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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/387

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CRITICISME KANTIEN’bS

de s’unifier intérieurement, de ratifier par sa volonté sensible l’attrait de sa volonté intelligible, et Ton pourrait dire, de vouloir ce qu’il veut.

Or, cette vue renferme un élément de vérité, et c’est sans doute ce qui, en elle, a séduit tant d’esprits. Trop souvent, des exposés indiscrets de la doctrine traditionnelle ont représenté l’obligation comme fondée simplement sur un commandement tout extérieur ; comme si l’obligation ne devait pas avoir, sous peine d’èlre sans prise alors même qu’elle ne serait pas sans sanction, un point d’attache et d’appui dans la nature elle-même. C’était prêter à l’objection si souvent reproduite, et que nous retrouvons encore chez Zeller : si l’obligation vient de ce que Dieu commande, il faut démontrer l’obligation d obéir au commandement de Dieu (T 07’^/Y/ « ^e…, III, p. 182). Et en effet l’obligation (ou nécessité morale absolue de vouloir quelque chose) est inintelligible, si elle ne se fonde pas sur un vouloir primitif et nécessaire, inséparable de la nature humaine. Alors seulement peut s’expliquer la nécessité disjonctive (qui est l’essence de l’obligation) : ou faire ce qui m’est commandé, — ou renier, par un acte libre de ma volonté, ce vers quoi ma nature tend nécessairement comme vers sa fin, c’est-à-dire, ce que je ne peux pas ne pas vouloir. — Ainsi, l’obligation n’est pas, suivant la doctrine traditionnelle, le résultat d’un commandement sans plus. Pour qu’à un commandement réponde l’obligation, non seulement en droit, mais en fait, il faut encore que l’ordre extérieurement intimé rencontre une connivence intime et comme une complicité dans la nature. En ce sens, l’homme ne subit pas de contrainte tout extérieure : il est autonome. Mais cette autonomie est bien différente de l’autonomie kantienne ; loin de se suffire, elle nous force à aller plus loin ; car il faut encore assigner la cause de cette connivence intérieure, en répondant à la double question :

d) D’où A-ient cette tendance nécessaire, ce vouloir foncier et inéluctable imprimé dans la nature humaine et qui servira de point d’appui à une obligation ?

h) D’où vient que telle et telle action sont liées efficacement à l’assouvissement de cette tendance, et sont par là même obligatoires ?

Or on doit répondre :

a) Que c’est Dieu qui, en créant notre nature, a imprimé en elle l’inéluctable désir de la béatitude.

b) Que c’est encore lui — et ce ne peut être que lui — qui a relié efficacement la réalisation de ce désir, c’est-à-dire la donation de lui-même, à l’accomplissement par nous de certains actes.

Ainsi, Dieu est la source dernière de l’obligation. La volonté de l’homme obéit à la volonté de Dieu, elle est hétéronome. S’en tenir à l’autonomie, c’est rendre l’obligation inintelligible.

Le kantisme jugé par ses conséquences. — Comme système, le kantisme devait donner naissance à l’idéalisme absolu. Il suffisait pour cela de supprimer la « chose en soi », quitte à déduire de l’esprit lui-même cette donnée première, que Kant demandait à l’action mystérieuse et contradictoire d’un noumène. Sous les yeux du maître vieilli, qui protestait, Fichte opéra cette transformalion. — De rares pliih)soplies, avec Herbaht. restent fidèles au réalisme inconséquent de Kant (de nos jours, par exemple, A. Rieiil, Lugik u. Erkcnntnistheorie, dans Systemulische Philosophie, BtrVm, igo’j ; PoiNCARÉ, La valeur de la science, p. 262) ; mais la grande majorité suit Fichte dans son virement idéaliste (Sciielling, Hegel, SciiorENHAUER ; plus près de nous, Renouvieu, I.e Personalisme, V ; voir Essais de Phil. générale, 185(j. 2’essai, p. 7 ; La-CHELiER, De Vinduction, Alcan, 1896, p. 118etpassim ; A. Sabatier, Esquisse d’une Phil. de la Religion,

p. 3y6 ; Le Roy, Dogme et critique, p. aSG, note ; 161 sqq., etc. ; Bergson, E évolution créatrice, p. 228).

