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ÉGLISE (DANS L’ÉVANGILE)

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musulman n’admettront que la foi à un seul Dieu ne soit pas le premier et principal article de leur symbole. Chacun critiquera la forme particulière que l’idée reçoit dans la croyance du voisin ; mais aucun ne s’avisera de nier que le monothéisme soit un élément de sa religion, sous prétexte que le monothéisme appartient aussi à la religion des autres. C’est par leurs diîl’érences qu’on établit la distinction essentielle des religions, mais ce n’est pas uniquement par ces difîérences qu’elles sont constituées. Il est donc souverainement arbitraire de décréter que le christianisme doit être essentiellement ce que l’Evangile n"a pas emprunté au judaïsme, comme si ce que l’Evangile doit à la tradition juive était nécessairement de valeuisecondaire. M. Harnack trouve tout naturel de mettre l’essence du christianisme dans la foi au Dieu Père, parce qu’il suppose, assez gratuitement d’ailleurs, que cet élément de l’Evangile est étranger à l’Ancien Testament… Jésus n’a pas prétendu détruire la Loi, mais l’accomplir. On doit donc » attendre à trouver dans le judaïsme et dans le christianisme des éléments communs, essentiels à l’un et à l’autre, la différence des deux religions consistant dans cet accomplissement, qui est propre à l’Evangile, et qui, joint aux éléments communs, doit former l’essence totale du christianisme… « (L’Evangile et l’Eglise^ Introduction, pp. xvi-xviii. (Cf. ibidem, chap. i, pp. 12 et 13.) (I II est certain que le Christ évangélique n’a pas fait deux parts dans son enseignement, l’une comprenaiit ce qui aurait une valeur absolue, et l’autre ce qui aurait une valeur relative, pour l’adaptation au présent. Jésus parlait pour dire ce qu’il pensait vrai, sans le moindre égard à nos catégories d’absolu et de relatif. Mais qui donc a distingué, dans la notion du royaume, l’idée du royaume intérieur, qui aurait une valeur absolue, et l’idée du Toyaume à venir, qui n’aurait eu qu’une valeur relative.’Qui donc a trouvé, dans la conscience filiale du Christ, un élément de portée universelle, la connaissance du Dieu Père et un élément juif, dont l’unique avantage était de situer Jésus dans l’histoire, et qui était l’idée du Messie.’» [Ibidem, p. 61.)

c) Jésus et la conception traditionnelle du Messianisme. — Nos adversaires ne songent même pas à contester le caractère essentiellement collectif et social du règne messianique, d’après l’Ancien Testament, d’après la littérature apocaljptique, d’après le rabbinisme, d’après la tradition unanimement reconnue en Israël (quoi qu’il en soit de la diversité des conceptions juives sur d’autres aspects du problème).

Or, quel est donc le message du Sauveur ? — Ecoutons la réponse : « Les temps sont révolus. Voici a venir le royaume de Dieu. Faites pénitence et ï croyez à l’Evangile. » (Marc, i, 15.) En d’autres termes, Jésus vient accomplir la grande œuvre messianique prédite autrefois par les prophètes, annoncée tout récemment par Jean-Baptiste, attendue par Israël avec une inlassable espérance.

Jésus n’admet évidemment pas sans réserve la conception du « royaume », courante parmi les Juifs. II exclut l’idée de grandeur mondaine, de victoire théâtrale, qui déparait le messianisme vulgaire. Il met en relief l’universalisme à venir du « royaume ». II accentue et surélève la perfection morale et religieuse comportée par l’Evangile du « royaume de Dieu ». Mais enfin c’est bien le règne messianique, c’est bien l’attente d’Israël, qu’il entend accomplir : c’est donc un « royaume » essentiellement collectif et social.

