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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/45

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AGNOSTICISME

saints. Bossuet a trouvé le mot juste contre les pseudo-mystiques de son temps « qui sous prétexte qu’en un certain sens on attribue à Dieu plus de perfections dans les notions les plus générales (être, vérité, bonté, perfection) excluaient de la contemplation celles qui sont plus particulières, comme celles de la justice, de la clémence et de la sainteté » : l’objet de notre foi, dit-il, ce sont les articles du symbole :

« que s’ils sont l’objet de notre foi en tout état, 

ils le sont aussi dans la contemplation, dont la foi est le fondement ; et on ne peut s'élever au-dessus delà foi, qui nous les propose, que par une fausse et imaginaire transcendance » (Etats d’oraison, tr. i, lib. 2, '7 sq.). Remarquez d’ailleurs que les modernistes errent plus que les quiétistes ; ces derniers ne s’interdisaient pas les atrirmations sur Dieu au sens objectif, et ils donnaient des descriptions exactes de l'être illimité, etc. M. Tyrrell ne peut et ne veut rien faire de semblable.

Spencer a écrit, en s’inspirant de cpielques phrases des mystifjues : « Construire sans lin des idées qui exigent l’effort le plus énergique de nos facultés et découvrir perpétuellement que ces idées ne sont <pie de futiles imaginations, et qu’il faut les abandonner, telle est la tàclic qui, plus que toute autre, nous fait comprendre la grandeur de ce que nous nous efforçons en vain de saisir. » Il n’y a là que deux mots de trop : futiles imaginations. Mais ces deux mots font partie intégrante de la prétendue mj’stjque de M. Tyrrell. Imaginations.' M. Tyrrell concède le mot, nous l’avons vu : la formule trinitaire

« a une valeur d’imagination » ; mais il chicanera

sur le mot futiles.

Pour rendre Je mot « inaagination « vraisemblable, M. Tyrrell note les expressions ligurées ignis, aqua, qui se disent de l’Esprit-Saint. Il eût pu en ajouter plusieurs autres, qui allaient encore mieux à sa thèse : spiritalis unctio, dulce refrigeriam : voilà qui semble bien n’exprimer directement qu’une impression subjective, une réaction mentale ! Mais M. Tyrrell a dû ajjprendre au collège que les expressions ligurées ne sont pas des termes propres ; il doit savoir aussi que l’Eglise, interprète infaillible du sens des Ecritures, fait une grande différence entre les termes [tropres et les termes figures des Livres saints. Mais la confusion des termes lui sert à sauver le mot ^ imagination w, dont il a besoin. Ce mot lui permet de dire aux protestants libéraux, qui le citent aujourd’hui comme une autorité en psychologie religieuse : » Ma doctrine de la valeur d’imagiiuition des formules religieuses réduit l’objet de la foi à la seule réalité divine, et, par là, relègue tous les dogmes dans le donuiine du « théologisme » — dérivé, d’après lui, de theologia, comme sophisme de « j-ik. Aux catholi<pies, il répondra que si, pour lui, les formules n’ont qu’une valeur d’imagination, nous le calomnions en soutenant que, dans son système, elles sont futiles : «. La formule trinitaire a une valeur d’imagination, de dévotion et pratique ; elle indirpie d’une manière obscure une vérité qui ne peut se délinir et qui cependant exclut rUnitarianismeetc. » Cf. les vues analogues de M. Loisy dans Eludes sur le décret Lanientubili, édit. de YUui’crs, août 1907.

