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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/377

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CRITICISME KANTIEN

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plus qu'à s’assurer si la Métaphysique vériûe les conditions trouvées (Dialectique transcendantale).

Esthétique transcendantale. — La Mathématique se compose de la géométrie, qui traite des déterminations de l’espace, et de l’arithmétique dont on pourrait montrer que, se fondant sur la notion de nombre, c’est-à-dire de succession, elle a pour objet les déterminations du temps. Kant se demande comment il se peut faire que les jugements synthétiques de ces deux sciences, quoique a priori, échappent aux démentis de l’expérience, se vérilient en elle, soient X objectifs ». — Si l’on pose d’un côté l’esprit, de l’autre une chose en soi, la question est insoluble ; on ne Aoit pas en effet pourquoi les choses obéiraient aux exigences de la pensée, à moins de supposer une harmonie préétablie entre elles et l’esprit, ce qui est un deus ex machina (Lettre à Herz, 21 févr. 1772). Mais on sait que la perception sensible n’atteint immédiatement que les phénomènes (voir supra, col. 735 ; Crit.*, j). 353, etc.) ; ce cjue nous appelons un objet ^ n’est rien autre qu’une certaine synthèse de sensations. Or, il faut dans un objet de ce genre distinguer deux éléments constitutifs, car nous avons en lui le résultat d’une collaboration où la chose en soi et le sujet peuvent chacun revendiquer leur part. Appelons avec Kant, par un souvenir d’Aristote, matière du phénomène ce qui vient de la chose en soi, et forme, ce qui est dû à l’action de l’esprit. Dans ces conditions, il existe un moyen — et un seul — de répondre à la question posée : il suffît en effet que l’esprit, dans ses jugements, se restreigne à la forme des phénomènes, c’est-à-dire à ce qu’il apporte luimême, à ce qui est sa contribution propre, pour qu’il puisse en spéculer d’avance et en juger a priori ; mais s’il en est ainsi, pour expliciuer le paradoxe de la Mathématique et justifier en droit les jugements qu’elle porte a priori sui* les déterminations de l’espace et du temps, il n y a qu'à reconnaître dans l’espace et dans le temps les formes respectives des phénomènes extérieurs et intérieurs, c’est-à-dire l’apport de la sensibilité elle-même ; ce qui reste, la sensation, mais la sensation brute, sera la matière. C’est à ce parti que se résout Kant, estimant qu’il n’y a pas d’autre moyen d’assigner à ce qu’il considère comme un fait sa raison nécessaire et sutRsante. {Crit.^, p. 68 sqq. ; etc.)

Suivant cette conception, il faut dire que les impressions reçues par la sensibilité — et provoquées par l’action des choses en soi (Crit.*, p. 3g sq., 63), nous sont d’abord données inétenducs et in temporelles ; c’est l’activité subjective pré-consciente, ou transcendantale, qui les développe spontanément (suivant des lois propres, identiques chez tous les hommes) dans l’espace et dans la durée. Alors seulement la conscience empiriijue, individuelle, en prend connaissance ; naïvement, elle croit se trouver en présence d’objets bruts, mais en fait, la Nature (=z ensemble des phénomènes) est en partie l'œuvre de l’esprit, elle porte son empreinte et lui reflète ses propres lois.

A la preuve qu’on vient de voir et qui mérite seule lenom de transcendantale, Kant ajoute d’autres arguments, tendant à démontrer directement quel’espace elle temps sonll>ienrt priori (Crit.^, i).66s<jq. ; 72 sqq.). La conclusion de rEsthétique transcendanlale n’est pas seulement quc l’impression sensible, sous peine de n'être jamais connue ou, ce qui revient au même, de n'être jamais un ol/Jet, devra se prêter à l'élaboration de l’activité subjective, se laisser informer à l’image de l’esprit ; ce n’est pas seulement que l’espace

1. Le mol objet a deux sens : phénomène et cliose en soi ; on l’emploiera toujours désormais dans le premier sens (voir CritJ, p. 28, 71 sq. surtout 82 et 83).

