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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/378

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CRITICISME KANTIEN


Du coup, la notion d’objectivité est transformée : mérite d’être appelé objectif, ce qui vaut pour tous et pour chacun, ce qui est universel et nécessaire ; la subjectivité est la cause et la gai*antie de l’objectivité {Crit. S p. 167 sqq. ; ProL, p. 92 sq. ; 189 sq.) Après avoir au par quel raisonnement Kant arrive à suspendre la nature à l’esprit, il y aurait à étudier comment il s’efforce d’expliquer le mécanisme même de cette dépendance : c’est l’objet de la théorie du schématisme. Celle-ci a pour but de montrer comment certaines fonctions unificatrices de l’esprit (= : ^ catégories ) entrent enjeu, — quelle préparation ont du subir les impressions sensibles (même après que, sous l’action des formes, elles ont acquis de participer à l’étendue et à la durée) pour être accessibles à une élaboration ultérieure et apparaître enfin, devant la conscience, comme phénomène, c’est-à-dire comme objet. Mais toute cette machination transcendantale, aujourd’hui à peu près discréditée parmi les adeptes mêmes du Kantisme, nous intéresse peu ici. Directement, le succès ou l’insuccès du schématisme tel que Kant l’a construit, ne fait rien pour ou contre la position doctrinale qui a rendu un schématisme nécessaire’.

Une grande conséquence doit ressortir de l’Analytique ; on peut la formuler en deux thèses complémentaires :

a) La science, c’est-à-dire la connaissance, est nécessairement limitée à l’expérience actuelle ou possiljle. Son objectivité venant de ce que l’esprit lui-même pose les conditions de l’apparition des phénomènes, cette objectivité cesse dès qu’il s’agit des

« choses », lesquelles n’apparaissent pas, ne peuvent

apparaître. Ainsi l’on trouve tout à la fois ce qui garantit la science et ce qui la limite.

b) La métaphysique, s’occupant de ce qui n’apparaît pas, n’est pas une connaissance objective. On doit même dire qu’elle n’est pas une connaissance du tout : une connaissance implique un objet ; or on a vu qu’un objet est le résultat d’une fusion de Y intuition fournie par la sensibilité et du concept fourni par l’entendement ; mais la métaphysique, par définition, se prive de toute intuition sensible : elle reste donc en face de simples concepts. — La raison croit spéculer sur l’Etre, mais elle spécule sur ses propres « idées » ; ses démarches sont dialectiques, ce qui, chez Kant, signifie illusoires (Cr/L’, p. 291).

Dialectique transcendantale. — Si les conclusions de l’Analytique sont vraies, on doit pouvoir, pense Kant, les corroborer par une étude directe de la Métaphysique. Pour cela il n’y a qu’à dresser la table complète des « idées » où la raison aboutit quand elle pousse ses « concepts » au delà de l’intuition (usage transcendant), et à en faire la critique. Ces idées sont au nombre de trois : celle du moi, celle du monde, celle de Dieu. En d’autres termes, la Métaphysique comprend une psychologie, une cosmologie et une théodicée rationnelles, qu’il faut examiner successivement.

a) Psychologie rationnelle (Crit.*, p. 821 à 3’j6 ; ProL, p. 162 sqq.). — Nous parlons couramment du moi, et en un sens nous faisotis bien ; c’est là, pense Kant, une réalité indéniable (v. Cril. 2= éd., p. 158 ; i^*-’éd., p. 346 et 88). Mais il faut tout de suite reconnaître que l’expression est équivoque. Nous avons

on le connaît. La vérité consiste dans la coïncidence de ces deux usages de la raison. L’erreur vient de l’action perturbatrice de la sensibilité [Crit. l, p. 291 sqq.).

1. Cf. pour compléter l’exposilion de l’Analytique, et du Schématisme en jiarticulier, l’article : La ihcorie de Vexptrience d’après Kant, par A. Vale.nsin, dans la Reçue de Philosophie, juillet 1908.

appris par l’Esthétique transcendantale que les phénomènes intérieurs nous apparaissent sous la forme du temps, étirés pour ainsi dire dans la durée : ainsi, le moi ne s’apparaît jîas à lui-même comme il est en soi, dans son essence métaphysique, dans son existence nouménale, mais comme moi empirique (Crit.’, p. 162, 86 ; crit.’^, p. 6 et 7). C’est de ce moi-là que parle le sens commun. Mais du moi pur, que savons-nous, que pouvons-nous savoir ? une chose seulement, et c’est négatif : c’est qu’il est la condition de la connaissance, son supposé nécessaire. Est-ilune substance, nel’est-il pas, est-il matériel ou spii’ituel, mortel ou immortel ? Autant de questions auxquelles, suivant Kant, il est impossible de répondre, car ni l’analyse ni l’expérience ne sauraient nous renseigner. D’une part en effet on ne peut extraire de la notion de « condition » celle de « substance », puisque ces deux notions sont adéquatement distinctes ; mais d’autre part on ne peut davantage espérer se donner l’intuition du moi pur, puisqu’il ne saurait y avoir d’intuition en dehors des lois mêmes de l’intuition (espace et temps).

Mais si nous ne pouvons arriver, lorsqu’il s’agit du moi, à la notion de substance, a fortiori et en conséquence ne pouvons-nous parvenir à en déterminer légitimement les autres attributs, puisqu’ils supposent la substance : une déduction de ce genre est donc toute verbale. C’est de ce point de vue que Kant critique les arguments classiques pour la substantialité, la simplicité et la personnalité du moi ; — ce sont-là, dit-il, autant de pai-alogismes transcendantaux.

b) Cosmologie rationnelle (Crit.^, p. 3’; 6 sqq. ; ProL, p. l’ji sqq.). — La raison, s’exerçant sur l’idée du monde, démontre rigoureusement, à l’aide de principes universellement reconnus, des thèses contradictoires, ou antinomies.

i""" antinomie (Crit.*, p. 388 sqq.). Thèse : Le monde a un commencement dans le temps et est limité dans l’espace.

Preuve : Si le monde n’a pas commencé dans le temps, il faut admettre que le moment présent a été précédé par une série infinie de phénomènes, actuellement achevée ; ce qui est contradictoire (Démonstration analogue pour l’espace).

Antithèse : Le monde n’a ni commencement dans le temps ni limite dans l’espace.

Preuve : Ce qui se pi-oduit dans le temps est nécessairement daté, c’est-à-dire situé dans vine série par rapport à des événements antérieurs. Mais le commencement du monde ne peut être daté que par rapport à un temps vide (= : o) ; c’est dire qu’il n’est pas daté du tout ; il ne s’est donc jamais produit et le monde n’a pas commencé (Dém. analogue pour l’espace).

2° antinomie (ib. p. 894 sqq.). Thèse : Toute substance composée est composée de parties simples, et il n’existe rien qui ne soit simple ou composé de parties simples.

Preuve : S’il n’en était pas ainsi, supprimez par la pensée toute composition, il ne reste rien, ce qui est absurde.

Antithèse : Nul composé ne consiste en parties simples et il n existe rien de simple dans le monde.

Preuve : Il est de l’essence de l’étendue d’être indéfiniment divisible ; et comme les substances sont étendues, elles sont donc indéfinimevt divisibles ; mais rien de ce qui est divisible n’est simple ; donc…

3° antinomie (ib. p. /Joo sqq.). Thèse : Il faut nécessairement admettre pour expliquer le monde une causalité libre.

Preuve : Autrement l’on n’arrive jamais à une cause première, ce qui est absurde.

Antithèse : L’ne causalité libre est inadmissible.