Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

727

CREATION

728

est, quand même toutes les conditions possibles varieraient : s’il est de nécessité absolue tout ce qu’il est, il est de nécessité absolue toujoui’s le même. On peut nier qu’un tel être existe : c’est la question de fait ; mais la question de droit est certaine : s’il existe, il est nécessairement immuable.

Précisément, dirons-nous, en fait, tel est le cas de cet être premier, nécessaire, que tous admettent. Cette assertion est grosse de difficultés : c’est à l’établiique doit porter l’effort de notre argumentation.

Lorsqu’ils affirment un être nécessaire, tous entendent un être qui n’a besoin que de soi pour être déterminé à être, qui trouve dans la constitution physique de sa nature, non pas seulement une pure possibilité d^e : s.ister, si un autre lui fournit le secours convenable, mais une nécessité inéluctable d’être. Fort bien. Mais il n’y a qu’une manière de concevoir cette nécessité d’être, c’est d’admettre que toutes les déterminations de cet être sont, non seulement possibles en soi, et à ce titre hypothétiquement nécessaires, mais physiquement inéluctables, en d’autres termes absolument nécessaires.

En effet, considérons les modes ou déterminations de cet être. Elles sont ou absolument nécessaires, ou nullement nécessaires, ou nécessaires hypothétiquement.

La première hypothèse nous conduit à affirmer que toutes ces déterminations demeureront immuables, puisqu’elles sont ce qu’elles sont de toute nécessité.

La seconde hypothèse n’a pas de sens. Si l’on admet un être absolu dont la constitution intrinsèque explique l’existence nécessaire, c’est en vertu du déterminisme, qui exige pour toute existence une raison nécessitante. Admettre, en même temps, dans cet être, quelque chose que rien ne nécessite, c’est supposer, en même temps, que le déterminisme peut ne pas s’appliquer. Puisqu’on affirme, à la fois, le pour et le contre, il n’y a pas lieu de prolonger la discussion.

La troisième hypothèse seule demande un examen précis.

Cette détermination qui manque à l’être nécessaire ne saurait être déclarée essentielle, sinon jamais cet être n’aurait été. Nécessaire absolument et essentiellement conditionné sont contradictoires.

Faisons la secondaire et accidentelle.

Or, il importe de le noter, si nous avons admis comme absolument nécessaires, et donc absolument déterminés, tous les constituants essentiels, il reste que leur jeu, leur action physique — si l’on peut accepter ce grossier langage — est nécessaire aussi. En effet, si leur état premier peut se modifier’, c’est qu’il ne s’impose pas absolument, et s’il ne s’impose pas ainsi, il n’y a plus pour lui de raison inconditionnée d’exister ; jamais donc il ne sera plus que d’autres 2.

1. Cette considération oblige à écarter de l’Absolu tout acte qui serait accompagné de changement physique ; elle n’exclut pas, à elle seule, par exemple, un acte nouveau de volonté qui, sans rien changer dans le Créateur, modifierait seulement l’être fini qui en serait l’objet. Mais, à vrai dire, Dieu veut éternellement et par un acte unique tout ce qui s’exécute, sur son ordre, dans la série des âges.’2. Que l’on ne dise pas : ce qui est requis, c’est un état premier n’importe lequel, mais il n est pas requis que cet état soit immuable. Bien an contraire.

N’importe let/uet, en effet, est une abstraction de l’esprit, qui compare des données équivalentes, mais si l’on suppose qu’objectivement, concrètement, aucun de ces équivalents ne s’impose plus que l’autre, comme il n’existe rien qui détermine le choix, éternellement aucun d’eux ne sera. Et comme rien n’existe que de détei’miné au moins sous un premier état, jamais ce prétendu nécessaire n’existera.

Il résulte de là que toute modification même accidentelle est impossible dans l’être nécessaire. La supposer causée de l’extérieur est ridicule, quand il s’agit de l’être qui est ou le Premier ou le Tout. Si on la dit produite par une action nouA^elle des facteurs ou constituants essentiels, on nie, en admettant ce changement, ce qu’on avait concédé : s’il y a place pour du nouveau, ces déterminations essentielles n’étaient donc pas physiquement et absolument déterminées ^, et, si elles ne le sont pas, elles n’ont pas plus que d’autres aucune raison de se trouver réalisées maintenant.

Il n’existe donc pas de milieu physique entre ces deux termes : être par soi et n’être Pien par soi-même ; et ces deux termes ont pour équivalents : être absolument nécessaire sous tous rapports et n’être pas absolument nécessaire, fût-ce sous un seul aspect. Cette constatation faite, on voit comment, du moindre changement qui se produit dans un être, on peut être amené à conclure qu’il n’était pas absolument nécessaire, et donc que, s’il existe, il est grâce à un autre.

Nous confirmerons ces conclusions en réfutant les conceptions qu’on leur oppose. Toutes vont à rejeter cette identité capitale entre nécessaire et immuable.

Voici comment. Ramenons à trois types les sj’stèmes imaginables.

k) Ou bien l’on fait du mouvement l’état normal ou l’essence de l’être ; supposé unique, il évolue de nécessité absolue : être, c’est évoluer ; — /5) ou bien on fait du mouvement le résultat forcé d’un équilibre instable et, comme équilibre dit multiplicité d’éléments qui se conditionnent, telle phase du mouvement est hypothétiquement nécessaire, pour tel état donné des éléments ; — /) ou bien on fait du mouvement, hj’pothétiquement nécessaire ici encore, le produit nécessaire du jeu de principes opposés.

Reprenons chaque hypothèse.

a) Si les philosophes les plus profonds se sont jusqu’ici refusés à faire du mouvement soit l’essence, soit l’état normal de l’être pur, c’est pour une tout autre cause que l’habitude de penser et de parler en morcelant l’universel flux des choses en coupes, plus ou moins réduites, qui risquent toujours de paraître exprimer le repos, Bergson, Evolution créatrice, in-8°, Paris, 1907, p. ^89 sq. En réalité, ils ont vu là un concept contradictoii’e et une impossibilité physique certaine.

En effet, chaque élément du mouvement n’ayant pas sa raison d’être en soi, puisqu’il n’a pas toujours été, doit la trouver dans l’élément précédent. Celui-ci tiendrait donc de sa nature propre la nécessité de devenir autre chose ; la même perfection physique en vertu de laquelle, à un instant donné, il est ce qu’il est l’obligerait à devenir autre qu’il n’est, l’instant qui suit, et cette nouvelle phase bien déterminée à devenir autre encore, le moment d’après. Rien n’a été ajouté du dehors, nulle cause étrangère n’intervient, l’être nécessaire est seul avec ses constituants toujours les mêmes, ou, si l’on veut, la même réalité phj’sique qu’est le mouvement reste la même, et c’est parce qu’elle est toujours la même qu’elle deviendrait toujours autre. C’est le contraire de ce qu’affirme la logique élémentaire : l’identité ne peut expliquer la dii’ersité ; le même explique le même, mais non pas l’autre.

Si les partisans de ces thèses font bon marché de

1. Il faut tenir compte de ce fait qu’une mutation accidentelle n’est pas une réalité indépendante surajoutée à un être : elle ne subsiste que dans et par la substance ; tout changement de ce genre suppose donc une mutabilité plus ou moins grande, mais réelle, dans la substance.