Par ailleurs, en retirant à la conscience l’intuition du moi pur ou nouménal, Kant rendait la nature de celui-ci mystérieuse ; et il avait beau, par la suite, arriver à lui attribuer une liberté et l’immortalité même, on ne voyait pas clairement de quel droit ; Kant lui-même s’y embrouillait (voir S.4.exger, 1. c, p. 112) ; surtout on ne comprenait pas la nécessité d’admettre autant de moi purs qu’il y a de moi empiriques, et même on voyait plutôt la nécessité contraire. C’est dire que le Kantisme, en laissant obscure et délibérément pendante la question de la nature du moi, ouvrait la voie au panthéisme : il n’y a, dira celui-ci, qu’un moi pur, lequel s’apparaît à lui-même, grâce aux formes de l’intuition, sous l’aspect de la multiplicité ; on peut l’appeler Dieu (Fichte l’appela le moi ; Hegel, l’esprit ou /’/(/e’e ; Schopexhauer, la Volonté : Hartmaxx, l’Inconscient). Le Panthéisme complétait ainsi l’Idéalisme absolu, qu’il suppose.

Cette conclusion fut encore tirée d’un autre point de vue. En effet la théorie subjectiviste de l’espace et du temps parut conduire au monisme. On raisonna ainsi : La multiplicité suppose l’espace ou le temps ; supprimez l’un et l’autre, tout se confond, rien n’est distingué ; l’espace et le temps sont, dira Schopenhauer, le vrai « principium individuationis ». Mais alors, en dehors du temps et de l’espace, lesquels ne concernent que les phénomènes, au point de vue métaphysique, ontologique, il n’y a qu’un être. Ainsi l’idéalité transcendantale de l’espace et du temps parut entraîner la vérité du monisme. (Voir sur ce point, K. Fischer, GescA. d. n. Philosophie, 2"^ édit., Kant. III, p. 302 ; Rev. G. Gallaavay : (vhat do religions Thinkers oire to liant, dans le Hibhert Journal, avril 1907, p. 658 ; — on peut indiquer comme point d’attache à la déduction du monisme : Critique^, p. 268, où l’objet transcendant est dit être d’une seule espèce leinerleil pour tous les phénomènes.)

Enfin, on doit voir ici le point de départ de Vlmmanentisme décrit dans l’Encjclique Pascendi. Schleiermacher, qui en est le vrai père, avait remarqué le paralogisme, par lequel Kant attril)uait à l’Etre en soi la pluralité numérique qui est le fait de la conscience sensible. Pour être conséquent, le Kantisme devait se borner, selon lui, à affirmer l’immanence de l’être infini dans les individualités apparentes. Quant au rapport qui existe entre ces individualités et l’être infini, c’est dans un sentiment sui gêner is que nous en prendrions conscience, el ce sentiment est, pour Schleicrmaclier, l’essence même de la religion. (Cf. V. Delbos, Schleiermacher, p. 335 de l’ouvrage intitulé : Le problème moral dans la phil. de Spinoza, Paris, Alcan, 1893.)

Conclusion.

Le Kantisme est mort, du moins comme système ; l’esprit du Kantisme vit toujours. Non seulement il anime les philosophies qui professent de ne plus s’en tenir au criticisme, mais il pénètre la pensée de savants, de littérateurs et même de théologiens, qui n’ont pas eu le goiit d’étudier le système ou qui auraient manqué de préparation pour le comprendre. C’est cet esprit, diffus et insaisissable, que nous avons essayé de ramener à quehiues formules (voir supra, col. 748) dont le sens plénier doit être demandé à tout ce qui les précède. Ces formules ne se réfutent pas ; elles sont elles-mêmes des conclusions, dont nous avons examiné les prémisses. — On aurait pu en ajouter d’autres, et signaler aussi les vérités que le kantisme apportait avec lui et qu’il a contribué à répandre : on a jugé préférable de marquer seulement ici, et le plus nettement possible, ce par quoi il se