Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

811

CRITIQUE BIBLIQUE

812

giste ont empêché l’historien de voir tout ce qu’il y a dans les textes, et de n’y Aoir que ce qu’il y a. Un exemple récent et topique de cet état d’esj^rit se peut constater dans la Theol. Literaturzeitung, 16 janv. 1909, p. 51, où M. Harxack rend compte de l’ouvrage de Mgr Batiffol, l’EgUæ naissante et le catholicisme, 190g. Voir dans la Revue du Clergé franc., 15 avril 1909, la réponse de celui-ci.

Il est exact que le croyant aborde l'étude critique de la Bible avec la conviction que ce livre n’est pas de tous points comme les autres ; il croit à son caractère divin et au droit de l’Eglise de l’interpréter authentiquement. Mais cette croyance ne s’oppose pas à ce qu’on en fasse une étude méthodique et réellement scientifiqrie. Pour être inspirée de Dieu, la Bible n’en reste pas moins un texte humain, un document historique, à interpréter d’après les règles de l’herméneutique rationnelle. Or, c’est précisément par ce côté que le texte sacré relève de la critique. Quand il les envisage en historien, le crojant ne nie pas l’autorité divine des Ecritures, mais il en fait abstraction ; et, pour autant, il soustrait sa ci-itique aux influences de sa foi. C’est de la sorte que procède l’apologiste chrétien dans le traité de la Religion révélée. Sans cercle vicieux ni pétition de principe, il prétend fonder une démonstration scientitîque du christianisme sur les Evangiles, bien qu’il croie déjà à l’autorité particulière que ces mêmes textes tiennent de la vérité du christianisme. Seulement, ce n’est pas à cette foi qu’il demande son point de départ, ni la force probante de ses raisons. Si, avant toute étude critique, le crojant reconnaît à la Bible une autorité irréfragable, c’est qu’il pense avoir, antérieurement à la démonstration scientifique pi-oprement dite, des motifs sutTisants de prendre cette attitude. Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans plus d’explications.

Il faut répondre pour tant à ime difficulté que cette position même du critique croyant ne manque pas de souleA’er contre l’autorité de son exégèse et conséquemment contre la valeur de l’apologétique que l’on prétend y appuyer. Peut-il faire œuvre scientifique, celui qui, se sentant lié parle sentiment traditionnel, sait d’avance le résultat de ses recherches ? Bien plus, y a-t-il recherche sérieuse, au sens vrai du mot, quand on a touché au but avant que d'être parti ? — Tout d’abord, je suppose admis que, pour passer de la connaissance rudimentaire (celle qui résulte de l’observation directe et de l’expérience quotidienne) à la démonstration scientifique, il n’est pas nécessaire de nier, ni même de mettre réellement en doute les données certaines de cette connaissance préalable. Et pareillement, l’on peut se représenter et justifier le processus psychologique, d’après lequel la démonstration scientifique se surajoute normalement dans le croyant à la connaissance de foi. En outre, il est faux de prétendre que l’exégète crojant connaît d’avance les conclusions de l'étude qu’il entreprend. Quand le dogme reste muet, quand le sentiment traditionnel n’est ni unanime ni ferme, il garde toute sa liberté de recherche. Même dans les questions auiquelles l’enseignement dogmatique a déjà fait une réponse, l’apologiste n’a pas, comme on dit, touché le but avant que d'être parti ; puisque, à bien comprendre les choses, il ignore, en partant, jusqu’où le conduira la démonstration scientifique. Comme chrétien, et à cause du péché originel, il admet, antérieurement à la recherche scientifique, que tous les hommes, qui sont actuellement sur la terre, descendent d’un premier couple humain, selon ce qui est dit au commencement de la Genèse ; mais il s’en faut que, comme savant, il conclue au monogénisme avec la même certitude. Dans cette direction, il ira aussi loin que l’anthropologie et la paléontologie le lui permet tront, mais il s’interdira de pousser plus avant, sous prétexte de rejoindre les données de sa foi. L’apologiste chrétien sait convenir que si les sciences ne font pas au dogne une opposition insurmontable, elles ne lui donnent pas toujours un confirmatur positif et certain. Le concile du Vatican, Const. Dei Filius, cap. IV, et l’encyclique Prond. Deus, Dv.yzJ'^, i^gô1800 et 1942, ont expressément reconnu l’autonomie des sciences humaines au regard du dogme, la distinction entre la connaissance de foi et la connaissance scientifique, comme aussi la difi'érence des résultats (ce qui ne ei pas dire opposition), obtenus jiar l’une et 1 autre voie. Cf. Vacant, Etudes sur le concile de Vatican, 1895, II, p. 2^6, et Mgr BaudrilLART, Principe et esprit modernes, principe et esprit chrétiens, 1907, p. 2'6-2^.

