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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/604

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DROIT DU SEIGNEUR

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nouveaux mariés l’observation de la continence pendant un, deux ou trois jours. L’exemple en était pris de Tobie. Cette pratique, déjà recommandée au concile de Carlhag-e en l’an 898. devint bientôt générale, aussi bien dans l’Eglise orientale que dans l’Eglise latine, et jusqu’au concile de Trente certains casuisles la regai’dèrent comme obligatoire en conscience. Depuis le concile de Trente, elle a été encore recommandée, à titre de conseil, dans les Pontiiicaux ou les Rituels. Le Rituel romain de 1624 porte qu’on doit avertir les époux : « … quomodo (in mattimonio) lecte et christiane conversari debeuni diligentev iitstiuantH ? ex d’u-ina Scriptura, exemplo Tobiæ et Saræ i’erbisque angeli Raphælis eos docentis quant sancte conjuges debeant vivere. »

Cette pratique parut sans doute trop sévère à quelques fidèles, qui demandèrent à la remplacer par quelque bonne œuvre, par l’aumône, et c’est cette compensation pécuniaire que jîarfois des évêques ou des prêtres exigèrent à titre de Jus primæ noctis. De là ensuite des procès, comme celui de l'évêque d’Amiens, dont nous parlerons tout à l’heure ; mais nulle part il n’est dit ni insinué que cette aumône, analogue à celle par laquelle on satisfait aujourd’hui à l’obligation de certains jeûnes ou de certaines abstinences, ait jamais été l'équivalent du « Droit du seigneiu- », établi au profit des ministres de l’Eglise.

A l'égard du Jus primæ noctis, en tant que droit ecclésiastique, on n’apporte guère que les trois faits suivants :

Le droit des évêques d’Amiens est toujours mis en première ligne, dans le défilé de preuves qui sont censées établir l’existence du « Droit du seigneur ». L'évêque et les curés d’Amiens exigeaient en efl"et une redevance des nouveaux mariés. Cela donna lieu à des procès, et le parlement de Paris fut amené à rendre des arrêts contre l'évêque et les curés, notamment dans les années iSgS, 1401, 1^09, 1501. Or le texte de ces ai-rèts ne laisse pas planer le plus petit équivoque sur la nature du droit réclamé par les ecclésiastiques d’Amiens. « Défense à l'évêque et aux curés d’Amiens d’exiger argent des nouveaux mariés pour leur donner congé de coucher avec leurs femmes la première, deuxième et troisième nuyt de leurs nopces… chacun desdits habitants pourra coucher avec sa femme la première nurt de leurs nopces, sans le congé de l'évêque et de ses officiers, s’il n’y a empêchement canonique… Quant à non coucher de trois nurts avec sa femme au commencement du mariage, les demandeurs auront la recréunce, le procès pendant, et pourront les épousés coucher franchement les trois premières nuits avec leurs femmes. » Il s’agit donc bien d’une taxe établie en compensation de la continence des trois premiers jours du mariage, qui était devenue une loi en certains pays. Cette taxe n'était pas sans analogie avec celle que perçoit aujourd’hui l'évêque sur ceux qui lui demandent la dispense de la publication des bans.

Le cas du chantre de Mâcona été également signalé, comme tout à fait probant, dans la question du « Droit du seigneiu- ». On rappelle que les prétentions exorbitantes de ce dignitaire furent refrénées par l’archevêque de Lyon, qui lui interdit de percevoir plus de six deniers des nouveaux époux. Or si l’on recourt à la décision épiscopale, qui est tout entière citée dans du Cange, il en ressort tout simplement « que les habitants de Màcon, présents et futurs, pourront librement recevoir la bénédiction nuptiale, sans demander soit permission (?/ce/i^/rt), soit lettre (crt7-<a) dudit chantre ou de toute autre personne à son nom pour les droits et émoluments que ledit chantre avait coutume de percevoir de ceux qui voulaient se marier,

à cause desdites dispenses (raiione dictarum cartarum) ; chaque citoyen voulant recevoir la bénédiction nuptiale devra payer six deniers pour droit de la chanterie, disant publiquement : « Veez-ci six deniers parisis pour lo droit dou chantre de l'église de Mascon. » Sans qu’on s’explique bien ce droit du chantre de Màcon, il est par trop clair qu’il n’a rien à démêler avec le Droit du seigneur.

