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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/214

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BAPTEME DES HÉRÉTIQUES

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novatien, et l’on devrait en retrouver la trace. Puisque cette trace nest nulle part, concluons que la question baptismale n’avait point fait un pas depuis le jour où le pape Etienne éconduisit les délégués africains jusqu’à celui où la situation, plus que jamais tendue, fut dénouée providentiellement par la mort de ce pontife’.

lU. Conclusions intéi*essant le dogme, et suite de la contl’overse. — L’impression de scandale qui se dégage de cet épisode, et les ombres qu’il a paru projeter soit sur l’orthodoxie de saint Cyprien, soit sur le caractère du pape saint Etienne, ont fait reculer les premiers éditeurs devant la pul)lication intégrale de pièces aussi compromettantes. L"épîlre de Firmilien surtout resta, durant près d’un siècle, frappée d’ostracisme. Absente de l’édition princeps de saint Cyprien, par J. Andréas (Rome, 1471)> ^^ des diverses éditions données par Erasme, elle apparaît pour la première fois dans l’édition de Morel (Paris, 1564). Les assauts de la critique, au xviii* et au xix’siècle, n’ont servi qu’à mettre hors de doute l’intégrité substantielle de cette correspondance- ; sans nous attarder à des discussions qui n’offrent plus qu’un intérêt rétrospectif, nous essaierons, dans un dernier regard sur la controverse baptismale, d’en tirer quelques conclusions équitables. Une louable sollicitude pour la mémoire de saint Cyprien a quelquefois inspii-é des atténuations plus généreuses que fondées en histoire ; il suflit, croyons-nous, de laisser parler les faits pour reconnaître chez le primat de Carthage l’alliance d’intentions excellentes avec une théologie erronée sur quelques points. Cette théologie devait l’engager dans des luttes aussi périlleuses pour l’Eglise qu’angoissantes pour sa propre conscience.

ParA’enu à la foi dans la maturité de l’âge, Cjprien avait fait sienne une idée qui eut cours en Afrique dès le commencement du iii^ siècle, celle d’une connexion nécessaire entre les œuvres du ministère chrétien et la sainteté personnelle du ministi-e. Cette idée, à laquelle Terlullien avait donné sa forme la plus concrète, procédait en dernièi-e analjse de l’illuminisme phrygien ; elle devait enfanter les doctrines anabaptistes contre lesquelles le pape Etienne se vit obligé de réagir, et sans doute ce n’est pas pur hasard si les anabaptistes apparurent simultanément en Asie Mineure et en Afrique, précisément dans les deux contrées qui avaient été, durant le demi-siècle précédent, les foyers les plus actifs de l’hérésie cataphryge. Au paroxysme de sa révolte contre Rome, Tertullien

1. Etienne I" finit-il ses jours par le martyre ? Oui, si l’on s’en rapporte au martyrologe biéronjmien (2 août). Mais cette donnée est suspecte à plus d’un titre. Les tables philocaniennes mentionnent la depositio d’Etienne parmi celles des simples évoques. Pontius, le biographe de Cyprien, parle du pape Sixte en termes qui paraissent exclure le martyre de son prédécesseur (Vita Cypriani, 14 : Jam de Xysto bono et pacifico sacerdole ac piopterea beatissimo martyre ;. Saint Augustin ignore également le martyre d’Etienne. La ressemblance de sa notice, dans le martyrologe biéronymien, avec celle de Sixte, donne à penser que le compilateur de ce martyrologe a confondu le souvenir des deux pontifes. Voir Duchesne. Liber pontificalis, t. I, p. 154.

2. Elle a été attaquée surtout par R. Missokus, Venise, 1733 ; Fr. M. Molkenblub, Binæ dlsseitationes de S. Firmiliano, WolfenbUttel, 179Û (dans Migne, P. L.. III, 13571418) ; TizzAMi, La célébra conlesa f’ra san Stefanoe san Cypriano, Rome, 1762. — Ritscul, Cyprian i-on Karthago, p. 126--134, a dénoncé des interpolations dans la lettre de Firmilien. Mais ces prétendues interpolations renferment des héllénismes qui garantissent l’authenticité. Voir la réponse victorieuse de Ernst. Ztschr. ꝟ. kath. Theoloo^ie 1894, ^ p. 209-259 ; 1896, p. 364-367 ; Benso.n, op. cit., p. 377-378.

