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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/750

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ESCLAVAGE

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maux dénués de raison.,. Comment donc se fait-il que. néirlij, ’eant les êtres qui aous ont été donnés pour esclaves, vous vous attaquiez à ceux qui sont libres par leur nature, et réduisiez à la condition de quadrupède ou de reptile ceux qui sont de même nature que vous ?… Combien, dites-moi, avez-vous acheté ces esclaves ? qu’avez-vous trouvé dans le monde qui put valoir un homme ? à quel prix avez-vous estimé la raison ? combien d’oboles avez-vous données pour l’image de Dieu ?… L’esclave et le maître diffèrent-ils en quelque chose ?… tous deux ne seront-ils pas, après la mort, également réduits en poussière ? ne seront-ils jugés par le même Dieu ? n’j' aura-t-il pas pour eux un même ciel et un même enfer ? Vous dont cet homme est en tout l’égal, quel titre de supériorité, je vous le demande, avez-vous à invoquer pour vous croire son maître ? Homme vousmême, comment pouvez-vous vous dire le maître d’un homme ? »

De brûlantes paroles comme celles-ci étaient de nature à accélérer le mouvement des art’ranchissements. L’aumône de la liberté fut, dès l’origine de l’Eglise, considérée comme la première des aumônes. Une partie de l’argent fourni par les cotisations volontaires des Odèles servait à racheter des captifs ou des esclaves (saint Ignace, Ad Polvc 4 ; Consf. apost.. IV, g). Des chrétiens héroïques allèrent jusqu’à se donner en servitude alîn de libérer des esclaves, dont probablement la foi ou les mœurs étaient en péril (saint Clkment de Rome, Cor., 55 ; voir la note de Lightfoot, >'. Clément, t. ii, 1890, p. 160, 3). On voit, au temps de saint Cyprien, les lidèles de Carthage se cotiser pour envoyer aux évêques de Numidie vingt-cinq mille francs destinés au rachat de chrétiens captifs (saint Cyprien, Ep., lx). Au i’siècle, saint Ambhoise brise et vend les vases sacres de son Eglise pour racheter des captifs (De Off. cler., II, 11, 15). On comprend que, dans une société aniniée de tels sentiments et habituée à de telles pratiques, l’affranchissement des esclaves ait été une œuvre courante. Quand la mort approchait, le chrétien se sentait pressé d’affranchir ses servileurs pro lemedio aniinae, selon l’expression d’une épitaphe (E. Le Blaxt, Inscr. chrét. de la Gaule, n" 874 ; t. II, 1865, p. 6). De même à la mort des proches : on lit sur le sépulcre d’un enfant que, « par charité », lors de ses funérailles son père et sa mère ont affranchi sept esclaves (Bull. di arch. crist., 1874 » P- Sg). La plus grande charité était, comme dans le cas qui vient d’être cité, d’affranchir ceux-ci de son vivant, et non seulement sans épuiser leur pécule par un prix de rachat, comme il était le plus souvent d’usage dans le monde païen, mais encore en leur assurant, conformément au précepte biblique (Deutéronome, xv, 13-ig), les moyens de vivre une fois libres. On a de noml)reux exemples de ces actes généreux (voir mon livre sur Les Esclaves chrétiens, p. 338). Le plus célèbre est celui de la

« sénatrice » romaine sainte Mélanie affranchissant

en une fois 8.000 esclaves (Palladius, Hist. Lausiaca, 119 ; Vita S. Melaniæ junioris, 34 ; saint Paulin de Noie, Carm., xxi, 251-253 ; cf. Rampolla, S. Melania giuniore. sénatrice roniana, 1905, p. 221) : comme un esclave de qualités ordinaires valait environ 500 fr., on peut estimer approximativement à 4 niillions de francs le coût de cette libéralité.

