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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/769

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bateaux n’en embarquent pour Oujiji par cenlaine. s. » Mgr Lavigerik t vahiait à 400.ooo par an les infortunés « que les traitants traînent sur les marcLés, quand ils ne les laissent pas, neuf sur dix, toml)er sur les chemins, rompus de coups ou exténués de misère. » Des contrées entières avaient été dévastées par la traite, et certaines tribus, sous la menace d’un danger incessant, étaient tombées dans une misère profonde et dans une sorte de marasme intellectuel et moral. Zanzibar devint le grand marché où, de tous les points de la côte orientale, les noirs étaient rassemblés, après avoir été capturés dans l’intérieur, traînés en longues caravanes, et embarqués siu’des boutres infects. Chaque année ils y passaient à la douane, au nombre de 50 à 60 mille, et, paj’ant une piastre par tête, constituaient le revenu le plus clair du sultan. C’est de là qu’ils étaient vendus et dispersés dans la camj)agne de Zanzibar, à Pemba, aux Comores, en Arabie, en Turquie, en Perse, en Egypte, à Tripoli, au Maroc, au Siam, au Laos. Les puissances européennes, dont les diverses possessions ou zones d’influence couvrent maintenant une partie du continent noir, France, Angleterre, Allemagne, Belgique, ont fait de grands eflorts pour entraver le fléau : mais pendant longtemps elles ne parvinrent que dans une mesure restreinte à l’empêcher d’exercer ses ravages jusque sur leurs propres territoires, trop vastes pour être partout surveillés. On peut affirmer que, sans la religion, ni leurs armes ni leur diplomatie ne seraient parvenues à le combattre etticacement. Mais les missionnaires, plus audacieux encore que les armées, ont pénétré partout, et planté sur tous les points du pays ravage par la traite les jalons d’une civilisation libératrice. Pères du Saint-Esprit, Oblats, Pères Blancs, Franciscains, Jésuites, prêtres des Missions de Lyon, ont, au Soudan, en Guinée, au Gabon, au Congo, racheté des esclaves et fondé des « villages de liberté » : on sait les merveilles opérées dans les pays des Grands Lacs par les Pèrfs Blancs, convertissant, c’est-à-dire arrachant à la fois au fétichisme et à l’esclavage, des royaumes entiers, et rendant leurs néophytes capables de supporter, avec un héroïsme et des sentiments renouvelés de la primitive Eglise, les plus cruelles persécutions.

Une grande figure se dresse ici à l’horizon de l’histoire, celle du cardinal Lavigerie, qui fut, dans la seconde partie du xix* siècle, le plus puissant adversaire de l’esclavage africain (voir Kleix, I.e Cardinal Lavigerie et ses œures d’Afrique, l’éd., 1 898). Il fonde, en 1868, la congrégation des missionnaires d’Alger, si populaires sous le nom de Pères Blancs, et dont l’action s’étend aujourd’hui jusqu’au centre de l’Afrique ; il entreprend, en 1888, une tournée de conférences anliesclavagistes à travers l’Europe ; il fonde à Paris, la môme année, la Société antiescla agiste de France ; c’est à la suite et par l’elfet de sa propagande que se réunit en 1889 la conférence de Bruxelles, d’où sort une sorte de Code international obligeant toutes les puissances ; il ouvre à Paris, en 1890, par un discours prononcé dans l’église Saint-Sulpice, en présence d’iiommes de toutes les croyances et de toutes les opinions, le Congrès antiesclavagiste, tenu par les représentants des associations de France, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Aulriche, de Belgique, d’Italie ; il preiul, par liii-mèuic et jiar ses religieux, une grande part à la création de ces « villages de liberté » dont nous avons déjà parlé, et qui, comme l’écrit un auteur prolestant, « après avoir été de simplesasilcs d’esclaves fugi’.ifs, deviendront, avec l’aide des missionnaires, des foyers de travail agricole et de vie morale, qui portci-ont dans les pays jadis barbares les bienfaits de la civilisation ». (G. Bo xet-Maury, France, Christianisme et Civilisation, p. 24 ;.)

