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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/57

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les idées que nous avons des êtres matériels. Vous le croirez sans peine, si vous voulez analyser l’idée, bien sûr la plus réfractaire à la loi que j'énonce, l’idée de corps en général. Qu’est-ce qu’un corps ? Tournez et retournez tant qu’il vous plaira votre idée, il vous faudra toujours tinir par répondre : a C’est un être réel, substantiel. >. Et moi de faire sur ces trois termes le même raisonnement que je faisais tout à l’heure sur les quatre premiers termes de la déiinition du chêne.

Nos idées des êtres les plus matériels contiennent donc des concepts qui ne sont point matériels quant à leur objet, qui ne sont pas plus matériels que ne le serait celui d’un esprit pur.

Ce qui ne veut point dire qu’il n’y ait jamais aucune différence dans nos idées, entre ce qui est corps et ce qui est esprit. Il existe une différence immense, et que voici : Quand on conçoit un être matériel, l’on arrive toujours à découvrir dans son idée un élément ou principe constitutif, spécial, dont Vétendue est la suite naturelle et nécessaire, au lieu que si l’on conçoit un esprit pur, pas un des éléments inclus dans son idée n’implique une pareille propriété. Y(nis vous souvenez comment, tout à l’heure, quand nous disions que le chêne est un végétal, aussitôt nous percevions, avec pleine évidence, qu’il lui convient non seulement d’avoir un volume, une masse, comme la pierre, mais des parties organisées pour la nutrition, l’accroissement, la reproduction, et ce système spécial de branches, de racines, de feuilles, caractérisé par, etc. Si je nomme un esprit pur et que je Aous le délinisse un être réel, substantiel, ^'ivant, simple, spirituel, intelligent, libre, immortel, vous ne découvrez rien de pareil.

Notre pensée saisit donc et perçoit l’iuimatériel dans le matériel même. Comment cela se fait-il ? L’idéologie des grands docteurs scolastiques a jeté une merveilleuse lumière sur cette question ; niais ce n’est le temps ni de la poser ni de la résoudre.

Ce qui me sullit et ce que j’ai le droit de conclure, après l’analyse que j’ai faite devant vous de nos idées des êtres matériels, c’est qu’en les concevant nous concevons l’immatériel, et, par conséquent, posons un acte où le corps ne peut prétendre, qui dépasse la portée de tout organe : c’est que, pour prouver la spiritualité de l'àuie, nous n’avons nullement besoin de montrer que nous concevons des êtres immatériels par nature ; les idées que nous nous formons des êtres matériels y sufliscnt pleinement. Il serait facile de multiplier les preuves ; car j’en aperçois dix bien conq)tées, dans un seul endroit des œuvres d’Albert le Grand (De Anima, liv. III, ch. xiv) ; mais je n’en apporterai plus qu’une seule : celle qui se tire de la conscience que l'àine a d’elle-même. Elle est courte et solide.

N’est-il pas vrai que votre esprit, quand i ! lui plail, se replie complètement sur lui-même, à tel point qu’il voit ses divers états, qu’il aperçoit ce qui se passe dans ses di-rniers replis ? Votre es[)rit voit sa pensée ; fréquemment il sait quand et comment elle lui vient, le temps qu’elle demeure et l’instant où elle s’en va. Tous les lioinmes l'éprouvent comme vous, et c’est à cette faculté i)récieuse qu’ils doivent de pouvoir se comiiiunifiuer mutuellement les sentiments intimes <pu naissent dans leur ànie, et de charmer le commerce de la vie par les épanchemcnts de l’amitié. Votre pensée se pense elle-même. Voilà le fait. Or, il y a une impossibilité géométri(pic démontrée à ce qu’un être matériel opère sur lui-même une sendjlablc conversion. Il est de la nature de la matière d'être à elle-même impénétrable. Voilà pourquoi les sens, qui sont des organes, n’ont point sur euxmêmes ce retour complet de l’esprit ; et pourquoi

l'œil, par exemple, qui est le plus parfait des sens extérieurs, ne se voit point lui-même et ne voit pas davantage sa vision. (Cont. gent., liv. II, ch.66, n » 4-)

Du fait de la conscience comme du fait de la pensée, il résulte donc que l'àme humaine a une opération où le corps n’a point de part immédiate, où il n’intervient pas directement, une opération libre, dégagée des conditions matérielles, transcendante.