Le grand mouvenænt des affi-anchissements à l’époque chrétienne ne pouvait manquer d’avoir des conséquences économiques. Déjà les sources de l’esclavage commençaient à se tarir, car l’ère des conquêtes était depuis longtemps finie pour le monde romain. Mais surtout les mœurs nouvelles introduites par le christianisme contribuaient à diminuer la population servile. Saint Jean Chrysostome voudrait

réduire les maîtres à la possession d’un ou deux ser-Aiteurs seulement (In I Cor. Iluniil. xi. 5 ; In Genesini Jloin. LAI, 3 ; Adi oppugn. vitæ monast., iii, g ; In Ep. ad Ilebr. Ilom. xxaiii, 4 » 5). Bien que cet idéal nait probablement jamais été atteint dans les maisons riches, cependant on peut croire que plusieurs parmi les plus ferA’ents essayaient de s’en rapprocher, ce qui suppose de nombreux affranchissements, par conséquent un accroissement notable de la population libre. Moins d’esclaves implique plus d’ouvriers. On Aoit. au milieu du iv^ siècle, diminuer le mépris traditionnel dutravail manuel. L’Eglise donne l’exemple, en conseillant aux évêques et aux prêtres de travailler de leurs mains (saint Basile, Ep., cclxiii, cccxix), en élevant à l’épiscopal des artisans ou des bergers (Socrate, Hist. eccl., i, 12 ; Acta Sanct., Icvrier. t. I, p. 8g). Saint Jean Chrysostome proclame la supériorité de l’ouvrier chrétien sur le riche oisif (Jn Geiiesim Ilom. l, 2). Il trace des tal>leaux raAÎssants de l’atelier chrétien où père, mère, fils et tilles travaillent ensemble, égayant le travail par le chant des psaumes (Expos, in psalm. xli, 2 : De Anna sermo, iv, 6). Dans les inscriptions des catacombes, où si rare est la mention de l’esclave, celle de l’ou-Arier, de l’ouvrière, apparaît en place d’honneur (de Rossi, Insc. christ, urbis Romae, t. I, 1861, n°* 14, 62 ; Bull, di arch. crist., 1865, p. 52 ; Garrucci, 7V^^o^’e epigraphi giudaiche in vigiia Randanini, p. g) : une des fresques les plus soignées du cimetière de Calliste orne le tombeau d’une marchande de légumes, et la représente assise devant son établi (de Rossi, Borna sotterranea. t. III, iS’^j, pi. xiii). « Ces mains ont subA’enu à mes besoins et à celles de mes compagnons », avait dit autrefois saint Paul (I Thess., 11, g ; Act. apost., xx. 34). L’idée apostolique commence à se réaliser au iv^ siècle : le travail libre, naguère écrasé par le travail serA ile. redcvient peu à peu honorable et prospère. Même les lois oppressives, fruit d’une mauvaise organisation économique, qui attachent de plus en plus à leur corporation les gens de métier (Aoir Waltzing, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, t. II, 1896). attestent l’importance acquise aux ia= et a= siècles par la question du travail.

L’essor pris à la même époque par la Aie monastique contribua certainement à ruiner l’idée d’escla-Aage. L’Eglise anathématise les gens trop zélés qui exciteraient les esclaves à fuir leurs maîtres sous prétexte de piété (concile de Gangres, 362, canon 3). Mais en même temps elle fait aux moines un dcvoir d’offrir un asile aux esclaA’es menacés par l’immoralité ou la cruauté des maîtres (saint Basile, Regulae fusius tractatae, 11). Ils doivcnt accueillir tous ceux que leur amène une Aéritable Aocation : « des esclaves et des affranchis, et d’autres que leurs maitresontalfranchis ou doÎA’ent affranchir dans ce but, et des paysans et des ouvriers. et des gens du peuple. Ce serait un grand péché de ne pas les rece-Aoir, car beaucoup de cette condition ont été Araiment grands et dignes de serAÎr de modèles » (saint Augustin, De opère monach., 22).lls y AÎA-ront mêlés, dans une égalité parfaite, aACC les hommes du plus haut rang, quelquefois aA^ec leurs anciens maîtres, tous travaillant et priant en commun. De grandes dames fondèrent des couvcnts de femmes pour s’y retirer avec celles de leurs servantes qui Aoudraient les suivre (Rampolla,.S. Melania giuniore, p. 222). Le niA-ellement de tous les rangs sociaux par la bure ou le Aoile monastique a été admirablement exprimé dans une lettre de saint Léandre, un parent des rois Avisigoths d’Espagne, écrÎA’ant à une abbesse de grande naissance : « Celles que leur origine avait faites esclaves, leur profession en a fait tes sœurs. Que