L’esprit pratique du cardinal Lavigerie, attentif au possible et ennemi de l’elfort inutile, ne s’était point proposé la suppression immédiate de l’esclavage domestique chez les musulmans, bien que, comme il l’a montré dans un discours prononcé à Rome en 1888, et comme il l’écrivait en 1889 au roi des Belges, cet esclavage, malgré sa douceur relative, fût quelquefois accompagné de gi-andes cruautés. Ce qu’il se proposait, c’était, comme il le dit, en 1888, dans une autre lettre à M. Keller, de faire disparaître la traite,

« la chasse à l’homme à l’intérieur de l’Afrique, le

transport et la vente des esclaves sur les marchés turcs », et d’effacer, comme il l’avait dit encore la même année en présentant à Léon XIII des noirs rachetés avec les ressources fournies par l’Œuvre de la Sainte Enfance, « ces routes impies qui sont tracées au voyageur par les ossements des nègres esclaves ». Le Pape auquel il parlait ainsi l’aida puissamment par l’envoi, en 1890, d’une lettre flétrissant « la cupidité de ceux qui, indignes du nom d’hommes, font, avec la cruauté et la ruse de barbares, commerce des nègres créés comme eux à l’image de Dieu et participant comme tous les autres de la nature humaine » {Leonis Xllf P. M. Acta,. X, 1891, p. 192-196), envoi accompagné de 300.ooo francs. Une encyclique pontificale de la même année (ibid., p. 3 1 2-3 18) flétrit, en termes plus éloquents encore, « la peste maudite de la servitude », et ordonne que chaque année, dans toutes les églises du monde catholique, une quête sera faite le jour de l’Epiphanie en faveur de l’Œuvre anticsclavagiste. Espérons que tant d’elï’orts, parmi lesquels l’initiative catholique tient incontestablement le premier rang, finiront par fermer en Afrique ce que Livingstone appelait x l’ulcère béant » de l’esclavage. Un fait récent paraît un indice de cette cicatrisation désirée : c’est l’abolition, en juin 1909, de l’esclavage dans le sultanat de Zanzibar. Déjà un édit, malheureusement à peu près inexécuté, y a^ait prononcé, en 1893, l’interdiction de la traite.

L’encyclique du 20 novembre 1890 contient une piirase qui me paraît renfermer la conclusion de tout cet article : « Gardienne attentive de la doctrine de son Fondateur, l’Eglise ju’it en main la cause négligée des esclaves, et entreprit vaillamment la revendication de leur liberté ; mais elle dut accomplir cette œuvre peu à peu, avec modération, selon que le permettaient le temps et les circonstances ». Sediila castos doctrinæ Conditoris sui, Ecclesia sitscepit neglectam servoruni caiisam, ac slrenua vindex lihertatis cxtitit, etsi proiit res et icnipora ferebant sensim rem gereret et temperate.

Paul Allard.


ÉTAT. —
I. Nature de lEtat. — II. Origine de l’Etat. — III. Fonctions de l’Etat. — IV. Fausses théories de l Etat. — V. Rapports de l Eglise et de l Etat (voyez article Libéralisme).

I. Nature de l’Etat. — 1) Définition. — 2) Fin propre. — 3) Caractères de l’Etat.

I. Définition. —

Dans la littérature contemporaine le mot Etat a reçu des acceptions très dill’érentes. Pour les uns, l’Etat est synonyme de gouvernement, pour les autres, il est composé du gouvernement et des citoyens ; d’autres encore sous-entendent plutôt la société, ou nième un organisme abstrait doué de toutes sortes de vertus. Il importe donc, afin d’éviter les ambiguïtés et les équivoques, de préciser la signification de l’Etat.

Ce mot peut être pris dans deux sens, suivant qu’il