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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/756

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ESCLAVAGE

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ses esclaves et en ses ricliesses, libérant les esclaves et faisant servir les richesses à l’assistance des esclaves libérés : Jionori/ica ergo pro omnibus Deum tiuim, sii’e in senùs tihi subactis, sii’e in dii’itiis tibi concessis, ex mis liberos faciendo et ex istis eleemosynam tribnendo (Via regia, 35).

V. Le servage

1° Le ser<,-age et la philosophie scolastique. — Dans la France féodale, et, plus on moins, dans l’Europe féodale, '< le type de l’esclave antique a complètement disparu » (H. Sets., Etude sur les classes serviles en Champagne aux xii' et xiii' sii’cles, dans Revue historique, nov.-déc. iSg^). Le servage, qui subsiste seul, n’est plus l’esclavage proprement dit, mais un état intermédiaire entre celui-ci et la liberté, participant plus ou moins de l’un et de l’autre, selon les lieux. Même dans les circonstances les plus favorables, le serf n’est point libre, puisqu’il ne peut abandonner la terre qu’il cultive, puisqu’il ne peut se marier en dehors du domaine sans le consentement du maître, et puisque, le plus.souvent, il ne peut disposer de son ])ien au préjudice de celui-ci, s’il meurt sans héritiers directs : mais, même dans les circonstances les moins favorables, il est libre en ce que, ses corvées accomplies et ses redevances payées, il reste maître de son travail et de sa personne, en ce qu’il jouit de tous les droits de 1 époux et du père, en ce qu’il possède pleinement les biens qu’il a pu acquérir, sauf la restriction indiquée tout à l’heure. Il ne faut point perdre de vue cette situation, quand on étudie les opinions des docteurs scolastiques, du xii « au xiv' siècle, sur la question de la servitude. Le mot sen’us, dans leurs écrits, signiûc non l’esclave, tel qu’il était au temps d’Aristote, et tel qu’il fut pendant toute l’antiquité, mais le serf, tel qu’il est devenu à l’aurore des temps modernes. De là, en apparence, une sorte de malentendu entre leiir pensée et la réalité. Comme Aristote fut, pour tous les docteurs de ce temps, le Maître par excellence, ils paraissent quelquefois accepter ses théories sur la servitude, et on le leur a souvent reproché (voir Delécluse, Grégoire VII, saint François d' Assise, saint Thomas d’Aquin, iS^^, t. 11, p. 2^1 ; ForGUERAY, Essai sur les doctrines politiques de saint Thomas d’Aquin, 1869, p. 60 ; IIousselot, Etudes sur la philosophie dans le moyen âge, 1840, t. II, p. 2f)4 ; Nourrisson, Tableau général des progrès de l’esprit humain, 1858, p. 269 ; Jaxet, lïist. de la philosophie morale et politique, 1858, t. I, p. 828 ; Raumer, Geschichte der Ilohenstaufen und ihrer Zeit, t. VI, 1857, p. 349 ; Havet, Le Christianisme et ses origines, t. I. 1871, p. 278 ; Zambo ?.'i, Gli Ezzelinl. Dantee gli schiavi, 1906, p. 28, 476 ; Cioccotti, // tramonto délia schiavitù, 1899, p. 21 ; DoBscniiTz, Real-encyhl. fur protest. Théologie und Kirche, l. XVIII. p. 43) ; mais ils ne les acceptent en principe qu’après leur avoir fait subir des modifications qui leur ôtent ce qu’elles avaient de chimérique et d’odieux, et les avoir passées, en quelque sorte, au crible de l’esprit chrétien. Aussi, sur les cas pratiques et concrets, que leur a révélés l’expérience de tous les jours, se montrent-ils non en arrière de leur temps, comme aurait pu le faire supposer leur point de départ, mais au contraire en avant de la légalité et des mœurs de ce temps. Loin de rétrograder vers l’esclavage antique, ils tendent à reconnaître de plus en plus au serf du moyen âge les droits de l’homme libre.

