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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/755

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ESCLAVAGE

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à quelqu’un de ses parents ou de ses proches également dépendants de celle-ci. ce qui paraît un ingénieux moyen de concilier la liberté de vendre avec rinaliénabilité du Inen ecclésiastique.

Cette inaliénabilité n’a, elle-nième, rien d’absolu. C’est un principe auquel la charité peut l’aire subir des dérogations. Une preuve intéressante en est donnée par le canon lo du concile anglo-saxon de Celcliyte (816). Il ordonne qu’à la mort de tout évêque (( pour le salut de son àme la dixième partie de ce qu’il possède, gros et menu bétail, moutons et porcs, et des provisions de ses celliers, soit distribuée aux pauvres, et que tous ses serfs anglais soient mis en liberté, de telle sorte qu’il puisse obtenir ainsi la récompense de ses travaux et le pardon de ses péchés ».

On a vu que le concile d’Eause faisait à l’Eglise un devoir de rendre à ses serfs la vie facile et douce. Les lettres de saint Grégoire le Grand, dont nous avons déjà cité quelques-unes, le montrent gouvernant avec autorité les colons et les serfs de l’Eglise de Rome, achetant même, pour les besoins de ses terres, quelques individus d’une trilui sauvage réfugiée en Sardaigne, mais protégeant a^ ec la plus grande sollicitude tous les droits de famille et de propriété de ces travailleurs des domaines ecclésiastiques, et les traitant comme une grande famille, la familia saucti Pétri, de même qu’il considère les immenses propriétés que, par eux, il administre et met en valeur, comme étant vraiment le bien des pauvres et la source des aumônes, les, possessio, bona, utititaies paitperum (voir Thomassin, Ancienne et noin’elle discipline de l’Eglise, éd. André, t. VI, p. log-i i i ; Claudio Jax-XET, Les grandes époques de l liistoire économique, p. 124-136 ; Grisar, lioma al fine del mundo antico, parte terza, 1899, p. SGg-S^’j). Mais la condition des serfs ecclésiastiques ne cesse de s’améliorer. Trois cents ans après saint Grégoire le Grand, un document célèbre permet de juger de cette amélioration. Le Polyptyque d’Irniinon, c’est-à-dire la description des terres de l’abbaye deSaint-Gerniain-des-Prés, fait connaître ce qu’était devenue, au ix*^ siècle, l’existence des serfs de l’Eglise. On constate : 1° qu’ils sont maintenant peu nombreux, et que sur les vastes domaines des grandes abbayes la population des cultivateurs lil)rcs ou des colons l’emporte dans de très grandes proportions sur la population des cultivateurs de condition servile ; 2" que la dilTérence entre ces deux classes d’exploitants n’est plus très sensible, puisque les uns et les autres doivent des redevances fixées d’avance et que le propriétaire n’a pas le droit d’augmenter arbitrairement, le surplus de leur temps et de leur travail leiu-étant a])andonué : ’6'^ que les familles de serfs ont une tendance à s’élever, beaucoup de ceux-ci épousant des femmes libres, et leurs enfants devant suivre, dans ce cas, la condition de la mère ; 4° que ces familles sont souvent nond)reuses, ce qui montre que les gains de leur travail et les produits de leurschamps sufTiscnt à entretenir le père, la mère et plusieurs enfants. Ajoutons que leurs besoins spirituels ne sont pas négligés : sur les i-.ooo hectares que possède l’abbayedeSaint-riermain. et surlesquels sont répartis 2.829 ménages, dont seulement 120 ménages de serfs, le Polyijl^que d’Irniinon conqite trente-cinq églises.

La statisti(pie est un peu moins favorable pour un autre monastère, celui de Sainl-IJertin. qui, vers le milieu du ix’siècle, possédait une population libre de 1.778 habitants (moins les femmes, ce qui devait à peu près la doubler) et une population servile de 462 liajjitants (y compris les femmes). Dans cette population servile il y avait 166 serfs et serves et 296 mancipia, serviteurs sans Icnures lixes, astreints au service personnel et aux travaux agricoles, et

recevant pour prix de leur travail soit la nourriture, soit la jouissance d’une terre. Cette classe de la population servile n’est point constatée sur les terres de Saint-Germain-des-Prés : on la retrouve, à une époque un peu plus avancée, dans l’abbaye alsacienne de Marmoutiers.

