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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/210

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BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES

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absents, représentés par Nalalis d"Œa — venaient témoigner, cliacun en son nom, de l’opinion alors eommiine dans les chrétientés latines d’Afrique. Pour qxi’une telle déclaration put être entendue du pape irrité, il fallait qu’elle fût spontanée de la part de tous ; il fallait de plus qu’elle fût respectueuse autant que ferme. Cette doul)le préoccupation se fait jour dans rallocution présidentielle de Cyprien : il tient à écarter tout soupçon d’une pression exercée sur ses collègues ; il ne tient pas moins à se garder de l’inconvenance qu’il y aurait à paraître délibérer siu" un acte du Saint-Siège ; c’est pourquoi il évite de prononcer le nom du pape. On commença par donner lecture de trois lettres : celle par laquelle.lubaïen avait consulté Cyprien, la réponse de Cj’prien, enûn une nouvelle lettre où Jubaïcnse déclarait convaincu. Puis Cyprien s’exprima en ces termes (Prooem. Sent, episcoporum) : « Vous avez entendu, mes chers collègues, ce que Jubaïen, notre coévêque, m’a écrit pour me consulter, malgré mon insuffisance, sur le baptême illicite et profane des hérétiques, et ce que je lui ai répondu, affirmant, comme nous l’avons affirmé maintes fois, que les hérétiques venant à l’Eglise doivent être baptisés et sanctifiés par le baptême de lEglise. On vous a lu pareillement une autre lettre de Jubaïen. écrite en réponse à la mienne : cet homme sincère et profondément pieux, non content de se rendre à mes raisons, s’est reconnu éclairé pour l’avenir, et m’a rendu grâces. Il nous reste à exprimer notre avis, un à un, seins prétendre juger personne ni excommunier ceux qui ne partageraient pas notre avis. Car nul d’entre nous ne se pose en évêque des évêques, nul ne tyrannise ses collègues ni ne les terrorise pour contraindre leur assentiment, vu que tout éA'êqne est libre d’exercer son pouvoir comme il l’entend, et ne peut pas plus être jugé par un autre que juger lui-même un autre. Mais nous devons tous attendre le jugement de Notre-SeigncTir Jésus-Christ, à qui seul il appartient de nous préposer au gouvernement de son Eglise et de juger notre conduite. »

Ces paroles étaient pesées avec soin ; malgré la vigueur du langage, on n’y saurait relever aucune insinuation blessante pour le pape. Celle qu’on a parfois signalée dans les mots : Neque enim quisqiiam nostnim episcopiim se episcoporum constituit aiit tyrannico terrore ad obsequenai necessifafem coUegcis suas adigit, ne repose, comme l’a très bien montré M. Ernst (Papst Stephan I und der Ketzertaiifstreit, p. 60), que sur une fausse interprétation. Les mots episcopus episcopoiiim ont paru viser le pontife romain' ; pour le prouver, on a fait appela un texte de TertuUien (De ptidicitia, i), ajoutant que cette appellation, pour designer le successeur de saint Pierre, était commune depuis le début du m" siècle. Mais ni le texte de TertuUien ne se prête à un tel commentaire, ni l’histoire ne vérifie les inductions qu’on a voulu en tirer. Quand TertuUien. dans le De pH(/ />/// « , applique aupape Calliste cette désignation, episcopus episcùporum, il le fait pour souligner l’ironie de son langage, car il est en pleine révolte contre Rome ; nulle part, dans ses écrits orthodoxes, on ne rencontre ce titre, et il ne reparaît pas dans la tradition du m' siècle. Le passage de saint Cyprien serait donc isolé ; avant de l’expliquer ainsi, il y a lieu d’essayer d’autres explications. La plus naturelle et la seule vraie nous est suggérée par une autre lettre, où l’on voit Cyprien se défendre contre les

1. Cette interprétation se trouve déjà chez Baromus, Annales, ad ann. 258, c. 42 ; elle a été rééditée par presque tous ceux qui se sont occupés de ce texte. Nous n’en croyons pas moins qu’elle est fausse, et que M. Ernst a donné la seule explication plausible.

