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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/35

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AGNOSTICISME

absolu. Proposé dans d’autres conditions, il ne fera, comme l’a bien au Scot, I, dist. 3, q. 2, inii., que conlirmcr l’adversaire dans son erreur et préparer un disciple de plus à Plotin, à Maïmonide, ou à M. Bergson, ce qui revient au même.

Nous ne disons giière en français d’un nniv qu’il ne voit pas : mais nous disons volontiers qu’il n’a pas d’oreilles. En quelles occasions employons-nous cette locution ? Lorsque, par exemple, un ami hésitant à nous conûer un secret, nous voulons l’encourager à la confidence. Le sens est : « nous sommes seuls ety> serai discret ». Si rencontrant le corps d’un blessé, rigide, mais ayant les yeux ouverts, nous constatons que la rétine est insensible, nous disons : II ne Aoit pas « ; le sens n’est pas : « il ne regarde pas, il est aveugle » ; mais bien : « ce n’est pas ce que je croiras, ce n’est pas un homme, c’est un cadavre ». S'^ous employons aussi des termes privatifs de la même manière. « Je suis soiu’d et muet », répondons-nous à un questionneur importun ; ce qui signifie : « y&irésolu de ne rien dire de cette affaire ». « C’est une poule mouillée », signifie que cet homme, que nous croyions courageux, qui devait l'être, ne l’est pas ; la figure exprime, en même temps que ce fait, notre désappointement. Dans tous ces cas, nous pouvons signilier à la fois un état mental et une réalité objective. L’accent indique sur lequel de ces deux objets l’attention de l’auditeur doit s’arrêter. Il arrive aussi que de telles expressions sont prises au sens purement figuré, comme lorsque l’avare de Molière, après avoir vu les deux mains, demande « l’autre » ; ainsi dans « ce mur n’a pas d’oreilles, je suis sourd et muet », l'état montai de celui qui parle est seul en question. D’après Maïmonide, tous les noms de Dieu se ramènent à des façons déparier figurées de cette dernière espèce. Si nous disons u Dieu est vivant ", interprétez comme dans l’expression « je suis sourd et muet ». Si nous disons que Dieu nous voit, interprétez d’après l’exemple du cadavre dont on dit : « Il ne xovi pas », c’est autre chose que l'êti-e animé auquel je pensais.

M. Bergson, pour étajer son nominalisme subjectiviste. a recours à la théorie de ces sortes d’idées négatives. Maïmonide était objectiviste, mais nominaliste, t. I, p. 185. M.Bergson est nominaliste, sans être objectiviste. Il constate que « la science moderne roule sur des lois, c’est-à-dire sur des l’elations. Or une relation est une liaison établie par un esprit entre deux ou plusieurs termes. Un rapport n’est rien en deliors de l’intelligence qui rapjiorte », Evolution créatrice, Y). 385. Biel disait des relations exactement la même chose, bien qu’il fût objectiviste : « lîelationes important coiiceptum mentis quo intellectus formuliter refert rem unam ad aliam… Et ille conceptus quo res cognoscuntur ab inlcllecta taies, dicitur relatio {/n I, disl. 30, q. i, art. 3). (]onsé(piemment : Duo alha esse siniilia est me pcrcipere duo alha : et quant au fondement de ces relations, Biel eîit pu signer la formule positiviste " la science n’a pour objet que les faits et leurs lo[<, n : Similitudo Socralis ctPtaionis in alhedine, nihil est aliud quant Sorrides et Plato ; ordo est partes ordinatæ etc., ibid., art. 2. Le nominalisme, dont ces formules d’Occam et de Biel expriment toute l’essence, aboutit logiquement à l’agnosticisme. On trouve des agnosti(pu’s défenseurs de la perception immédiate comme Maïmonide et l’Ecossais Hamilton ; on en trouve d’oljjectivistes comme Locke, desubjectivisles comme Kant ; il en est d’idéalistes, il en est de réalistes : je n’en découvre aucun qui ne soit nominaliste. L'école d’Occam n'évitait l’agnosticisme qu’en se donnant par la foi, ou d’une façon contradictoire à ses principes, l’idée de la perfection divine. Il en faut dire autant du nominalisme cartésien, dès qu’il cessait de se d(Miner l’idée

