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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/623

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ÉGLISE (DANS L'ÉVANGILE)

« dicaleur n’est pas celle d’un homme : elle est la
« parole même de Dieu ». Semblable flgure de langage ne trompera personne : l’hyperbole est évidente.

Pareillement, on comprendra ce que l’Evangile entend signifier lorsqu’il déclare que « le royaume

« de Dieu ne vient pas avec des signes apparents », 

que a le royaume de Dieu est au dedans de nous », bien qu’il décrive par ailleurs ce même royaume comme essentiellement collectif et social. En dételles conditions, la portée de la formule sera d’accentuer l’excellence et l’importance de l’aspect intérieur et spirituel du « royaume ». On attirera énergiquement l’attention sur ce point de vue trop oublié, en disant :

« Le caractère social, extérieur, collectif du royaume
« n’est rien. Le caractère moral et spirituel est le
« seul véi’itable. Le « royaume de Dieu » n’est pas
« au dehors : il est dans les cœurs. » Chacun doit

comprendre ce que signifient de telles expressions, qui n’empêchent pas l’aspect extérieur et collectif de rester incontestablement essentiel.

Mais nous ne ci-oyons jjas que la formule : regnum Dei intra cws est soit correctement traduite par cette jjhrase : Le royaume de Dieu est au dedans de vousmêmes. Jésus-Christ, en effet, d’après saint Luc, répond à une question des pharisiens. Il s’adresse donc à des incrédules, bien distincts des « disciples » (cf. verset 22). Il parle à des hommes qui restent par leur faute en dehors du « royaume de Dieu ». Par suite, on ne voit pas trop comment le Sauveur poui-ra leur dire : « Le royaume de Dieu est au dedans de

« vous-mêmes », selon la théorie du royaume purement intérieur et spirituel. Car il leur déclarerait en

ce cas : « Vous réalisez en vous-mêmes le royaume

« de Dieu. Vous possédez les sentiments qui font
« régner le Père céleste au fond de vos coeurs. » 

Assurément, rien ne répugne davantage au contexte. Pour trouver, malgré tout, une interprétation qui favorise M. Harnack, on est obligé de recoui-ir à des hypothèses gratuites, aux circonlocutions les moins vraisemblables et les plus compliquées. Par exemple :

« Le royaume de Dieu est de telle nature qu’il doit
« se réaliser au dedans de vous-mêmes, pourvu que
« vous le vouliez et que vous en soyez dignes. » C’est

une étrange manière, on l’avouera, de traduire la phrase : regnum Dei intra vos est !

Au contraire, le sens tout naturel du passage entier de saint Luc nous paraît être le suivant. Dominés par une conception toute mondaine du « ro jaunie », les pharisiens attendent quelque bouleversement j)olitique, Aoire même quelque prodige céleste, pour inaugurer l'âge messianique. C’est à ce point de Aiie qu’ils interrogent le Christ : « Quand donc va venir

« le royaume de Dieu ? » — Et Jésus corrige leur double

erreur. Le « royaume de Dieu » n’est pas un royaume de gloire mondaine, mais un royaume d’abnégation et d’humilité. Le royaume de Dieu n’est pas une chose qu’il faut attendre comme à venir ; c’est une cliose qu’il faut reconnaître comme présente. Le règne messianique est inauguré par le fait même de la prédication publique de Jésus-Christ, et par le fait même du groupement des disciples de Jésus-Christ, w Le royaume de Dieu », répondra donc le Sauveur aux l)harisiens, « ne vient pas avec manifestations exté" rieures (//srà rK/i « T/ ; p, 7£w ;). N’attendez donc ni l)ou « leversement politique, ni prodige céleste. On ne " dira j)as : il est ici, ou : il est là ! Non. Le royaume

« de Dieu existe déjà au milieu de vous, (i-ri ; 6y<Sv
«  « JTt>.) Sachez donc le reconnaître tel qu’il est. » 

Pareille explication ne fait aucune violence aux paroles évangéliques et s’accorde exactement avec le contexte.

