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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/256

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CERTITUDE

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lOgatiA’e, dubitative, que pour lui se formuler en thèse serait se détruire, puisque ce serait donner comme certain qu’on ne peut de rien être certain : logomachie, contradiction trop évidente. Mais on nous pose une question, et on s’autorise pour cela j°) du fait de tant d’erreurs reconnues : ne doivent-elles pas faire suspecter toute source de connaissance, sens et intelligence ? 2°) d’un argument, valable contre quiconque essaie de faire des arguments auxquels il croit : pour reconnaître la vérité, il faudrait un critère, pour juger et déclarer bon ce critère, il en faudrait un autre, et ainsi de suite, à l’infini ; — sous une autre forme : pour savoir reconnaître la vérité il faudrait un critère ; mais pour choisir ce critère, il faudrait savoir reconnaître la vérité, vous tournez dans un cercle. C’est le célèbre argument ou trope du diallèle.

Nous avons déjà remarqué que le scepticisme ne pouvait s’ériger en système ; ajoutons qu’il n’est pas possible comme attitude : la nécessité, ou si l’on veut, le fait même de la- vie le proscrit ; vivre, c’est agir, et agir c’est croire, tout au moins croire que les actes qu’on fait ont un sens et une portée. Nous pouvons d’ailleurs, tout en différant la réponse aux objections du scepticisme, apercevoir déjà le vice fondamental qu’il recèle : la question qu’il soulève n’a de sens qu’en fonction même du dogmatisme qu’il veut éviter. Dire que telle connaissance n’est pas certaine, — ou, si Ton veut, n’est pas certainement certaine, — demander si Ton peut reconnaître qu’on a la vérité, suppose qu’on sait ce que c’est que certitude et vérité, ce que c’est qu’avoir la vérité, — et donc qu’on a quelque vérité et qu’on le sait ; la critique, fût-ce sous forme purement dubitative, n’est pas plus possible, sans une vérité déjà possédée, que l’affirmation elle-même. A plus forte raison, reconnaître qu’on s’était trompé, voir à n’en pas douter la fausseté d’une affirmation qu’on avait émise, suppose la possession d’une affirmation vraie, en considération de laquelle la première est déclarée intenable.

II. Existence de la certitude. — i° Solution de la question. — La condition nécessaire et suffisante de l’existence de la certitude (c’est-à-dire de la possibilité d’un repos dans la vérité possédée et connue comme telle) est l’existence d’actes de connaissance à l’occasion desquels la question de vérité ne se pose même pas. Or, tels sont, nous l’avons déjà dit, les cas d’intuition : oubiennousne connaissons pas, et la connaissance est un vain mot, ou bien nous connaissons cjuelque chose et quand nous exprimons ce quelque chose, sans que notre affirmation déborde en rien notre intuition, il n’y a pas place à l’erreur. Qu’il y ait des intuitions sensibles, cela ressort du fait initial de la connaissance : dans la perception extérieure, l’esprit atteint un objet ; qu’il y ait des intuitions d’images internes et, dans les phénomènes de conscience réflexe, des intuitions d’actes internes, cela ne peut faire difficulté pour personne. Il y a aussi des intuitions intellectuelles, les unes simples, les autres complexes, et ces dernières jouent dans l’évolution de notre connaissance un rôle très important : certaines notions abstraites ne peuvent être présentées à l’esprit sans que celui-ci voie entre elles un lien nécessaire ; par exemple, dès que sont données dans une synthèse concrète (dans l’effort volontaire) les notions de cause et de commencement d’existence, l’esprit, dépassant le cas particulier, « désindividualisant », si l’on ose dire, les termes du rapport et le rapport lui-même (c’est toujours le procédé de l’abstraction, le même qui donne les idées générales), en retient que le commencement d’existence, de soi, en tant que

tel. donc partout et toujours, requiert une cause. Affirmer cette relation perçue, c’est formuler le fameux principe de causalité. Il y a bien d’autres intuitions semblables : le tout est plus grand que la partie, deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles, tout ce qui est a une raison suffisante, etc.

En dehors de ces cas, quand nous voulons nous assurer de la vérité d’un jugement, connaître certainement si tel attribut convient à tel sujet, que faisons-nous ? nous insérons entre les termes du jugement étudié un terme moyen (ou plusieurs, si c’est nécessaire), tel que son rapport aux deux autres soit objet d’intuition immédiate.

Bref, nous possédons un critère et un seul pour reconnaître la vérité, pour légitimer nos certitudes, c’est l’évidence.

Ce terme d’évidence demande à être exactement entendu, car on peut ou bien s’en permettre un usage trop facile, ou bien le frapper d’une suspicion injuste. Autrefois il signifiait la propriété de certains objets de se manifester en quelque sorte d’euxmêmes, de déterminer sans travail nécessaire et sans résistance possible l’adhésion à quelque jugement ; c’est le vrai sens étymologique : « c’est évident «  équivaut à « cela se voit », « cela saute aux yeux »,

« cela force l’assentiment » ; dès lors il était légitime

d’admettre des certitudes d’inévidence, obtenues après un effort pour placer l’objet dans la lumière convenable, ou par une intervention de la liberté. Aujourd’hui le mot a pris un sens plus large : il désigne toute manifestation qu’un objet fait de soi, avec ou sans effort préalable du sujet connaissant ; manifestation de l’objet au sujet, et corrélativement, appréhension par le sujet de l’objet. Or l’appréhension est le fait fondamental de la connaissance ; celui qui prépare le jugement. Dire que l’évidence est critère ultime de vérité et motif ultime de certitude, c’est donc en revenir simplement à ce qui a été montré plus haut, que dans l’appréhension la question de vérité ne se pose pas encore, et que, quand elle se posera à l’occasion du jugement, elle se résoudra par un retour à la source, par une réflexion sur l’objet de la vision.

Il va sans dire qu’exiger une évidence pour toute certitude, ce n’est pas exiger une évidence intrinsèque ; il peut n’y avoir qu’évidence extrinsèque ou de crédibilité, comme il sera expliqué à propos de la Foi.

2* Réponse aux objections. — L’objection tirée par les sceptiques des erreurs si nombreuses que commettent les hommes, se retourne contre eux, comme nous l’avons vu, puisque reconnaître une erreur suppose la possession de la vérité. Et qu’on ne dise pas, comme Descartes, que les erreurs des sens étant reconnues par l’intelligence, font légitimement suspecter par elle la certitude sensible : l’intelligence ne corrige les sens qu’aidée par les sens eux-mêmes, et donc notre réponse conserve toute sa force. Nous compléterons plus loin la réponse au premier argument des sceptiques, en traitant des causes de nos erreurs.

Quant à l’argument du diallèle, il ne porte pas, parce qu’il part d’un faux supposé ; à savoir : que la démonstration est l’unique source de connaissance certaine ; ce n’est ni l’unique, ni même la principale ; c’est un moyen détourné de conquérir la vérité quand elle se cache ; quand elle se montre, il n’est que de la regarder ; et si elle ne se montrait d’abord en certains cas, nul ne songerait à la chercher quand elle se cache, parce que nul ne saurait qu’il y a une vérité. Au fond les sceptiques sont, l’histoire en fait foi, ou des sophistes qui ne veulent pas voir clair, ou des timides qui n’osent ouvrir les yeux, ou des faibles qui ne peuvent s’affranchir des contraintes