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CONCORDATS

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l'éloquent prélat. Mais il est indéniable que, de fort bonne heure, les papes qui ont fait des concordats ont parlé des obligations réciproques qui en résultent ; les papes du xix' siècle surtout ont proclamé que leur parole était engagée dans les concordats comme dans un pacte bilatéral ; ils ont assimilé ce pacte aux traités internationaux.

Ce langage, tenu à diverses reprises, suffit-il pour assurer que les documents pontificaux décident la controverse ? Je ne le pense pas.

Dans tout concordat, il y a un élément contractuel et un élément législatif. Les textes le prouvent et les auteurs le disent à l’envi. Lequel des deux éléments est assez prépondérant pour emporter, à lui seul, la définition des concordats ? On dissertera longtemps là-dessus, et avec quelqiie vanité, semblet-il. Quant aux documents à l’autorité desquels on a recours, il n’en est pas un seul qui ait pour but de dirimer le litige qui met les canonistes aux prises. Dans aucun de ces documents, il n’est aucune expression qui ne puisse, le plus correctement du monde, s’interpréter par les tenants de n’importe quelle école. Les mots les plus caractéristiques — à savoir ceux de « pacte bilatéral », de « contrat synallagmatique » employés par Pie X et Léon XIII — sont fort loin de résoudre, par eux seuls, le problème. Ils le supposent et le laissent entier ; puisque entre docteurs catholiques l’objet même de la dispute est de préciser en quel sens analogique exactement — il ne saurait être question de sens propre — les concordats sont des contrats synallagmatiques et des pactes bilatéraux. Quelle que soit la dénomination par laquelle on essaye de caractériser les concordats, l’important est de savoir ce que l’on enferme au juste dans ces dénominations. En recourant à un terme plutôt qu'à un autre, le Saint-Siège en a consacré l’usage. Mais c’est sur quoi on ne disputait pas. Dans le langage usuel et même dans le langage diplomatique, il n’y a aucune difficulté à qualifier les concordats de contrats. Ils le sont en effet, comme ils sont aussi des privilèges. Avec Mgr Giobbio, on peut encore les appeler des privilèges conventionnels. Mais, encore une fois, les mots, si heureux qu’ils puissent être, ne sauraient supprimer une controverse, dès là qu’ils sont employés — et c’est ici le cas — hors de leur sens strict. Toute la question en somme revient à ceci : l’obligation qui lie le pape à l'égard des chefs d’Etat est-elle de même nature juridique et morale que celle qui lie les chefs d’Etat eux-mêmes à l'égard du pape ? Aucun document pontifical n’en décide.

Il faut parler autrement du problème agité par les jurisconsultes : les concordats sont-ils des traités internationaux ? Notamment depuis les dernières années du xixe siècle, c’est sur le terrain du droit international que Rome s’est placée, soit pour rappeler ceux qui l’oubliaient au respect des conventions signées avec elle, soit pour protester contre ceux qui ont prétendu les déchirer au gré de leur caprice. N’y a-t-il pas dans ce fait une lumière ? Est-ce que, par l’attitude qu’ils prennent ainsi devant les nations, les papes ne nous indiquent pas comment il nous faut, avec eux, envisager les concordats ?

Si divisés que soient les jurisconsultes sur la condition internationale de la papauté depuis la ruine du pouvoir temporel, le bon sens et l’histoire protestent que la souveraineté pontificale est demeurée essentiellement identique à elle-même. Même avant l’annexion de Rome au royaume d’Italie, c’est avec le chef de l’Eglise que les chefs d’Etat entretenaient des relations diplomatiques et négociaient des concordats. D’ordre à part — c’est-à-dire extraterritoriale et sans sujets qui lui soient exclusivement propres — la puissance spirituelle des pontifes romains n’en

est pas moins réellement souveraine et inévitablement internationale. Les hommes politiques et les théoriciens du droit qui ne savent pas le reconnaître de bonne grâce montrent que leurs préjugés les aveuglent sur les faits les plus évidents. Les créations de leur ingéniosité juridique font sourire, quand ils se mettent à expliquer par exemple la personnalité des nonces ou la nature d’un traité signé au Vatican. Dans le droit public du moyen âge, le pape était le suzerain de la République chrétienne ; selon le droit international de tous les temps, il demeure un souverain. La magistrature divine dont il est investi aux yeux du croyant est un fait que les incroyants ne peuvent pas détruire ni même nier, et c’est à ce fait que le droit humain rend hommage quand il classe, parmi les puissances suprêmes de ce monde, celle des successeurs de saint Pierre.

Toutefois, en prenant acte de cet hommage et même en le réclamant, la papauté n’entend pas abdiquer le caractère proprement surnaturel de son autorité suprême. Elle ne le saurait faire. Et parla il apparaît combien peu rigoureuse est la logique de ceux qui, du langage même des papes invoquant le droit international, déduisent que d’après Rome elle-même les obligations qu’elle assume en signant les concordats sont exactement celles des souverains qui signent un traité. Encore que l’Eglise ne soit pas une sorte de suprême puissance civile, elle prétend être supérieure à l’Etat parce que ses fins (celles-ci déterminent les origines, la nature et les facultés des sociétés) sont supérieures à celles de l’Etat. Cette inégalité des deux puissances n’empêche pas la temporelle d'être souveraine dans son ordre ; mais elle la prive de tout droit, en matière spirituelle ; elle interdit même à l’Eglise la faculté d’aliéner son autorité propre.

Au fond de la querelle sur la vraie nature juridique des concordats, c’est donc celle de la vraie nature du pouvoir spirituel qui est en cause. Dès lors, comment s'étonner que dans la réalité des choses les docteurs catholiques soient moins en désaccord cfu’ils ne veulent en convenir eux-mêmes ? Aucun d’eux certainement n’entend dénier à l’Eglise la supériorité native qu’elle a reçue de Jésus-Christ. Et cette supériorité de l’un des contractants empêchera toujours les concordats d'être des contrats synallagmatiques et des traités internationaux comme les autres.

Au surplus, quelle que soit la dénomination que l’on préfère dans les écoles de droit pour caractériser les concordats, il n’y a pas de danger qii’ils soient dénoncés par un caprice imprévu des pontifes roniains. Nous l’avons déjà observé, aucun d’eux n’a jamais dit que les concordats ne lui imposaient aucune obligation. Tarquini, qu’on représente comme le canoniste le plus intransigeant, n’a point soutenu que les papes, après avoir signé une convention, demeuraient libres d’agir à leur guise. Lorsque les politiciens libéraux ou les juristes incroyants s’effarouchent d’une telle hypothèse, et foncent dessus de tout leur élan, ils ressemblent à Don Quichotte ; ils se battent contre un fantôme. Pendant de longues années, le P. Wernz a enseigné le droit canonique au Collège romain ; il demeure un maître singulièrement autorisé auprès des congrégations pontiticales. Voici la définition qu’il donne des concordats : Lex punlifîcia et civilis lata, proparticulariquadani republica, ad ordinandas relationes inter Ecclesiam et Statum, circa maieriam aliqua ratione iitramqiie potestatem sive societatem concernentem ; quæ adjunctam habet vim pacti publici inter sedem apostoUcam et illam rempuhlicam initi, et utramque partent vere obligantis. Celle longue phrase montre la complexité de la question, signale les éléments juridiques divers que renferme un concordat, et marque distinctement le caractère