attaques d’un de ses frères dans l'épiscopat : il lui reproche de se constituer évêque d’un évêque, et juge du juge institué par Dieu (Ep. lxvi, 3) : Tu qui te episcoputn episcopi et iudicem iudicis ad tempus a Deo dati constituis. Celui-là donc, selon Cyprien, se constitue évêque d’un évêque, qui s’arroge le droit de le censurer ou de lui dicter son devoir ; et telle est précisément l’accusation contre laquelle Cyprien a voulu se prémunir, devant le concile de Carthage : il importait cque les suffrages destinés à être mis sous les yeux du pape ne parussent pas extorqués par la violence ou par l’intimidation ; les mots suspects, au lieu de renfermer, comme on l’a cru, une leçon directe à l’adresse du iiontife roniain, sont donc bien plutôt une précaution oratoire de la part du président, qui tient à ne pas sortir de son rôle, mais veut laisser à l’assemblée l’entière responsabilité de son vote.

Cela dit pour rétablir le véritable caractère du discours présidentiel, nous indiquerons brièvement les points saillants de cette collection de suffrages. Tous, sans exception, affirment la nécessité de rebaptiser les hérétiques à leur entrée dans l’Eglise. Presque tous sont motivés : le motif qui revient le plus souvent est la considération de l’unité du baptême, telle qu’on la trouve formulée dans saint Paul (Eph., ix, 5) : Una fîdes, una spes. u/iuin baptisma (Sent., i, 5, 14 » 46, 55, 67, 68, etc.). Quelques-uns réfutent l’argument fondé sur la coutume d’autres Eglises, et le fait mérite d'être relevé, comme une reconnaissance implicite de la tradition (Sent., 28, 30, 63, 7' ;). Un seul prononce le nom d Etienne, et mentionne la lettre qui lui fut adressée par Cyprien — c’est-à-dire vraisemblablement la lettre du précédent synode, Jîp. lxxii, — mais un plus grand nombre stigmatise, parfois en termes énergiques, les partisans de l’opinion adverse, ces fauteurs d hérétiques (Sent., 21, 47)1 annoncés par l’Apôtre (Rom.. 111, 3), ces prêtres de Dieu qui ne rougissent pas d’approuver le baptême de Marcion (Sent., 02), ces évêques qui trouvent naturel de se soumettre à deshérétiques(.SVn/., 59). Un des Pères rappelle l’exemple d’humilité donné par Pierre dans sa dispute avec Paul (Sent., 56). Un autre raille ces avocats de l’hérésie (Sent., 58), qui font des hérétiques chrétiens et des chrétiens liérétiques. Un autre encore compare à Judas (Sent., 61)celui qui, en transigeant au sujet du baptême, livre aux héréticfues l’Eglise, épouse du Christ. La discrétion dont le président avait usé dans son discours d’ouverture n’a donc pas été imitée de tous ceux qui furent appelés à formuler leur suffrage. Tous, à vrai dire, n’avaient point les mêmes raisons. Mais la rareté des allusions manifestes à Rome ne saurait être invoquée pour établir cpie la tenue du concile précéda l’arrivée du rescrit pontifical *.

Tout d’abord, il est certain que nos Actes ne disent pas tout : nous en avons la ijreuve dans ce même suffrage qui mentionne la lecture, faite au synode, de la lettre adressée par Cyprien au pape : cette lecture n"a pas laissé de trace dans le début du procès-verbal, où il n’est question que delà lecture des lettres échangées entre Jubaïen et Cyprien. On a donc élagué ce trait, on a dû élaguer pareillement tous ceux qui visaient trop directement Rome, et en particulier

1. La priorité du concile, par rapport au resciit pontifical, a été soutenue parMATTES, Peters, Grisar, Ritschl, etc. ; Erxst la tientpouv certaine ; Bardenhewer, pour très vraisemblable. La thèse contraire, admise déjà par Baromus, et presque incontestée durant trois siècles, demeure néanmoins plus commune, et je ne vois pas de raison de l’abandonner. Parmi ceux qui l’ont défendue en ces derniers temps, nommons : Fechtrup, Bexson, Monceaux, Nelke, Harnack, Chronologie der ACL, t. II, p. 359.