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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/576

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DOGME

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Renvoyant le lecteur, pour une réfutation plus détaillée aux articles Agnosticisme, Ricvklation, Immanence, Expérience religieuse, nous nous bornerons ici à l’essentiel.

En un sens, la ditliculté articulée par l’agnosticisme commande toutes les autres. Si Dieu n’est point connaissable, exprimable en quelque manière par les mots humains, on peut parler encore d’une certaine rcvclation par le sentiment (émotionnelle), non de révélation par énoncés précis de vérité (intellectuelle).

Nous montrerons donc brièvement qu’il nous est possible de connaître et de désigner en quelque manière les choses divines, qu’il est donc com’enable ({ue Dieu novis secoure par un apport de vérités, bien plus, que cela est Tiécessaiie, à faute de rendre immorales certaines attitudes pratiques, enfin que les thèses opposées pèchent par illogisme.

a. Possibilité d’une valeur intellectuelle des formules dogmatiques. — La difficulté capitale qui fonde l’agnosticisme, c’est la distance qui sépare le divin de l’humain. La réponse, s’il en est, doit se tirer du rapprochement ou de l’affinité de ces deux termes.

Or — il faut bien concevoir ce fait — si Dieu seul est par lui-même, s’il est VEtre, il n’y a pas deux types d’être ; il n’y en a qu’un. S’il est toute-puissance, il n’y a de possibilité d’être que par imitation de sa nature. L’être fini, ayant toute sa raison d’être dans l’Infini, n’est concevable dans sa nature propre qu’en fonction de l’Infini, comme il n’est réalisable que par participation de l’Inlîni.

Il en résulte, qu’il est aussi impossible d’imaginer un être qui ne ressemble pas à Dieu, par tout son être, que d’admettre un être qui existe indépendamment de Dieu.

En quoi consiste cette ressemblance ?

— Si Dieu est la plénitude de l’être, il est certain que seul le néant absolu diffère de lui du tout au tout. S’il est infini, il est cei"tain qu’il n’y a pas de proportion mesurable entre lui et le fini. Mais il n’est pas moins évident, pour la raison indiquée, qu’il y a une certaine communauté de nature, une certaine affinité d’être entre lui et nous. Qu’on nomme cela comme on voudra, analogie avec S. Thomas, I, q. 13, cf. CAJETANetToLET, //i 11. /., ou univocité (ontologique ou métaphysique) avec Scot, /// IV Sent., 1. I, dist. 3, q. 2, n. 5 sq. ; q. 3, n. 6 ; dist. 8, q. 3, le fait de la ressemblance demeure, indépendamment des systèmes qui se proposent d’en expliquer le comment.

Les conséquences sont des plus graves. En effet, s’il n’y a pas hétérogénéité absolue entre les deux termes, fini et Infini, il est acquis que le fini connaît quelque chose de l’Infini, en demeurant en soi, et donc qu’il peut nommer avec quelque exactitude l’Infini, en usant des mots qui désignent le fini. En atteignant mon existence, ma liberté, ma pensée, j’ai une image, infiniment imparfaite mais inévitablement ressemblante, de l’existence, de la liberté, de la pensée de Dieu. J’en conclus que toute perfection connue en moi m’indique, non le terme de la perfection divine correspondante, mais la direction de pensée selon laquelle je dois m’attacher à la concevoir : Dieu est cela, en infiniment mieux. Pour que cette indication me soit précieuse, il n’est nullement nécessaire que je voie où elle aboutit. Si la direction indiquée est claire et sûre, c’est beaucoup. C’est assez, si je ne puis prétendre à plus sans déraisonner.

Ce point établi est l’essentiel : il j a un pont entre le Dieu transcendant et le sujet connaissant et c’est la nature même du sujet connaissant. Parce qu’il existe seulement dans la mesure où il imite le

transcendant, il peut connaître celui-ci, sans sortir de soi*.

En résumé, les diflicultés élevées contre la valeur intellectuelle du dogme proviennent de ce fait : ou bien l’on suppose que nos expériences (et j’entends ici connaissances acquises, soit des choses sensibles, soit des choses spirituelles par le moyen du sensible ) n’ont rien de commun avec la réalité divine ; ou bien on imagine que la révélation se présente à nous en dehors de nos expériences. La première erreur étant réfutée en substance, la seconde appelle quelque explication.

