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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/605

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DROIT DU SEIGNEUR

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seigneuriale et se transmet lait avec elle. Il subissait cette condition moyennant certains avantages, jouissance de terres ou d’immeubles, qu’il compensait encore par les corvées, les dons en nature ou en argent. Tant que cet état de choses a duré, les seigneurs ont tenu la main à ce que leurs hommes ne désertassent pas les tènements féodaux, de même qu’ils se sont arrogé le droit d’empêcher un étranger de s’introduire sans leur permission sur leur domaine. Il résultait delà que leniariage entre gens qui n’étaient pas d’un même tènement était assujetti à la licence seigneuriale. Les mariages réalisés dans ces conditions furent quelquefois, en certains lieux, soumis à un impôt iqui était perçu à titre de droit de forniaricige, foris maritaginm. Le mariage entre gens d’un même seigneur donnait lieu aussi, dans quelques seigneuries, à la perception dun impôt spécial. Ce droit, que le seigneur s’attribuait sur ses hommes, s’est traduit parfois à propos de mariages par des sj’mboles quirépugnentesscntiellementà nos mœurs et choquent souverainement nos goûts ; le cuissage par exemple. Un seigneur mettait la cuisse dans la couche des nouveaux mariés pour signifier qu’il réservait ses droits seigneuriaux sur leur postérité : mais généralement toutes ces prétentions se réduisaient à un impôt léger, à des gâteaux, du porc salé, quelques bouteilles de vin. Cet impôt avait encore des équivalences gratuites : les nouveaux mariés devaient courir la quintaine, le dimanche d’après la noce, ou exécuter quelque tour de force ou d’adresse, pour l’amusement du puljlic. A l’abbaye de Saint-Georges de Rennes, les mariés qui ne pajaient pas la redevance étaient tenus d’aller à Saint-Hélier, et la jeune femme devait chanter en sautant jiar-dessus une pierre : « Je suis mariée, vous le savez bien ; si je suis heureuse, vous n’en savez rien. « En vérité, tout ceh avait fini par devenir très humiliant ; mais il ne s’agit pas d’apprécier ces usages.

C’est pour n’avoir pas compris ce qu’étaient ces droits de formariage, de mariage, de marquette, etc., qu’une foule d’écrivains ont osé parlé du « Droit du seigneur ».

Les partisans de ce système se vantent d’occuper une position inexpugnable. D’abord ils racontent l’origine du « Droit du seigneur ». Un acte de naissance ! Que peut-on exiger de plus précis ? Hector BoETHius, docteur écossais d’Aljerdeen (1516), raconte l’anecdote suivante, dans son Histoire d’Ecosse. Un roi écossais du nom d’Evenus, lequel vivait de longs siècles avant Malcolm, pronuilgua d’abominables lois, accordant entre autres aux seigneurs la faculté d’avoir plusieurs femmes et de jouir les i)remiers de la nouvelle mariée. Cette loi jeta de si profondes racines qu’il fallut, pour l’abolir, toute l’énergie de Malcolm, sotitenu par la reine son é|)ouse. Malcolm y réussit pourtant, en y substituant la Marquette (jiummiim aureuni « Marclietani » ocnnt), payable au seigneur comme rançon du droit précité. Qu’élaient-ce

« ju’Evenus, Malcolm et les lois ai)rogatoires

de Malcolm ? Si jamais il a existé en Ecosse un roi Evenus, il a ^écu, suivant Boëthius. hmga sæcuUi, plusieurs siècles avant Malcolm. Il y a eu quatif rois d’Ecosse du nom de Malcolm : le premier est mort en 968, et le ((uatrième en 1165. Ainsi, quaud bien même l’on voudrait entendre ([ue Boctliius parle du dernier et ({u’on réduirait ses longa stiecula en un seul siècle, on ne rap[)rocherail ré[)o(iue (bi règne d’Evenus que du XI’siècle. Mais c’est un [loint d’iiistoire bien certain que Guillaunu- le C()nquéranl n’a introduit les droits féodaux et les seigneuries territoriales en Angleterre que dans Irs années 1066 à 1087, et que les Ecossais les ont empruntés des Anglais. Conunent donc Evenus aurait-il accordé ce droit

