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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/386

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CRITICISME KANTIEN

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lente : « l’être parfait est nécessaire [B] ». Ainsi, les deux propositions A et B, malgré l’identité apparente de leur énoncé, diffèrent foncièrement entre elles, comme une proposition purement logique diffère d’une proposition existentielle. User de leur ressemblance verbale pour ramener l’argument cosmologique à l’argument ontologique, c’est donc commettre un sophisme. C’est ce que fait Kant.

B. Le criticisme moral.

rt) Erreur fondamentale. — Il est absolument indispensable à la morale Kantienne d’établir sa propre nécessité. En raison même du caractère nouveau et paradoxal qu’enferme l’entreprise de fonder une Ethique purement formelle, c’est-à-dire où la considération du bien ou du bonheur n’ait qu’un rôle secondaire et dérivé, Kant doit — et il l’a bien compris — promer qu’aucune considération de ce genre ne saurait servir de base à une morale. La solution kantienne ne peut se proposer : elle n’a que la ressource de s’imposer ; elle est intelligible si elle est inévitable. — Or loin de nous avoir contraint à admettre sa solution malgré son étrangeté, Kant a échoué dans l’entreprise de lui frayer un accès : un principe de morale matérielle reste debout : Veiidémonisme péripatéticien n’a pas été réfuté. (Ainsi, Ueberweg, Geschichte, g" éd., p. 8^9 ; Zeller, Vortrâge u. Abhandlungen, III, p. i-jS ; A-oir Trexdelex-BURG, Der Widerstreit zw. K. u. Arist. in der Ethik, Hist. Beitrâge, III ; Cathrein, Moral philosophie, -2’éd. I, p. 204 sqq.)

Kant concède qu’  « il y aune fin que l’on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables…, un but que tous se proposent effectivement en vertu d’une nécessité naturelle, et (que) ce but est le bonheur » (Fond., p. 127). Il concède également que, en ce cas, tout impératif qui commande de vouloir le moyen est analytique (ibid., p. 131 sq.) et que « sur la possibilité d’un impératif de ce genre, il n’y a pas l’ombre d un doute » (iOid., p. 1 33). Seulement, pour Kant cette possibilité est théorique ; en fait, ces impératifs « ne peuvent commander en rien y>{iO., p. 182), ils conseillent ; ce sont des impératifs de prudence. Et la raison en est qu’on ne peut, dit Kant, déterminer avec certitude et précision ni ce qu’est le bonheiu" ni ce qui conduit au bonheur (ib., p. 133). Le bonheur est en effet, suivant lui, « un idéal, non de la raison, mais de l’imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques » (/. c.) et A’ariable avec les sensibilités. Quant à déterminer ce qui l’engendre, « il faudi-ait pour cela l’oniniscience » (/. c), capable de calculer toutes les suites de chacun de nos actes.

Or, i) il est faux qu’on ne puisse déterminer avec précision la nature du bonheur auquel aspire toute créature raisonnable. En effet, qui ne s’est pas fermé, par une critique destructive, le champ des considérations métaphysiques, n’a pas de peine, en s’élevant au-dessus du sensible et de l’empirique, à découvrir que le bonheur parfait consiste nécessairement dans la possession de Dieu (voir S. Thomas, 1.2 » ^, q. 2 et 3 ; Sum, c. gentes, 1. 3, c. 26 à 3^ et 63) ; — 2) il est faux qu’on ne puisse rattacher a^ec certitude au bonheur aucun acte humain. Cela sans doute est impossible tant qu’avec Kant on conçoit le bonheur comme une satisfaction de la sensibilité (Crit.^, p. 31 sq., surtout 40, 40 Pt qu’on cherche à déterminer quelle espèce d’actes est de nature à le produire, pour ainsi dire, automatiquement. Mais si le bonheur est dans la possession de Dieu, le problème revient simplement à se demander à quelle sorte d’actes Dieu a attaché le don ineffable de lui-même et il est possible de

montrer que c’est aux actes moralement bons (voir S. Thomas, i. 2="^, q. 5, a. ;).

L’exposé des considérations qui fondent cette doctrine ne nous incombe point ici’ ; il nous sutlit pour l’instant de pouvoir dire, en nous référant à elle, que la philosophie chrétienne renferme une solution du problème déclaré par Kant insoluble. Et comme cette solution est certaine, le principe de la morale kantienne n’est pas seulement une hypothèse sans raison d’être, c’est encore nécessairement une hypothèse fausse.

//) Indications concernant quelques points secondaires.

1. L’impératif catégorique ne s’adresse à personne.

— Il semble évident que Kant n’est pas arrivé à dominer l’idée qu’il se faisait des rapports de l’obligation avec la volonté et la liberté. Telle qu’elle se présente à nous, sa doctrine est grosse de contradictions : la clarifier, c’est la détruire.

C’est le noumène qui est libre, et c’est lui sans doute qui est l’obligé. Les actes qui se succèdent dans le temps sont la monnaie de l’acte nouménal ; la série est libre, les éléments ne le sont pas. Cela revient à dire que l’obligation n’a rien à voir avec notre monde, qu’il n’y a pas de morale pour nous qui en parlons.

— Ou bien l’on pose, ce qui semble moins conforme à la pensée kantienne, que c’est le phénomène qui est obligé. On aboutit alors à ces contradictions : c’est le noumène qui est libre et le phénomène qui est obligé, lequel d’ailleurs ne saurait l’être, n’étant pas libre. — Que si enfin, quelqu’un s’avisait de soutenir que c’est l’homme à la fois nouménal et phénoménal qui est le sujet indivisible de l’obligation, il est clair que celui-là ne dirait rien 2.

2. La moralité est déterminée d’une façon incohérente. — Kant détermine en principe la moralité des actes par l’aptitude de leur maxime à être érigée en loi universelle ; en fait, il ne peut se tenir à ce point de vue, et il juge de la moralité par les conséquences. (Ce point est bien mis en relief, avec plus de développements que nous ne pouvons en donner, par Wix-DELBAND, Gesc/i. d. ueueren Philosophie, ’2^éà., i^ol, , p. 115 sqq. ; Zeller, Vortrâge, pp. 16") sqq. 179 ; Cathrein, Moralphilosophie, 1^ éd., i, p. 207 sq.)

— Comment reconnait-on en effet qu’une action est susceptible d’être érigée en loi universelle ? « A cette question, le principe de Kant ne donne aucune réponse, et même il ne peut en donner, car il est un principe purement formel, étranger à toute considération d’un but ou d’un résultat » (Zeller, /. c). Il faut donc recourir à l’expérience, et Kant ne fait pas autre chose quand il s’agit de déduire des devoirs nouveaux déterminés. Le critérium, essayé d’abord, et placé dans la contradiction logique qu’impliquerait l’universalisation d’une maxime, est souvent trompeur : l’égoïsme, par exemple, transformé en loi, n’a rien d’absurde ; il est pourtant — et de l’aveu même de Kant, — immoral.

3. L’autonomie kantienne ne peut rendre compte de l’obligation. — Selon Kant, le fondement ou la source de l’obligation est dans la nature humaine elle-même, dans la nécessité morale où se trouve l’homme

1. Voir article Obligation.

2. Que Kant n’ait pas eu des idées nettes sur sa propre conception de la liberté, cela ressort des contradictions expresses où il tombe quand il en parle, regardant la liberté tantôt comme un fait, tantôt comme un postulat. Voir sur ce point Sænger, hauts Lehre i-om Glauben, Leij)zig, 1903, p. 112. (D’autres contradictions sont notées, pp. 40, 68, 81, 116 sq.)