innée de Dieu. Malebraxciie conclut à la fois à l’ontologisme et au fidéisme de ce que « l'àme ne peut connaître les êtres infinis », Recherche, etc., p. 1, 1. 3, 2 ; p. 2, 1. 3. Aussi Leibniz félicite-t-il le P. des Bosses du décret par lequel le général des jésuites avait interdit renseignement de cette proposition de Malebranche : Mens nostra, eo quod finita sit. nihil certi de infinito potest scire, proindeque de illo a nobis dispufari nunquam débet (Tamburini, 1^06). Ed. Gerhardt, t. II, p. 313. Le même philosophe avait lu et approuvait la proscription antérieure (iG51, Piccolomini) de la proposition fondamentale d’Occam, que quelcjues jésuites (de Hurtado, Arriaga, de Benedietis) avaient, sans en adopter toutes les consét]uences, soutenue contre Suarez, Vasquez et les grands théologiens de l’ordre : « Relatio siniilitudinis, paternitatis, etc., non est formaliter in rébus, aut in suo fundamento ; sed est aliquid rationis. aut mera intellectus comparatio. » Nominaliste, que M. Bergson soit agnostique, il ne faut donc pas s’en étonner. Mais pour légitimer son nominalisme, il a eu l’idée originale de recourir à la doctrine des idées négatives ; c’est ce qui le distingue de Kant, dont il rejette les formes à priori, p. 38^ ; de Spencer, dont il plaisante les « idées héréditaires » où en est encore M. Loisy, passim ; enfin, du relativisme vulgaire, p. 226.

« On verra, dans le prochain chapitre, dit-il, combien il est malaisé de déterminer le contenu d’une

idée négative, et à quelles illusions on s’expose, dans quelles inextricables diiricultés la philosophie tombe, pour n’avoir pas entrepris ce travail », p. 240. Suivent les exemples, pour persuader au lecteur que l’idée d’ordre et celle du néant ne sont cjue des idées pragmati([ues. « Si je choisis au hasard un volume dans ma l)ibliothèque, je puis, après y avoir jeté un coup d'œil, le remettre sur les rayons en disant :

« Ce ne sont pas des vers. » Est-ce bien ce que j’ai

aperçu en feuilletant le livre "^ Non, évidemment. Je n’ai pas vii, je ne verrai jamais une absence de vers. J’ai vu de la prose. Mais, comme c’est de la poésie que je désire, j’exprime ce que je trouve en fonction de ce que je cherche, et, au lieu de dire : A)ilà de la prose », je dis : ><. Ce ne sont pas des Acrs », ).i !. De son côté, l’idée du néant est celle de l’absence d’une utilité. « Si je mène un Aisiteur dans une chambre que je n’ai pas encore garnie de meubles, jel’aA’ertis « qu’il n’y a rien ». Je sais pourtant que la chambre est pleine d’air ; mais comme ce n’est pas sur de l’air qu’on s’asseoit, la chambre ne contient Aéritablement rien de ce c^ui, en ce moment, pour le A-isiteur et pour moi-même compte pour (jnelque chose », p. 322. Où est le sophisme ?

Le lecteur, qui a peut-être souri en lisant les réflexions de S. Thomas sur le lion et sur le Aolatile, n’a qu'à les relire. Elles sont de saison, puisque toute la nouvcauté de l’argumentation de VEvolution créatrice tle M. Bergson se réduit à l’analyse de ces façons communes de jiarler, dont M. Bergson allonge la liste, à la suite de Maïmonide. Pour conclure légitimement ce qu’il conclut du sens de ces locutions négatives, M. Bergson devrait prouver que toujours et nécessairement nous parlons comme dans les cas particuliers ([u’il étuilie. De Pot., q. 9, a. 7, ad 2 et in corp. Et ((uaïul nous parlons ainsi, est-ce au hasard <|ue nous choisissons nos expressions ? Non, répond M. Bergson, « uuiis nous sommes guidés dans ce choix uniijuenu’ut par nos états alfectifs, par des besoins d’ordre prali(iue » ; et M. Le Boy étend cette conclusion à toutes nos connaissaïu-es scicutili(pu>s, tandis que Maïmonide la restreignait à notre connaissance religieuse. C’est confondre le choix de l’expression avec la constatation ol>jective qui est la raison