loci doininis, aux seigneurs des villages, tandis qu’il n’en a pas existé avant la naissance de la féodalité ? Fût-il vrai, d’ailleurs, comme Fa cru Boëthius, que ces lois d’Ecosse sont de Malcolm II, ainsi que leur titre l’annonce, sa fable n’en deviendrait que plus absurde ; car Malcolm II est mort en io33, et, par conséquent, un demi-siècle avant que les Anglais eussent acquis une idée des lois féodales et des seigneuries territoriales. Mais déjà les savants ont remarqué que le titre de ces lois les attribue faussement à Malcolm II, fils deKennet, et cela par la même raison que le droit dont je traite ne peut être attribué au roi Evenus. Dès que ces lois parlaient de comtes et de barons territoriaux, ils n’ont pas balancé d’en conclure que Malcolm II ne pouvait en être l’auteur, parce que ces titres n’ont été connus en Ecosse que sous Malcolm II, qui monta sur le trône en io5^ et fut tué en 1098 dans une bataille. Bref, la première rédaction des lois écossaises est postérieure à l’introduction des coutumes normandes, c’est-à-dire des lois féodales, en Angleterre, et même postérieure au règne du roi David F’qui mourut le 24 mai 1 153 ; de sorte que tout ce que Boëthius raconte de ces lois de Malcolm II et de ce droit de première nuit, est d’autant i)lus falnileux que, sous Malcolm II, on ne connaissait en Ecosse ni seigneur, ni seigneui-ie, ni marcheta.

Allons plus loin. Voici cette prétendue loi de Malcolm II, qui fait partie de celles qui parurent sous Malcolm III, api-ès la mort de David I", en partie sous le faux titre de Leges Malcolnii Mac Kennet ejiis nominis secundi, et en partie sous celui de Regiam majestatem, où le titre de « Marchetes » se trouve, lib. IV cap. xxxi : De la marquette des femmes.

« 1° Il faut savoir que, selon les assises d’Ecosse, 

pour quelque femme que ce soit, ou noble, ou serve, ou mercenaire, sa marquette sera d’une génisse ou de trois sols, et de trois deniers pour les droits du sergent.

« 2° Et si elle est fille d’un homme libre et non

d’un seigneur de quelque lieu, sa marchette sera d’une vache ou de six sols, et de six deniers pour les droits du sergent.

« 3° Item, la marquette de la fille d’un thane ou

d’un ogethaire sera de deux vaches ou de douze sols, et le droit du sergent de douze deniers.

« li" Item, la marquette de la iille d’un comte

appartient à la reine et sera de douze vaches, »

En tout cela il n’y a pas l’ombre d’un droit analogue au prétendu « Droit du seigneur ». La Marchette des femmes concerne aussi bien les filles des nobles, comtes et thanes, que les filles des serfs. Il n’est pas possible d’y ^oir une compensation pour un droit qui aurait atteint toutes les filles d’Ecosse. On s’explicjue sans peine qu’avec un peu d’ignorance Boëthius ait hlfV[n’ttclvoi liegiam majestatem dans le sens du préjugé vulgaire ; mais aux yeux de la judicieuse critique, elle n’était destinée qu’à combattre les nuiuvaises mœurs. C’est aussi l’aA’is des meilleurs légistes anglais.

Quant aux témoignages sur lesquels on a prétendu api)uyer la pratique du « Droit du seigneur », il faut commencer par en éliminer un Ijon nombre ([ui n’ont aucun rapport avec ce droit, dans quchpie sens qu’on veuille l’entendre, ou qui sont faussement attribués à des érudils respectables. L. Veuillot a liuement raillé la tendance des adversaires qu’il cond)at, à se placer sous la protection de noms respectés. Ils renvoient à Du Cange, le savant, le consciencieux écrivain. On ouvre Du Cange, qui renvoie à Broukai-, on appelle Brodeau, qui, au lieu de vous entretenir du « Droit du seigneur », amène le sujel