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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/478

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DETERMINISME

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condition essentielle, la présence simultanée de deux termes, d’une alternative. Tous les cas de monoïdéisme absolu sont donc incompatibles avec l’exercice normal de la liberté ; et si la débilité mentale ou l’hypnose profonde font vraiment aboutir au monoïdéisme absolu, il est manifeste qu’il ne peut plus être question de liberté.

Mais qu’en conclure, sinon que le fonctionnement normal de la volonté, comme celui de l’intelligence, ne se réalise que dans une mentalité normale ? Il serait naïf d’y contredire. Nous n’attribuons l’exercice de la liberté qu’à l’homme normal, et pour celui-ci les lois psychologiques, notamment celles de l’association, sont loin d’établir le déterminisme.

Ce qu’il faut obtenir, c’est la présence simultanée des deux images opposées. Il est constaté que, dans les circonstances ordinaires de la vie, nous nous laissons guider par le jeu naturel des états mentaux qui se succèdent. Nous vivons par la surface de notre àme, par la « croûte » solide d’associations acquises et d’habitudes pratiques qui recouvrent les ressources foncières de notre mentalité. Il serait exagéré de prétendre que dans ces circonstances nous ne sommes pas libres ; mais au moins ne découvre-t-on pas dans ces opérations routinières le déploiement actif, typique, de la liberté.

Cependant, dans toute vie humaine, il y a quelques intérêts supérieurs qui possèdent un pouvoir de direction générale : la conservation de la vie, la forme sous laquelle se manifeste à l’individu le bonheur, ies règles morales, etc. Qu’un incident dans notre entourage éveille un de ces « intérêts », c’est-à-dire, qu’il vienne mettre en question notre bonheur, notre vie ou notre dignité, immédiatement la « croûte » éclatera, nous ferons appel à toutes les ressources intellectuelles et morales de notre personne ; nous délibérerons, et librement nous prendrons un parti.

Tout revient donc à disposer des ressources profondes de notre àme, à agir de notre àme tout entière. Or dans les moments où nous nous saisissons tout entiers, où nous prenons des vues d’ensemble de notre vie, où nous méditons sur nos destinées, nos moyens et nos défaillances, nous pouvons établir toutes les associations nécessaires à l’exercice normal de la liberté. Nous attacherons à toutes les images importantes celles de nos intérêts supérieurs, de notre préservation matérielle et morale. Cette image, par son importance, peut inhiber toute autre ; par son ampleur elle produit une suspension. Et voilà la délibération et le choix libre provoqués par cette association même, qu’on prétend leur opposer.

Les lois psychologiques peuvent donc nous apprendre que la liberté appelle une culture, une éducation morale ; mais à coup sûr elles n’offrent aucune base solide au déterminisme psychologique.

D. DÉTERMINISME THKOLOGIQUE. ExpOsé. — La

liberté implique un pouvoir si sublime, qu’elle paraît devoir rester le privilège exclusif de Dieu. La connaissance divine est immuable ; de toute éternité. Dieu connaît évidemment tous les actes que les hommes poseront dans le cours des siècles. Comment dès lors admelti’e leur indétermination ? Il y a davantage. L’être fini, relatif, plonge nécessairement ses racines dans l’Absolu. Pas une existence, pas une modalité d’existence qui ne soit réductible à la souveraine eiïicacité de Dieu. Or la liberté implique, à toute évidence, une initiative absolue de la volonté liumaine. La délermination finale doit dépendre de l’homme, et non d’une motion divine, antérieure et supérieure par sa nature. Dès lors, tout acte libre entamerait la domination souveraine de Dieu ; et l’on constate que les droits divins sont exclusifs de la liberté.

Examen critique. — Le déterminisme théologique n’a plus une très grande importance au point de vue apologétique. Les déterministes modernes ne se soucient guère des motions divines. Lorsqu’ils les invoquent, ce n’est que pour s’en servir comme d’un argument « ad hominem >'.

Personne n’ignore, d’autre part, que le problème délicat du concours divin met aux prises deux écoles catholiques, qui adirment d’ailleurs toutes deux la réalité du lil)re arbitre. Il importe, au point de vue apologétique, d’examiner la question d’un point de vue supérieur aux disputes d’école ; et de lui donner, dans toute la mesure du possible, une solution indépendante des thèses rivales.

Il inqjorte avant tout de dégager la prescience de Dieu de toute surcharge anthi"opomorphique qui ne pourrait que la fausser.

L’essentielle « potentialité » du temps n’a évidemnîent aucune prise sur l’Etre absolu. Il est humainement exact de dire que Dieu préi-oit nos actes ; mais c’est éA’idemment dire trop peu. L’acte divin, c’est-à-dire Dieu lui-même, est dégagé de toute relativité temporelle ; et si notre présent n’était si fugace, si imparfait, il serait plus exact de dire que Dieu voit. Cette simple considération est banale sans doute ; mais, sainement comprise et résolument appliquée, elle est de nature à faire disparaître bien des images, troublantes parce que trop humaines.

Un second point doit être considéré comme acquis : le caractère absolu de la divinité n’admet aucune restriction. Il est impossible de concevoir un Dieu, dépendant dans son être ou son activité d’une réalité non divine. Même dans l’ordre objectif, sa science ne dépend que de lui-même. Il est faux de dire que Dieu voit les choses parce qu’elles sont. Elles sont parce qu’il les voit.

Mais ce qui nous rapproche davantage de la solution, c’est que nous ne jugeons pas des choses créées par les activités divines, qui en soi nous restent impénétrables, mais des activités de Dieu par les effets qu’elles produisent. Dans les arguments du déterminisme théologique, il y a un renversement total de l’ordre logique que nous imposent les constatations les plus élémentaires de la psychologie de l’intelligence.

Ce que Dieu fait, nous ne le savons qu’en examinant l’effet qu’il a produit. C’est donc par l’examen préalable, indépendant, de cet effet que nous pouvons nous former une vue humaine et analogique de la nature qu’il nous faut attribuer à l’acte divin. Vouloir, en vertu d’une analyse de l’efficacité divine, changer la nature d’un effet constaté, est aussi illogique que de prétendre que, si l’acte divin produit trois réalités, il est cependant si efficace qu’il devrait en produire cinq. En d’autres termes, sous prétexte d’exalter le concours de Dieu, on le détruit. Il est donc impossible, il est psychologiquement et métapliysiquement absurde, de nier la liberté constatée d’un acte humain par la raison que Dieu le nécessite. La liberté de l’acte humain est la question préalable ; et lorsqu’elle est une fois établie, nous en conclurons très simplement que l’activité divine est de nature à aboutir, au travers de la volonté de l’homme, à un acte libre. La science divine et le concours divin sont absolus et efTicaces, au point d’aboutir au choix libre de l’homme.

Il y a là, sans aucun doute, une efficacité qui ne se laisse pas réduire à nos pauvres images humaines. Mais qui peut s’en étonner, lorsqu’on considère que nous prétendons ici pénétrer dans l’Etre divin ? La totalité de l’Etre unifie, dans sa simplicité suprême, toute réalité, tout mode de réalité. Le concours di^in n’est autre chose que l’Etre total. On entrevoit dès