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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/179

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BABYLONE ET LA BIBLE

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suite de sa soumission fidèle aux ordres de son dieu. Adam, tout au contraire, est puni pour sa désobéissance. — 4. Dans la Genèse la prohibition ne porte pas sur l’arbre de vie, mais sur l’arbre de la science du bien et du mal. — 5. Entre le vêtement donné à Adapa à la place de son vêtement de deuil, et les habits de peau donnés par lahvé à Adam et à Eve pour couvrir leur honteuse nudité, le rapprochement fait par M. Loisy n’est pas sérieux ; le sens de l’action est entièrement différent. — 6. La fin du poème mutilée ne contenait pas, comme veut M. Loisy, la malédiction d’Adapa ; mais plutôt, comme l’ont très bien vu le P. Scheil et le P. Lagrange, la glorification d’Adapa. Ici encore le récit biblique et la légende babylonienne diffèrent toto caelo.

Dans sa fameuse conférence Babel und Bibel, Delitzsch disait : « La question de l’origine du récit biblique de la chute est d’une importance tout à fait exceptionnelle pour l’histoire des religions, surtout pour la théologie du Nouveau Testament, où le second Adam est opposé au premier par lequel le péché et la mort sont entrés dans le monde. Puis-je soulever le voile ? et signaler un ancien sceau cylindrique babylonien : au milieu, un arbre avec des fruits qui pendent ; à droite l’homme, reconnaissable aux cornes, symbole de la force ; à gauche, la femme ; tous deux étendant la main vers le fruit ; et derrière la femme, le serpent — n’y aurait-il pas connexion entre cette vieille image babylonienne et le récit biblique de la chute ? » (1902, 13e mille, p. 87). Il n’y avait aucun « voile à soulever » : ce sceau a été représenté, depuis bien des années, dans une foule d’ouvrages (cf. Vigouroux BDM, 2e éd., t. I, p. 199, 6° éd., t. I, p. 278 ; 'Dict. de la Bible, art. Paradis terrestre, col. 2128 ; etc.). Les rapports indiqués par Delitzsch étant supposés exacts, s’ensuivrait-il, comme cet auteur à l’air de le croire, qu’il n’y a là qu’une fable ? Nullement — nous le verrons un peu plus loin. Mais nombres d’auteurs ont remarqué combien sont risquées les analogies dont Delitzsch fait grand état. — 1. Les deux personnages sont confortablement assis et complètement vêtus. — 2. Le personnage qui a des cornes représente un dieu ; M. Delitzsch aurait dû s’en douter : les cornes sont le signe distinctif de la divinité (A. Jeremias, Zimmern, etc. ; voir l’article récent de St. Langdon dans Babyloniaca, 1908, p. 141) — 3. On affirme gratuitement que l’autre personnage est une femme ; c’est probablement, comme l’autre, une divinité. — 4. Rien n’indique pour le serpent le rôle de tentateur. Le personnage qui, suivant Delitzsch, est la femme lui tourne le dos. — 5. Ménant, Schrader, C. P. Tiele, J. Helévy, Dillmann, Budde, Koenig, Kittel ont nié l’analogie qui paraît si claire à Delitzsch ; Zimmern, A. Jeremias, Œttli et d’autres la trouvent très contestable. Vraisemblablement, selon P. Jensen, la scène représente deux dieux près de l’arbre de vie, et, à côté, le serpent leur protecteur.

Les Chérubins, gardiens du Paradis terrestre, ne rappellent-ils pas les taureaux ailés à face humaine qui gardent l’entrée des palais assyriens ? En 1878 Fr. Lenormant avait lu le nom Kirubu sur une amulette de la collection de Clereq. Cette lecture, admise encore par lui en 1880 (Les origines de l’histoire, 2e éd., p. 118), est tenue depuis longtemps pour erronée ; et l’équivalent du mot hébreu n’a pas été trouvé depuis en assyrien. Il est donc inexact de dire : « Les taureaux ailés des portes des palais assyriens sont appelés Kirubi « (Ermoni, La Bible et l’Assyriologie, 1903, p. 15). Faute d’un nom identique, de part et d’autre, et vu l’absence de toute description dans la Genèse, l’analogie reste matière de pure conjecture. Il en est tout autrement des chérubins décrits par Ezéchiel.