Du reste, le mot mancipia ne doit pas nous faire illusion et nous entraîner à croire qu’entre les serviteurs ecclésiastiques désignés par ce mot et l’esclave proprement dit il y avait iiarité de situation. Comme les serfs possesseurs d’une tenure, les mancipia des églises ou des monastères jouissent légalement d’une situation privilégiée. Un capitulaire de 853 défend d’échanger les mancipia ecclesiastica, à moins que par cet acte ils ne reçoivent la liberté, nisi ad lihertaiem commuiet (Baluze, Capit., t. II, col. 57, 58). Un capitulaire de 857 déclare qu’entre les seri, ’i ou les mancipia de l’Eglise et ceux des laïques il y a autant de différence qu’entre un homme libre et un esclave (ibid., 1. II, col. 364).

J’ai parlé des églises mises à la disposition des populations agricoles des domaines ecclésiastiques : ajoutons que des écoles leur étaient également ouvertes. On y pratiquait même, d’une certaine manière, l’instruction obligatoire : un concileespagnol (sixième de Tolède, 68g) fait aux affranchis de l’Eglise un devoir d’envoyer leurs enfants dans ces écoles, à peine de révocation de l’affranchissement (Crt/’< « /rt/re de Saint-Rertin, p. 147, 212, 874 ; Cartulaire de Suint-Sauyeur de Redon, p. 243, 291, 308, 329, 35 1 ; Statuts de l’ahbaye de Saint-Pierre de Corbie, dans Gui’ : u.kd, Polyptyque d’Irniinon^ t. II, p. 356).

De ces détails on doit conclure qu’au ix’siècle il n’y a pas Ijeaucoup de serfs ecclésiastiques, et que leur A-ie ne diffère i)lus beaucoup de celle des autres tenanciers ou colons. Cette conclusion s’impose d’autant plus que le monde ecclésiastique du ix’siècle semble imbu d’idées très libérales. On ne peut facilement distinguer, dans les écrits de cette époque, si le mot servus désigne l’esclave proprement dit ou le serf de la glèbe ; mais ce qu’on reconnaît, c’est que les idées sont de plus en plus hostiles à la servitude. S’inspirant des décisions des conciles, les lois proclament

« le devoir pour les dépositaires de l’autorité, 

soit clercs soit laïques, de traiter avec mansuétude, dans les corvées exigées d’eux ou dans les redevances qui leur sont imposées, les hommes de toute condition, nobles ou non nobles, esclaves, colons, inquilini. et autres de quelque dénomination que ce soit ; car ils sont les frères de leurs nuiitres, ayant dans le ciel un même Dieu, qu’ils appellent notre Père, et une même mère, l’Eglise, qui les a enfantés de son chaste sein » (Cflpit.econciliisexcerpta, dans.1/0 ». Germ. hist., f.eges, t. II, n° 154). L’origine de la servitude, pour les docteurs de cette époque, est soit le péché, soit le malheur, iniquitas’el adi’ersitas : le péché, comme dit l’histoire de Cliam, le malheur, comme dit celle de Joseph (Alcuin, 735804, Interr. et respons. in l.ibrum Genesis, 273 ; RnAB.x Maur, 776-856, In Gènes., iv. 9). Agobaro (779-840) déclarant qu’il faut, quand ils le demandent, baptiser les esclaves des Juifs, explique que l’on ne saurait hésiter entre l’obéissance que l’esclave doit au Dieu qui lui a donné la vie et celle qu’il doit au maître

« qui pour 20 ou 30 sous a acheté ses services corporels » 

{/)<’baptisnio.hidæorum mancipioruni). L’abbé de Saint-Mihiel, Smaragde (819). prend même une position tmit à fait nette ; il demande à Louis le Débonnaire de sui)primer dans ses Etals la servitude : et ne in regno tuo capti’itas fiât. ( hie pour rendre hommage à la bonté de Dieu chacun renvoie libres ses esclaves, unusquisque liberos débet dimittere sen’os ; et que le très juste et très pieux Roi honore Dieu en