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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/215

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BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES

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ment, poui- maintenu" Tunité de foi et de discipline, lui échappe ; il semble même ignorer la frontière entre les pures questions de discipline et les questions de foi. De là ces déclarations qui terminent plusieurs de ses lettres baptismales, et où il revendique pour chaque évéque, dans sa sphère, une liberté illimitée de penser et d’agir, sauf le conqjte qu’il doit à Dieu (Ep. Lxix, 17 ; lxxii, 3 ; lxxiii, 26). A vrai dire, ce libéralisme se dément quelquefois : nous en avons rencontré des exemples éclatants dans le cas de Marcien, l’évêque d’Arles, que Cyprien dénonçait au Saint-Siège comme fauteur de schisme, et dans le cas des évéques libellatiques Basilide et Martial, qu’il persistait à déclarer déchus, même après que le Saint-Siège les eut absous. Il admettait donc des limites à cette irresponsabilité des évéques devant les hommes, qu’il a parfois si énergiquement proclamée. Mais en pratique, il borne la responsabilité aux cas de prévarication évidente, comi)ortant une déchéance ipso facto. A moins d’avoir encouru cette déchéance, l’évêque n’est responsable que devant Dieu. Tel est bien le sens de la lettre lxvi, adressée à Florentins Puppianus, un évêque qui s’autorise de sa qualité de confesseur pour censurer la conduite de Cyprien. Cyprien lui demande raison de ses paroles avec une liberté toute fraternelle ; le ton n’est pas d’un supérieur hiérarchique, mais il n’est pas davantage d’un évéque disposé à subir des observations touchant les actes de son ministère pastoral. Ainsi en usait-il à l’égard de ses collègues d’Afrique ; ainsi entendait-il en user, sauf une nuance de respect en plus, à l’égard du pontife romain. Pour être le successeur de Pierre, Corneille, Lucius ou Etienne n’en est pas moins un évêque comme lui. Ici les détails de style ont leur intérêt. Les lettres de Cjprien au pape portent cette simple suscription : Crprianns Cornelio fratri (Ep. xliv, XLv, XLVii, XLViii, Li, LU, Lix, Lx), Cyprlunus cuin lollegis Liicio fratri (Ep. Lxi), Cyprianus Stephano fratri (Ep. lxviii, lxxii). Au contraire dans les lettres venues de Rome, on rencontre parfois une appellation plus solennelle : Cypriano Papæ preshyteri et diaconi Roinæ consistentes (Ep. xxx), Cypriano Paputi presbyteri et diacones Roinæ consistentes {Ep. xxxvi). Accoutumé à traiter avec le pape sur un pied d’égalité respectueuse, Cyprien trouva étrange la mise en demeure qui un jour lui vint de Rome au sujet du baptême des hérétiques ; de là ces fonnules aussi fermes que polies, par lesquelles il maintint l’indépendance de son ministère. Toujours hanté par le souvenir de Paul tenant tête à Pierre (Ep. lxxi, 3 ; cf. Sent., 56), il aurait cru trahir l’Eglise en abandonnant la position qu’il avait prise dans une question vitale. Une fausse conception de son devoir, jointe à un zèle inflexible, fut le principe de sa résistance.

L’efficacité du sacrement peut-elle bien être indépendante de la sainteté personnelle du ministre ? Sur ce point fondamental, la réponse de Cyprien devait être négative. Car avec sa manière concrète d’entendre toutes choses, il considérait la personne du ministre un peu comme le vaisseau d’où la grâce doit s’épancher sur les âmes. Dès lors, comment imaginer que la grâce découle d’une âme qu’elle n’a pas remplie ? Sa sévérité pour les ministres indignes des sacrements, quels qu’ils fussent, est une conséquence logique de ce principe ; aussi avons-nous vu la question des clercs indignes intervenir épisodiquement dans la controverse baptismale. Il restait à élaborer toute une métapliysitpie du sacrement, qui, en montrant dans le rite de l’Eglise une action accomplie au nom du Christ, élèvera l’eflicacité du ministère au-dessus des accidents de personnes. Celle élaboration sera en grande partie l’œuvre de saint

Augustin. Chez saint Cyprien, la théologie sacramentaire n’est pas encore sortie de l’enfance.