Mais il faut reconnaître que V affaire du curé de Bourges n’est pas tout à fait si limpide, si elle est authentique. Un jurisconsulte du xvie siècle, Nicolas BoHiEK, rapporte dans ses Z)ecis/o « es in Senatu Burdigalensium un souvenir qui lui aurait été personnel : « Et ego vidi in curia Bituricensi processum appellationis in quo rector seu curatus parochialis prætenJebat ex consuetudine primant habere carnalem sponsæ cognitionem, quæ consuetudo fuit annulata, et in emendam condempnatus. » (C. ix, p. 118.) L. Veuillot et A. de Foras, qui ont scrupuleusement discuté ce texte, en ont rejeté l’authenticité, et voici pourquoi. Les Decisiones de Boliier ont été publiées dix-huit ans après la mort de l’auteur. Un contemporain de Bohier, qui fut un des plus célèbres juristes de cette époque, Dumoulix, a écrit « qu’un grand nombre des décisions de Bohier, insérées pour augmenter le livre, ne sont pas des sentences de Bohier, déjà affaibli par l'âge, mais des allégations faites pai* des jeunes gens… sed allegationes juvenum ». Ces jeunes bazochiens en gaieté, remarque de Foras (Droit du seigneur, 18'j), ont peut-être inséré, à l’insu du pauvre président, ou même après sa mort, l’historiette graveleuse du curé de Bourges. Ce qui est certain, suivant une observation du même auteur (ibid.), c’est que Bohier, dans son traité Be consuetudinibus matrimon., publié de son vivant, ne mentionne aucune coutume relative au prétendu droit, bien qu’il y aborde des points comme celui-ci : an statim quod uxor cum viro suo, etc., ou y développe cette proposition : quod pro mortuariis vel benedictionibus nubentium non solvatur nisi certum quid. « Si ce curé a jamais existé, poursuit M. A. de Foras, — Bohier, qui a vu le procès, n’en donne ni le nom ni la date, — il était atteint de folie. Celui qui prétend avoir vu a certainement vu de travers, et celui qui accepte cette manière de voir devrait retourner à l'école. En effet, le curé n’a jamais été seigneur féodal ; admettons que le curé de Bourges l’ait été par exception, il n’aurait pas plaidé devant une cour ecclésiastique, mais devant un tribunal féodal. Tout homme versé dans la connaissance du droit du moyen âge sait que les deux juridictions civile et ecclésiastique avaient des limites parfaitement tracées et infranchissables. Cette raison pourrait nous dispenser d’en donner d’autres ; il est bon pourtant de faire ressortir l'énormissime improbabilité d’un curé revendiquant devant ses supérieurs ecclésiastiques un sacrilège et un adultère. Il faut avoir des yeux l)ien malades pour voir des monstruosités de cette sorte ; il y a là, sans nul doute, une discussion relatiA’e au droit des premières nuits, droit que nous admettons et dont nous revendiquons carrément l’esprit à l’honneur de l’Eglise, et pas auti-e chose. » (Ibid., p. 88.)

Après l'évêque d’Amiens, le chantre de Màcon et le curé de Bourges, le clergé, les moines, les couvents, sont encore pris à partie pour avoir joui du « Droit du seigneur », non plus en qualité de pasteurs visà-vis de leurs brebis, mais en qualité de seigneurs teiuporels vis-à-vis de leurs vassaux, et sous ce rapport ils méritent d'être englobés dans la catégorie de ces affreux privilégiés qui abusèrent pendant si longtemps de l’honneur des pauvres gens.

Tout le monde sait qu’au moyen âge le serf était attaché à la glèbe ; il faisait partie de la propriété