Prenons le plus illustre représentant de l’Ecole, saint Thomas d’Aquix ( 1 22.>i 274). et voyons comment, sur la question fondamentale de l’origine de la servitude, il s’approche et se sépare de son maître Aris tote. On n’a pas oublié la théorie de celui-ci sur

« l’esclave par natures. Thomas d’Aquin la reproduit

dans son commentaire de la Politique : mais il la corrige d’un mot, en disant que l’homme doué d’une moindre raison est naturellement vis-à-vis de l’homme d’une raison supérieure < comme >- un esclave, nataraliteralteriusest quasi serus. Dana les livres où, au lieu de commenter le texte d’autrui, le docteur angélique expose librement sa propre pensée, il corrige beaucoup plus complètement la théorie d’Aristote, puisqu’en paraissant la rappeler il lui en substitue une autre. Moins hardi que quelques-uns de ses contemporains, saint Thomas considère comme fausse la doctrine professée par ceux-ci, qu’un chrétien ne peut être esclave. Tous les hommes sont égaux, dit-il ; mais l’ordre veut qu’il y en ait qui servent les autres, et le Christ n’est pas venu détruire cet ordre (In Ep. ad Tit., 11, lect. 2). Il y a même des hommes incapables de se conduire eux-mêmes, pour qui la servitude est un bienfait. Mais, ajoute saint Thomas, il n’y a pas d’esclaves par nature : l’homme diffère des créatures déraisonnables en ce qu’il est maître de ses actes par la raison et la volonté ; seuls les êtres sans raison sont par la nature destinés à servir (la Ilae, q. I, a. I t ; a. 2 : I » lae, q. 64, a. i, ad 2).

Albert le Grand (1 193-1280), Egidius (1245-1316) admettent de même qu’il } a des hommes faits pour servir, parce que, incapables de se conduire euxmêmes, la servitude est pour eux un bienfait ; mais, comme saint Thomas, ils justifient cette servitude

« quasi naturelle » par l’intérêt de l’assujetti, non, 

avec Aristote, par l’intérêt du nïaître : à les bien entendre, ce sont les maîtres qui sont faits pour les esclaves, non les esclaves pour les maîtres. Le franciscain Dlns Scot (1274-1308) précise plus complètement cette doctrine, qui, dans les termes où il la présente, devient tout à fait acceptable. Exposant la théorie d’Aristote, d’après laquelle ceux qui l’emportent par l’intelligence sont nés pour le commandement, et ceux qui sont inférieurs par l’intelligence nés pour servir, il explique qu’elle ne doit pas s’entendre de la a servitude extrême » dont a parlé le philosophe grec, mais seulement de la « servitude politique », et que l’assujetti ne doit pas être considéré, ainsi que le voulait le Stagirite, comme un instrument dans les mains du maître, mais comme celui qui, moins intelligent, est dirigé par celui qui l’est davantage : Respondeo hoc non est intelligendum de ista servitute extrema, sed tantum de servitute politica, qua inferior disponitur a superiore : non tumen sicut inanimatum, sed sicut minus vigcns mente ordinatur per illum qui mugis pollet mente (In IV Sent., dist. 36, q. un.). Non moins nettement se sépare d’Aristote un autre docteur franciscain. Pierre AuREOLL’s, mort cardinal en 1322. Il admet que les moins capables de se conduire doivent être soumis aux plus capables ; mais cette servitude naturelle doit s’entendre, dit-il aussi, dans le sens de servitude politique et civile. L’homme ne saurait être autrement asservi, pai’ce qu’il est par nature libre de sa personne, maître de ses actes, et, selon la forte expression d’Aureolus, a un animal dominateur », quia homo est animal dotninatifum naturaliter. L’assimiler, comme le veut Aristote, aune bête de somme que le maître peut vendre ou donner, et qui est incapable de vertu et de libre arbitre, c’est blesser le droit natiu’el : ergo, quod aliquis hoc modo sit se ?-i’us, videtur esse contra jus naturæ (In IV Sent., dist. 36, q. un., art. un.). Saint Thomas s'était placé au même point de vue en comparant aussi l’esclave et le sujet, l’un et l’autre mus par le maître et le prince, mais tout autrement que ne sont mues les choses inanimées, puisque l’homme, même esclave ou sujet, même obéissant au comman-