et le temps ne sont pas « des qualités réelles inhérentes aux choses en soi » (Prol., p. 63), mais une fonction de la sensibilité et un accommodement des phénomènes ; c’est encore et surtout que les jugements synthétiques a priori de la Mathématique n’ont de sens et ne peuvent avoir de valeur que lorsqu’ils se bornent aux objets de l’intuition sensible actuelle ou possible (Crit.^, p. 89). Ainsi, du point de vue de la sensibilité, on ne peut rien savoir des choses en soi, — si ce n’est qu’elles sont : « Pour apparaître, il faut être. » (Crit. p. 27.)

Analytique transcendantale. — Il existe une Physique pure, c’est-à-dire une science « qui présente fi priori et avec toute la nécessité requise pour les propositions apodictiques, les lois auxquelles la nature est soumise » (Prol., p. 85). Elle est composée de jugements synthétiques tels que ceux-ci : dans les changements, quelque chose demeure (principe de la permanence ou de la substance, Crit.*, p. 206 sqq.) ; ce qui arrive dans l’expérience a une cause (principe de la production ou de causalité, Crit.*, p. 2Il sqq.). On a donc le droit d’admettre comme existant tout ce que de pareils jugements supposent pour être légitimes. Mais quand on essaie de remonter à la soiirce de leur possibilité, quand on se demande à quel titre l’esprit peut porter sur le monde de l’expérience des jugements qui ne se bornent pas à énoncer un fait, mais qui, une fois pour toutes, formulent une loi que les événements futurs véi-ifient, on se trouve acculé à un dilemme ; car cet accord des lois de l’entendement avec celles de la nature ne peut se produire que pour deux raisons : c’est que la connaissance emprunte à la nature les lois qu’elle proclame (= le sujet est soumis à l’objet), ou que la nature est conditionnée par la connaissance (= l’objet est soumis au sujet). Crit.*, p. 123 sqq. ; Prol., p. 134 sq.

Crusius seul connaissait un troisième terme : <> un esprit qui ne peut ni se tromper ni nous tromper, aurait dès l’origine imprimé en nous ces lois de la nature » ; mais c’est une solution troj} simple, et l’on ne pourrait en ce cas, dit Kant, discerner ce qui vient de l’esprit de vérité et ce qui vient de l’esprit de mensonge (Prol, p. 134sq. ; voir encore une autre raison, Crit.^, p. 168).

Des deux hypothèses qui restent en présence, la première est contradictoire, par définition, puisqu’il s’agit de jugements a priori : force est donc bien d’admettre la seconde. Kant conclut : « c’est un principe — et si étrangement qu’il sonne d’abord à l’oreille, il n’en est pas moins certain — que l’entendement n’emprunte pas à la nature ses lois a priori, il les lui prescrit » (Prol., p. 135). — Telle est l’essence de la fameuse « déduction transcendantale ».

Kant ne veut pas dire par là que pour établir les lois de la nature on puisse toujours se passer de l’observation ; sa thèse ne vise que les lois les plus générales : tout ce qui est nécessaire pour vérifier les conditions de la connaissance peut être atrirmé a priori, mais c’est cela seul ([ui peut l'être. Vouloir anticiper non seulement la forme mais le contenu de l’expérience serait une entreprise contradictoire (Crit.^, 2' éd., p. 166 sqq. ; Prol., p. 132). — Ajoutons encore que ce n’est pas à l’esprit individuel que Kant attribue la qualité de législateur ; il en fait l’apanage de la nature humaine en général : celle-ci est, par sa constitution même, la source de la nécessité qui s’imprime sur les phénomènes, l’organisatrice de la nature qui s’impose ensuite à la conscience'.

1. Il faut distinguer une double application des catégories : a) préconscienle, mécanique, tra.iscendanlule ; b) consciente, réacchie, cnipirir/ue.

Par la première, on constitue l’objet ; par la seconde,

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