N’insistons pas sur les nombreux passages de l’Evangile où le Christ applique franchement à son œu’VTe les prophéties du règne messianique. (Par exemple, Math., v, 17 et 18 ; viii, 10-12 ; xxi, 42-44 ; XXII, 4’-45.) Rappelons seulement les déclarations pour ainsi dire officielles à cet égard qui fm-ent faites par Jésus dans la synagogue de Nazareth (Luc., iv, 16-22) et celles, plus catégoriques encore, qui suivirent l’ambassade des envoyés de Jean-Baptiste {Matth., XI, 2-1 5). En l’une et l’autre circonstance, Jésus affirme que son rôle est d’installer enûn le

règne messianique prédit par les prophètes ; et il évoque spécialement les magnifiques oracles du livre d’Isaie (chap. lxi), où le voyant chante la délivrance finale du peuple Dieu et les gloires de la Jérusalem nouvelle, « épouse chérie de Jahvé ». (Cf. Condamin, Le Livre d’Isaie, Traduction critique, Paris, 1906, in-8°. pp. 354-356.)

Lorsque Jésus-Christ lui-même décrit son œuvre et son rôle avec une si parfaite netteté, comment peut-on nier le caractère social, le caractère « essentiellement » collectif du « royaume de Dieu » dans l’Evangile ? Comment peut-on nier que l’intention capitale du Christ fût d’accomplir et de vérifier, — tout en la perfectionnant, — la conception traditionnelle du règne messianique ?

d) La description évangélique du « royaume de Dieu ». — Une observation nouvelle éclairera et corroborera la constatation précédente. Bon nombre de paraboles, dans lesquelles Jésus décrit le « royaume de Dieu », nous représentent ce « royaume » comme social et collectif. Le symbolisme lui-même de ces paraboles regarde les hommes en tant que formant une collectivité, une société visible.

Par exemple, trois paraboles concernent le mélange des bons et des mauvais ici-bas : le « royaume » est donc le champ du père de famille, où poussent à la fois l’ivraie et le bon grain (Matth., xiii, 24-30 et 36-43) ; c’est le filet du pêcheur, où se confondent bons et mauvais poissons (Matth., xiii, 47-50) ; c’est le cortège nuptial, où marchent côte à côte les vierges sages et les vierges folles. (Matth., xxv, i-13.)

Même remarque au sujet des paraboles où le

« royaume » est comparé à un grand repas (e. g.

Matth., XXII, 2-1^ ; Luc, xiv, 16-24) : symbole naturel et classique d’union extérieure, de communauté sociale. Même remarque encore au sujet des paraboles où le « royaume » est comparé à une vigne, dans laquelle on collabore à un travail commun {Matth., XX, i-15 ; xxi, 33-45 et parallèles).

D’autre part, les textes concernant l’avenir du

« royaume », les textes d’ordre esckatologique (nous

les rencontrerons plus loin) soulignent manifestement le caractère objectif, extérieur, social et collectif du « royaume de Dieu » dans l’Evangile. (Cf. Loisy, L’Evangile et l’Eglise ; pp. 7 et 8.)

e) Le texte de saint Luc XVII, 20-21. — Nous arrivons à l’unique passage des Evangiles où l’on ait prétendu rencontrer quelque indication positive en faveur de la conception purement intérieure et spirituelle du « royaume » : Non venit regnum Dei cum ohservatione (u-ttà. r.v.py.rr.pri’nuç) neque dicent : ecce hic aut ecce illic Ecce enim regnum Dei intra vos est.

(/ ; ^y.iù.tia. tc>j 0£îû êvri ; iy.ûv èsTo.)

Supposons, d’abord, que ce texte signiQe réellement : Le " royaume de Dieu » ne vient pas avec des signes apparents. On ne dira pas : il est ici ou il est là. Car le « royaume de Dieu » est au dedans de vous-mêmes.

Nous ne pouvons oublier néanmoins que, partout ailleurs, l’Evangile présente le « royaume » comme extérieur et visible, comme social et collectif. Nous ne pouvons oublier que, d’après sa déclaration formelle et réitérée, le Christ prétend accomplir le règne messianique des prophéties d’Israël. Voilà un élément du problème qui demeure incontestable.

Or, quand une chose a deux aspects et quand on entend mettre vivement l’un des deux en relief, on peut raisonnablement affirmer ce point de vue en termes si exclusifs qu’il paraisse être le seul : et pourtant nulle méprise n’est alors possible, l’autre aspect demeurant connu et acquis par ailleurs. Pour exciter les fidèles à entendre le sermon avec esprit de foi, on leur dira par exemple : « la parole du pré-