Une vision divine a bien pu présenter au prophète l’image symbolique d’animaux assez semblables à ceux qu’il avait sous les yeux, pendant l’exil à Babylone. Les théologiens, les apologistes et les auteurs mystiques n’y voient aucune difficulté (cf. A. Poulain, Des grâces d’oraison, 5e éd., 1906, p.324).

Quant à la « flamme du glaive tournoyant », ou du « glaive sinueux » (Gen. iii, 24), ce serait probablement une représentation de la foudre, telle qu’on la voit souvent sur les cylindres babyloniens : deux lignes en zigzag sortant d’une même tige. M. Fr. Thureau-Dangin a rappelé à ce propos un texte de Téglathphalasar I (vers 1100 av. J.-C.), où il est dit que sur les ruines d’une ville un foudre de cuivre est installé avec défense d’habiter là désormais (Revue d histoire et de littérature religieuses, I, 1896, p. 147-151 ; cf. Vigouroux, BDM6, I, p. 288).

Les patriarches antédiluviens. — Une liste de dix rois antédiluviens a été conservée par Bérose ; ce sont Aloros, Alaparos, Amélon, Amménon, Mégalaros, Daonos, Evédorachos, Amempsinos, Otiartes, Xisouthros. On a signalé plusieurs analogies entre ces dix rois et les dix patriarches antérieurs au déluge, nommés dans Gen. v : Adam, Seth, Enos, Caïnan, Malaléel, Jared, Hénoch, Mathusalem, Lamech, Noé. — M. Zimmern est frappé surtout de divers traits de ressemblance (dont plusieurs sont trop subtils et recherchés) entre Hénoch et Evédorachos (bab. Enmeduranki), l’un et l’autre septièmes dans la série. Le dernier roi, Xisouthros, le héros du déluge, correspond sûrement à Noé.

M. Offert, dans diverses Revues, a publié les résultats de son étude comparée des deux chronologies ; il a cru pouvoir conclure que les nombres bibliques pour cette époque ne sont qu’une réduction des nombres babyloniens. La durée totale des dix règnes est, d’après Bérose, 432.000 ans, ce qui équivaut à 86.400 lustres (le lustre = 5 ans = 60 mois). Additionnons, dans Gen. v, les nombres qui donnent l’âge de chaque patriarche à la naissance de son fils : 130, 105, 90, etc. ; nous obtenons 1.656 ans = 86.400 semaines (en nombre rond ; exactement 86.407 semaines et cinq jours). Or, 86.400 = 24 X 60 X 60 (Oppert, La chronologie de la Genèse dans Revue des études juives, t. XXXI, 1896). Un jour contient 24 heures = 86.400 secondes (24 X 60 X 60). Un professeur de théologie, le P. Hontheim, enregistre ces résultats, et conclut : « Donc, de la création au déluge il s’est écoulé un grand jour dont les secondes sont des semaines dans la Bible, et dont les secondes sont des lustres pour les Babyloniens » (Stimmen aus Maria Laach, 28 mai 1903, p. 600). Malheureusement ce calcul a pour base l’année solaire de 365 jours 1/4 ; or, les Hébreux semblent avoir toujours fait usage de l’année lunaire de 354 jours, qu’ils ramenaient à l’année solaire en intercalant de temps en temps, par une méthode empirique, un mois supplémentaire. L’année lunaire donnerait 88.746 semaines (cf. Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, 2° éd., t. I, p. 277 ; et J. Thomas, art. Année, dans DBV).

Quoi qu’il en soit, plusieurs apologistes catholiques pensent que les nombres donnés dans les généalogies patriarcales ne répondent pas nécessairement à sa réalité ; ainsi M. l’abbé Lesêtre dans la Revue pratique d’apologétique, mai 1906, p. 128 ; et le P. J. Brucker qui écrivait tout récemment après de mûres réflexions : « Nous croyons que ces généalogies et la chronologie, à laquelle elles servent de base, se trouvent dans la Bible par manière de citations, comme des documents dont l’écrivain sacré ne prend pas la responsabilité et qui, par conséquent, n’ont pas la garantie de son inspiration infaillible »