurs chrétiens, saint Justin (Apol., 1, c. 15, P. G., t. VI, col. 350 ; Clément d’Alexandrie, Strom., 1. III, c. i, P. G., t. VIII, col. 1198. Origène, In Jeremiaiii, hom., xix, n. 7, P. G., t. XIII, col. 518 ; TertuUien, Apol., c. 9, P. L., t. I, col. 379 ; saint Cyprien, De habita i, -irginam, n.d, sqq., P. L., t. IV, col. 44^) nous montrent leur développement pendant les premiers siècles ; au IV’^ les moines viennent leur donner un élan magnifique que rien n’arrêtera plus (Dom Besse, Uoù viennent les moines, c. iv et v).

Mais cette exposition historique demanderait tout un ouvrage, il vaut mieux grouper d’une autre façon les diverses pratiques de renoncement et de mortification de nos ascètes chrétiens. Leur but est de s’unir à Dieu par l’intelligence et la volonté, dans la charité ; leur devoir est donc d’éloigner tous les obstacles à cette union qu’ils viennent du dehors ou d’eux-mêmes, de leur corps ou des facultés sensibles de l’âme.

Si le monde, les relations extérieures, la vie sociale nous absorbent trop, et, nous attirant tout entiers, nous éloignent de Dieu, la solitude et le silence aideront à nous en séparer. Nos devoirs, devoirs de situation ou d’apostolat, nous empêchent sans doute de rompre entièrement avec les autres hommes et même nous font une obligation de traiter avec eux, une sage mortification nous permettra toutefois de ne pas perdre de vue notre fin et notre perfection au milieu de ces nécessités journalières de notre vie, et même d’y trouver un moyen de nous en rapprocher, de nous y unir.

Si notre corps nous éloigne de Dieu, il faut savoir nous éloigner de lui et le mater. Cette mortification du corps, que nous aurons à justifier plus loin, n’est pas seulement en usage dans l’ascétisme chrétien ou même dans l’ascétisme religieux, quelle que soit la croyance de l’ascète : des agnostiques l’ont pratiquée :’( Souvent étant bien au chaud dans mon lit, écrit l’un d’eux, je me sentais lionteux de tenir tellement à cette jouissance ; et cha([ue fois que cette pensée me prenait, il me fallait me lever, fût-ce au milieu de la nuit, et m’exposer une minute au froid, afin de me prouver à moi-même que j’étais un homme. » (William Jami-s, L’expérience religieuse, p. 254.) Celte lutte contre le corps, obstacle à notre union