déniait au corps épiscopal le pouvoir de remettre les péchés’ ; il revendiquait ce pouvoir pour l’homme spirituel, désigné par une effusion spéciale du Paraclet. En se dégageant des étreintes du montanisme, l’Afrique chrétienne n’avait pas achevé d’en répudier l’héritage, et, dans la théologie com*ante, les charismes personnels usurpaient encore quelquefois la place qui revient au principe d’autorité. On s’imaginait que, pour faire descendre la grâce dans les âmes, l’évêque devait, de nécessité absolue, en être lui-même pourvu surabondamment. Une théorie si simple et si profondément morale devait sourire au zèle ardent et pratique de Cyprien : il l’adopta sans resti’iction, comme l’héritage intangible de ses prédécesseurs, identique dans sa pensée au dépôt même de la foi. Mais il y avait au fond de cette théorie, en apparence iuolFensive, un vieux reste de levain montaniste, principe d’erreurs dont il ne prit jamais conscience, mais qui affectent gravement sa conception du gouei-nement ecclésiastique et sa théologie sacranienlaii’e.

Cyprien tenait par toutes les fibres de son âme à l’unité de l’Eglise. Quand, en présence du schisme de Novatien, il écrivit son traité De unitate Ecclesiae, il y mit tout sou cœur, et nous n’avons aucune raison de suspecter l’hommage qu’il y rend à la chaii^e de Pierre, source de l’unité, fondement de toute l’Eglise. Mais il n’avait de cette unité, ainsi que des prérogatives du successeur de Pierre, qu’une idée assez flottante. Le pouvoir épiscopal se présente à son esprit comme une masse indivise à laquelle chaque évêque participe selon ses besoins, et non précisément comme l’apanage d’un corps fortement hiérarchisé {De catholicæ Ecclesiæ unitate, 4’Episcopatus uniis est, ciiiiis a singiilis in solidum pars tenetur). Cette conception se remarque jusque dans le très intéressant fragment qui n’a pas trouvé place dans la vulgate de Cyprien, mais nous a été conservé par un manuscrit du VIII" s., et qui, selon une opinion plausible, serait une retouche apportée par Cyprien lui-même au texte primitif de son traité, en vue de la polémique avec les Novatiens 2. L’auteur y réitère avec plus d’insistance sa profession de foi à la primauté de Pierre ; mais après avoir montré dans l’Eglise un seul troupeau, qvie font paître d’un commun accord tous les pasteurs, il ne songe pas à définir les conditions de cette unité, comptant pour la réaliser sur l’accord spontané de toutes les volontés en vue de l’œuvre commune, plutôt que sur l’action centrale d’un gouvernement fort. La nécessité d’un pareil gouverne 1. Tertullien, De pudicltia, 21, fin : Ecclesia quidem delicta donabit, sed Ecclesia Spiritus per spiritalem hominem, non Ecclesia numerus episcoporum. — Sans doute ce n’est pas non plus pur hasard si l’on relève d’étranges concessions à ces doctrines dans le langage de Firmilien. Ep. Lxxv, 4 : IVecessario apudnosfitut per singulos annos seniores et præpositi in unum conveniamus ad disponenda ea quæ ciiræ nostræ commissa sunt, ut si qua graviora sunt communi consilio dirigantur, lapsis quoque fratribus et post lavacrum salutare a diabolo vulneratis per pænitentiani medella quæratur, non tjiiasi a nabis reniisxionem peccutorum consequantur, sed ut per nos ad intellegentiam delictorum suorumconverlanturetDominoplenius satislacere cogantur.

2. De catholicæ Ecclesiæ iinilaie, 4, d’après le cod. Monacensis, 208, texte reproduit en note dans l’édition Hartel, p. 212 : Et quanii’is aposlolis omnibus parem iribuatpotestateni, unam tamen catliedram constituit et unitatis origineni atque oralionis suæ auctoritate disposuit. Hoc erant utique et ceteri quod Petrus, sed primatus Petro datur ut una Ecclesia et cathedra una monstretur. Etpastores sunt onines, sed grex unus ostenditur, qui ab apostoUs omnibus unanimi consensione pascatur… — Voir sur ce fragment Dom CuAP.MA ?.-, Revue bénédictine’, 1902-1903, et Journal of Uieological Studies, V, 20, july 1904, p. 634-636.