C’est un principe communément reçu : point de connaissance qui ne s’appuie sur une expérience sensible : nihil est in intellectu, quod non prius fuerit in sensu. Nous dirons donc, non, comme le sjmbolofidéisine et le modernisme : « Seule l’expérience du divin peut nous instruire », mais : ’< Nous ne pouvons connaître le divin que par l’analogie de Jios expériences. » Pour concevoir la sainteté divine, par exemple, il faut avoir expérimenté par nous-mêmes ce qu’est la sainteté (conn. pratique). L’enseignement catéchétique ne nous donnera que des mots (conn. verbale), tant qu’il n’accrochera pas le mot à une expérience personnelle au moins embryonnaire, qui nous renseigne sui- son contenu.

C’est là une nécessité de notre nature ; la voie est donc la même pour quelque ordre de connaissance que ce soit, que nous inventions par nous-mêmes, cu ?n aliquis… principia applicat ad aliqua pai’ticularia, quorum memoriam et expérimenta m per sensum accipit… ex notis ad ignota procedens, ou que nous apprenions d’un maître, quilibet docens, ex his quae discipulus nosit, ducit eum in cognitionem eorum quæ ignorabat, S. Thomas, I, q. 117, a. i, c ; De Verit., q. Ji, a. i-4 ; Cont. gent., 1. II, c. 76, 3°, etc., et la méthode sera la même, que le maître soit un homme, ou un ange, ou Dieu même, De Verit., q. 11. a. 3, c.

S’agit-il de la révélation chrétienne ? Elle nous a été proposée précisénient dans le cadre de nos expériences habituelles. Le Verbe s’est fait l’un de nous ; Il a parlé comme nous, élevant sans cesse la pensée au delà de la mesure humaine, mais en partant toujours de l’analogie des choses terrrestres. n’expliquant jamais le comment, qui nous est incompréhensible, mais enseignant le fait, dans les mots que l’expérience nous a rendus intelligibles.

S’agit-il de la révélation prophétique ? — Dieu, en

1. Ces vues ont été fréquemment proposées par les premiers Pères. Ils ont insisté a) sur l’affinité de l’àme et de Dieu, pour expliquer en nous l’appétit du divin et la connaissance des perfections divines, /3) sur l’influence, à ce double point de vue, de tout ce qui, vice ou vertu, pouvait aviver ou affaiblir cette ressemblance.

Ne pouvant retracer ici l’histoire de cette théorie, je donne seulement quelques textes, pour orienter le lecteur. S. Justin, Dlal. n. 4, P. G., t. YI, col. 484 ; S. Théophile, AdviitoL, 1.1, c.ii, P. G., t.T, col. 1025 ; Clément d’Alex., Sfrom., 1. III, c. v, P. G., t. VIII, col. 1145, 1148 ; 1. V, c. XI, t. IX, col. 101 sq. : S. Athanase, De Inc. VerbI, n. 57, p. G., t. XXV, col. 196, 197 ; S. Basile, Epixt. ccxxxiii, n 1, 2, P. G., t. XXXII, col. 865, 868 ; S. Grégoire deNaz., Orat. XX, ci, xii, P, G., t. XXXV, col. 1065, 1080 : Orat. theol. II, C. I, II, t. XXXVI, col. 25, 28 ; S. Augustin, dans Vacant, Dût. de thiol. art. Augustin, col. 2332…

La théorie de l’analogie n’a été fixée que beaucoup plus tard. Elle a apporté des précisions de haute importance, dont j’ai préféré ne pas m’occuper ici.

Sur la relation entre affinité de nature et affinité d’appétit », cf. S. Thom. : non enim esset in natiira alicujns quod amaret Deum, nisi e.r eo quod unumquodque dependet a bono, quod est Deus, I, q. 60, a. 5, 2™ ; II, 11, q. 26, a. 13, 3"" et P. Rousselot, /’oj</- l’histoire du problème de l’Amour, in-8°, MUnster, 1908.