Il est exact que le savant catholique reste constamment disposé à refuser son assentiment à toute con- clusion incompatible avec le dogme, alors niêrne qu’elle semblerait correctement obtenue d’après la méthode propre de quelque science. Mais cette disposition d’esprit ne diminue pas réellement son indépendance scientifique. Car enfin cette indépendance a des limites, celles-là mêmes que lui trace la vérité déjà connue, d’où que soit venue cette connaissance. Dans le domaine des hypothèses, il en est que l’on ne peut faire qu'à la condition de les tenir pour impossibles. Quel est l’historien qui ne se croirait plus la liberté sutfisante pour entreprendre une histoire critique des campagnes de Napoléon I", parce cju’il sait d’avance l’issue de la bataille de Waterloo ? Voii" les propos. 23, 24 et 58 du décret du S. Oflice Lamentabili sane exitu, 3 juil. 1907 ; Dexz.^^, 2023, 2024, 2058, avec le commentaire qu’en a donné le P. Lagrange, , Revue bibl., 1907, p. 543. Il n’est peut-être pas | inutile de faire observer qu’ici encore il y a une ! différence entre le croyant et l’incroyant. Celui-ci, ; aA’ant que de critiquer les documents, prend positi- > vement position contre le surnaturel ; celui-là, au) contraire, peut se contenter d’une attitude négative : il ne voit rien d’impossible à ce que Dieu intervienne directement dans les affaires de ce monde. Est-il intervenu en effet ? Aux documents de le dire.

L) Pour prétendre que c’est méconnaître la valeur de la raison et de la science que de les soumettre au contrôle de la foi, il faut confondre la raison et la science avec les savants, leurs conclusions et leurs systèmes. « Chez le Aulgaire, la superstition de la science est plus ou moins justifiée ; chez le savant, qui fait la science, elle suppose une grande faiblesse d’esprit doublée de pédantisme, l’ignorance Aoulue de la valeur des méthodes et de l’histoiredes variations scientifiques. » L. DE LA Vallée-Poussix, Le Bouddhisme et l’Apologétique dans la Revue prat. d’Apolog., 1908, t. Vil, p. 117. Ces lignes sont d’un savant. Les écrivains dits « modernistes » se distinguent entre tous par une confiance naïve et sans réserve dans les méthodes et les résultats de la science. En lisant les publications de M. Loisy, notamment ses Simples réflexions sur le décret du S. Office (1908), on reste déconcerté de l’assurance avec laquelle il cite au tribunal sans appel de la critique le dogme, la théologie, la tradition, tout le passé. C’est substituer l’infaillibilité des savants à celle de l’Eglise. Dans cette disposition d’esprit, on prend instinctivcment parti contre le document biblique quand il entre en conflit avec quelque document profane. On sait que S. Luc, Act., V, 36, et l’historien Flavius Josèphe, Ant. jud., XX, V, I, semblent se contredire au sujet deTheudas. Or, en lisant l'étude consacrée par M. le prof. SchmieDEL à ce sujet, Encyclop. biblica (Cheyne), 5049, on constate qu’il est acquis d’avance qiie Josèphe ne saurait avoir tort ; en réalité, la seule question cpie l’on