Ne laissons pas se déplacer la question. Nous appelons futiles les iujaginations, quelles qu’elles soient, qui n’ont pas de lien objectif déterminé avec la réalité objective qu’elles servent à désigner ; et nous ajoutons, sans qu’il soit besoin d’y insister après tout ce que nous avons dit sur la religion de Kant et de Spencer, que la dévotion et la pratique qui n’ont pas d’autre fondement que de telles imaginations, sont chimériques. Or M. Tyrrell nie de toute façon

un lien objectif déterminé entre les « images » des énoncés propliétiques et la réalité divine. La formule de Xicée est énoncée en « catégories alexandrines et platoniciennes » qui n’ont plus de sens pour nous {Scylla, p. 338). Il répète sur le mot « Verbe » des sophismes que déjà S. Cyrille d’Alexandi’ie réfutait chez un hérétique de son temps (p. 342) : « Que ce grand logicien nous démontre que le mot Verbe n’est pas le nom propre du Fils, et qu’il contredise à l’Ecriture et au bienheureux Jean qui a connu que le nom le plus convenable et propre du Fils de Dieu est de l’appeler Verbe, lorsqu’il a écrit : In principio erat Verhuin » (Thesaur., 'j, 2). Oui ou non, M. Tyrrell admet-il que ce qui est écrit dans l’Ecriture est écrit ? Oui, comme Maïmonide et Mansel ; mais il glose : « Les analogies auxquelles on a recours (paternité, filiation etc.) sont aussi variables que les institutions sociales de l’humanité », et par conséquent elles ne peuvent rien nous apprendre de déterminé sur Dieu en soi. Ce qui est écrit dans l’Ecriture est écrit, et il faut le répéter avec dévotion ; mais, pense-t-il, on aurait tout aussi bien pu écrire autre chose : « Je ne pense pas, dit-il, qu’on puisse contester que maternité par exemple serait sous certains rapports un symbole de la divinité sans sexe aussi bon que celui de paternité. » (Revue pratique d’apologétique, 1 5 juillet 1907, p. 5 10.) Et après cette trouvaille, que seul sans doute pouvait faire un habitué de la sublimité divine, viennent des considérations gynécologiques, qui m’ont remis en mémoire le plérome inconnaissable de ces gnostiques, dont M. Tyrrell a regretté un jour l'écrasement par l’intellectualisme des Pères. Eh bien ! ici, pour une fois, M. Tyrrell a raison : Nous ne pouvons pas contester, nous ne pouvons que nier, de toute notre àme. Il ne s’agit pas seulement de conserver le mot du symbole : Dieu s'étant nommé Père, c’est Père qu’il faut dire ; c’est ce qu’il veut que nous pensions de lui. Il ne s’agit pas seulement de croire que Père est l’expression la plus approchée, celle qui nous suggère, d’une façon obscure, le moins mal possible, ce qu’est la réalité. Cela ne suffit pas : Dieu s'étant nommé Père, puisqu’il ne peut ni se tromper ni nous tromper, c’est Père qu’il est : ab eo quod res est aut non est, oratio dicitur vera vel falsa. Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, en soi, sans erreur, sans chicane, que vous y pensiez ou que vous n’y pensiez pas. Il l'était, avant de s'être révélé tel ; il l’est, indépendamment de tous les marivaudages psychologiques auxquels il vovis siéra de vous anuiser.

L'échappatoire « de la valeur de dévotion et pratique » est nulle. D’abord, M. Tyrrell suppose que, lorsque nous récitons le syud>ole, il s’agit de « satisfaire le besoin d’exprimer la plénitude de notre àme ». Mais nous pouvons réciter le Symbole lorsque nous sommes tentés violemment contre la foi, et nous le récitons avec une vraie foi, même lorsque nous avons péché (Conc. de Trente, sess. 6, can. 28, Denz., 838 (720)). De plus, les plus ignorants comme les plus savants distinguent très bien l’acte de foi de leur prière du soir, par exemple de l’audition des vêpres dans une langue qu’ils n’entendent pas. M. Tyrrell réduit toute la piété chrétienne à l'émotion qu’il imagine chez les religieuses qui chantent en latin, sans avoir appris cette langue, les psaumes de l’office. Il sait pourtant que toute la religion n’est pas là ; il a dû lire dans S. François de Sales que ces religieuses pensent positivement à Dieu, et non i)as seulement par dénominations extrinsèques et par périphrases. Nous savons d’ailleurs assez que ceux de nos contemporains qui n’ont pas d’autre connaissance de Dieu, que celle où M. Tyrrell voudrait tous nous réduire, n'éprouvent guère le besoin d'épancher, ni aux