Il n’est pas sans intérêt de noter que Cyprien attache au rite pénitentiel de l’imposition des mains un sens différent de celui qu’y attachait dès lors l’Eglise romaine et qui se précisera dans des documents postérieurs. A ses yeux, le baptême est le rite qui remet les péchés, l’imposition des mains est le rite qui confère le Saint-Esprit (Ep. Lxxui, t) : Quod si secundum pravam tidem baplizari aliquis foris et remissam peccatorum coiisequi poluit, secundum eandem fidem consequi et Spiritum Sanctum potuit, et non est necesse ei venienti manum imponi ut Spiritum Sanctum consequatur et signetur. Cf. Ep. Lxxn, 5 ; Lxxv, 12, lS) ; il ne songe pas à distinguer l’imposition des mains usitée pour la réconciliation des pécheurs, d une autre imposilioii des mains qui était alors inséparable du baptême et qui s’est conservée dans le sacrement de confirmation. La meilleure preuve que l’Eglise 1 en distingua, c’est que nous voyons cette imposition des mains usitée dans la réconciliation des clercs. Voir Canon 8 de Nicée. — M. labbé Saltkt, dans son étude sur Les Réordinations, Paris. 1907, croit néanmoins reconnaître la confirmation proprement dite, soit dans le rite réconciliateur des laïques hérétiques, soit dans le rite reconciliateur des clercs ordonnés dans l’hérésie (p. 21 sqq. ; 3tJsqq. ; p. 402 sqq.). Cette identification procède de vues systématiques : en réalité, 1 identité matérielle du rite n’enlraine pas l’identité de signification. Etienne parle seulement d imposition des mains pénitentielle, Ep. Lxxiv, 1 : Ci manus illi imponatur in pænitentiani. Il serait excessif de vouloir faire rentrer ces rites primitifs dans les cadres théologiques d’un autre âge. Constatons du moins la distinction très nette d’avec la confirmation dans un texte du pape Vigile (vi" siècle), Ad Euilierium Ep., 3, P. L., LXIX, 18 : Non per illam imposilionem manus quæ per invocationem Sancti Spiritus fit, ! ed per illam qua pænitentiæ fiuctiis acquiritur et sanctæ communionis restitutio perficitur). Des clercs novatiens. qui reveuaientou simplement qui ^eIlaient à l’Eglise catholique, furent réconciliés par elle et introduits dans sa hiérarchie par le rite de l’imposition des mains. Au reste, la confusion que nous signalons, entre l’imposition des mains baptismale et l’imposition des mains pénitentielle, se retrouve, aggravée, chez l’auteur du De rebaptismaie, avocat de la tradition romaine [De rehaptismate ^ 2, 3, 4, 5, G) ; on n’y saurait donc voir un trait particulier à Cyprien.

Il eut du moins le mérite de reconnaître le rite essentiel du baptême chrétien dans le baptême par afl’usion. conféré alors exceptionnellement à quelques malades. Ces chrétiens improvisés n’avaient-ils rien à envier à ceux qui avaient passé par le rite solennel de l’immersion.’La chose ne semblait pas claire, et certains cas, n’-els ou supposés, de possession diabolique après ce baptême des cliniques, faisaient révoquer en doute la pleine cflficacité du sacrement. Répondant sur ce point encore à Magnus (Ep. LXix, 1216), Cyprien déclaie, sauf meilleur avis, que rien ne manque à ces cliniques pour être de vrais chrétiens {ib., 12 : Aeslimamus in nuUo mutilari et debililari posse bénéficia divina nec minus aliquid illic posse conlingere, ubi plena et tota fide et daiitis et sumeutis accipitur quod de divinis muneribus haurilur) ; que si la foi du ministre et celle du baptisé sont entières, on n’a rien à craindre pour le don divin ; que l’on a vu tel cliréfien, après ce baptême in extremis, mener une vie sans reproche, tel autre au contraire, après le baptême solennel, retomber sous l’empire du démon, parce qu’il s’était montré infidèle à la grâce baptismale ; qu’enfin il serait scandaleux de fermer les yeux sur toutes les tares du baptême hérétique, pour méconnaître outra^’cusement, chez les cliniques, le vrai baptême de l’Eglise ^16).

Sur un point du moins, Cyprien et Fnmilien parlent plus correctement qie leur contradicteur, l’auteur annnyme du De rebaptismaie. Dans son zèle à exalter le baptême de l’Esprit, ce dernier avait rabaisse le baptême d’eau pres(iue an nive.ui des ablutions juives (De rebaptismaie, 18, fin : Fide cmundari cordif. Spiritu autcmablui animas, ])orro autcm per aquam lavari corpora) ; et l’assimilait complètement au baptême de Jean ('/>., 2) ; cette assimilation, qui ap[)urail déjà chez Tertullien, et qui, chez notre anonyme, est peut-être un trait de doctrine africaine, ne se retrouve pas, mal^Te certaines apparences contraires, chez Cyprien (Ep. lxix, 11) ni chez Firmilien,