Il n’est donc pas permis de recourir à la phrase : regnum Dei intra vos est, pour mettre en doute le I

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caractère social, le caractère essentiellement collectif du « royaume de Dieu » dans l’Evangile.

C. Le « royaume » et l’eschatologie

a) Le caractère eschatologique du « royaume ». — Nous ferons, à propos du système de M. Loisy, la même distinction qu'à propos du système d’Auguste Sabatier et de M. Harnack. C’est à bon droit que M. Loisy présente le « royaume de Dieu » comme essentiellement eschatologique. Mais c’est très à tort qu’il le présente comme purement et exclusivement eschatologique.

D’après l’Evangile, à coup siir, le « royaume » est essentiellement eschatologique. Il n’aura toute sa plénitude, toute sa perfection, il ne réalisera toute sa raison d'être, qu'à la fin du monde, par la manifestation définitive et glorieuse de la justice diA-ine. Alors seulement, l’humanité entière verra triompher le règne de Dieu, le droit royal de Dieu, la domination de Dieu. Jusqu'à cette victoire suprême, le

« royaume » demeure incomplet, inachevé ; il traverse

une période préparatoire, une phase d'épreuves et de combats. La perspective ultime du « royaume », c’est le jour mystérieux où l’Epoux doit reparaître, où il doit séparer tous les justes de tous les pécheurs, et introduire le cortège entier des élus au « festiu nuptial », qui n’est autre que la béatitude éternelle. Ceci posé, la question à résoudre est la suivante. Lorsque Jésus-Christ parle du « royaume de Dieu », parle-t-il exclusivement du règne eschatologique ? Lorsqu’il déclare toute prochaine, imminente, l’installation du « royaume de Dieu », déclare-t-il, par le fait même, que c’est la fin du monde qui est toute prochaine, imminente ? Bref, le « royaume de Dieu », d’après l’Evangile, ne serait-il pas complètement étranger aux condition." de la vie présente.' — Nous connaissons la réponse très catégorique de M. Loisy. Remarquons, avant d’examiner directement les textes de l’Evangile, que l’on ne peut invoquer, en faveur du système eschatologique, la croyance commune des contemporains de Jésus.

A en croire M. SciiiiuER, M. Loisy et bien d’autres, la notion du messianisme, couramment admise au temps du Sauveur, aurait été purement et sinqilement identique à la notion du règne final et définitif de Dieu. L'âge messianique aurait été considéré comme tout à fait en dehors des conditions de la vie présente, puisqu’il aurait eu pour iirélude la fin du inonde, et aurait constitué l'ère du pur bonheur dans la justice parfaite. D’où il résulte que Jésus. Aoulant accomplir i’esiJérance d’Israël, ne pouvait songer qu'à un

« royaume » exclusivement eschatologique. C’est

donc en ce sens que devrait être interprété l’Evangile et que devrait être ressaisi l’enseignement historique de Jésus.

Le R. P. Lagraxgi : , dans son bel ouvrage sur /.o messianisme chez les Juifs : 150 av. J.-C. à '200 ap. J.-C. (Paris, 1909, in-8°), vient de réfuter jiéremptoiremcnt cette théorie, en étudiant, avec une critique loyale et judicieuse, les notions que se faisaient les contemi)orains de Jésus-Clirisl, au sujet du messianisme, du monde à venir et du règne de Dieii. Parmi les manifestations de la pensée juive, il faut distinguer la littérature apocalyptique cl la littérature rahbinique. La première donne une plus grande part à l’eschatologie ; et la seconde lui attribue moins de juépondérance. Mais ni l’une ni l’autre n’identifie le règne messianique avec le règne final cl définitif de Dieu.

Dans les apocalypses comme chez les rabbins, le règne de Dieu, c’est la domination de Dieu, l’exercice du droit royal de Dieu. Dans les apocalypses comme