Mais nous avons admis en principe qu’une opération transcendante, une opération libre et dégagée des conditions de la matière, exige une existence transcendante, une existence libre et dégagée du corps.

L'àme humaine tient donc sa subsistance d’ellemême, elle a donc une existence qu’elle ne reçoit point du corps, et, partant, l'àme humaine est spirituelle au sens que nous avons expliqué.

5° Devant ces preuves, exposées et défendues par Aristote, saint Augustin, Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin et tant d’autres génies, les raisons du matérialisme n’excitent que la pitié.

— Si je fais l’analyse chimique du corps humain, dit Moleschott, j’y trouve du carbonate, de l’ammoniaque, du chlorure de potassium, du phosphate de soude, de la chaux, de la magnésie, du fer, de l’acide sulfurique, de la silice, et point d'àme, ni d’esprit. Donc, en l’homme il n’existe point d'àme.

— Chacun voit que ce raisonnement de Moleschott est à peu près aussi ingénieux, aussi juste et concluant, que celui de l’honnête homme qui nierait l’existence de la lumière du soleil, par le beau motif qu’il n’a jamais pu en saisir un seul rayon… avec ses pincettes.

Karl Vogt, lui, fait surtout appel à l’anatomie : '( Grosses têtes, grands esprits. Grosse Kopfe, grosse Geister. « Il ne lui faut que ces deux mots pour formuler et prouver la thèse matérialiste. La force de l’intelligence est proportionnée au Aolume et au poids du cerveau. Donc le cerveau est l’unique facteur de la pensée. (Leçons sur l’homme, 2* édit., p. 87-1 15.) Heureusement que Karl Vogt, après avoir énoncé et développé sa thèse, la réfute lui-même quelques pages plus loin. C’est lui-même en effet, qui nous apprend qu’elle est contredite par les fameux tableaux de Wagner, où l’illustre physiologiste a consigné le poids d’un si grand nombre de cerveaux pesés par lui, et où l’on voit que « des hommes comme Hausmann (de Gœttingue) et Tiedemann, qui ont cependant occupé une place honorable dans la science, se trouvaient dans une position tri’s inférieure, si l’on juge par le poids de leur cerceau « (p. 1 1^). Il reconnaît de même que l’anatomie comparée lui donne tort, puisque « les colosses du règne animal, comme il dit, l'éléphant et les cétacés » ont beaucoup plus de cerveau et beaucoup moins d’intelligence que riiomme ; et que, d’autre part, si l’on a eut prendre comme mesure de l’intelligence, non plus le poids absolu du cervcau, mais le poids tlu cervcau comparé à celui du corps, l’on arriAC à ce résultat dérisoire, que les petits singes américains et la plupart des oiseaux chanteurs ont plus <rintelligence ([ue l’homme (p. io6-114). — (V. les curieuses tables de M. G. Colin, dans son Traité de physiologie comparée.)

Bref, toutes les observations que l’on a faites sur les rapports du cerA’cau et de la pensée sont bien peu sûres et fort contestables. Mais, fussent-elles certaines et hors de toute discussion, l’on n’en ferait jamais sortir logiquement cette conclusion : donc, le cerveau est le facteur de la pensée.

La pensée dépend du cerveau, dites-AOUs. Mais elle en peut dépendre de deux manières : ou comme de son principe direct, de sa cause elliciente prochaine, immédiate ; ou comme d’un princiiie indirect, éloigné,