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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/770

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ETAT

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représente ou bien la société civile ou bien le pouvoir suprême dans cette société. Ainsi quand nous disons que, dans certaines cii-constances, l’homme est tenu de sacrilier sa vie pour l’Etat, nous prenons ce mot dans le premier sens, c’est-à-dire celui de société civile ou politique. Quand nous atUrmons que l’Etat doit garantir les droits des citoj-ens, nous employons le mot Etat dans le sens d’autorité suprême ou sou-Acraine. Confondre ces deux notions, ce serait ou-Arir la porte à des abus intolérables. Si l’on identifie la société avec le gouvernement, on A^erra bientôt la A’ie nationale tout entière absorbée dans le pou-Aoir suprême, l’initiatiA-e priAée étoufTée sous le joug pesant dugouvernement, la liberté individuelle écrasée parle despotisme. Ce péril peut, du reste, exister sous toutes les formes de gouvcrnement, et la tyrannie d’une oligarchie n’est pas moins menaçante que celle d’un monarque. Considéré comme société civile ou politique. l’Etat peut se déflnir de la manière sui-Aante :

On appelle société civile ou politique, cette société complète et parfaite, qui est composée d’une multitude de familles et se propose comme but final la réalisation du bien commun naturellement nécessaire à tous les hommes. Un mot sur chacun des éléments de cette définition.

L’Etat est une société complète, c’est-à-dire que la fin qu’il poursuit est un bien général et non un bien particulier. Alors qu’une société littéraire, commerciale, scientifique, amicale, etc., ne procure à ses membres que des aA-antages d’une espèce déterminée, limités à un certain ordre, la société civile Aise au bien général des citoyens et contribue à leur perfectionnement physique, intellectuel et moral.

Parfaite, la société ciA’ile, dans la sphère de sa fin propre, est indépendante des autres sociétés. Placée au-dessus des autres sociétés particulières, elle les domine ; mais ni dans l’existence, ni dans l’exercice de ses droits, elle ne dépend de ces groupements subordonnés.

Composée d’une multitude de familles, parce que la société n’est pas le résultat de l’association d’indi-A-idus pris isolément. L’unité primordiale, la cellule fondamentale de la société civile, c’est la famille. L’Etat n’est qu’un agrégat de familles, celles-ci composent les communes qui, à leur tour, forment l’Etat. Otte conception se retrouAC dans la philosophie antique. Aristote appelle l’Etat l’union des familles et des communes, et non une multitude d’hommes pris individuellement. Le pape Li’ ; ox XIII a remis cette Aérité en pleine lumière. « Voilà donc, dit-il, la famille, c’est-à-dire la société domestique, société très petite sans doute, mais réelle et antérieure à toute société ciAÙle, à laquelle dès lors il faudra, de toute nécessité, attribuer certains droits et certains dcA-oirs absolument indépendants de l’Etat… Les fils sont quelque chose de leur père, ils sont en quelque sorteune extension de sa personne, et pour parler avcc justesse, ce n’est pas immédiatement par eux-mêmes qu’ils s’agrègent et s’incorporent à la société civile, mais par l’intermédiaire delà société domestique dans laquelle ils sont nés. » (Encycl. lierum yo’aruni, § Jura odio.)

Enfin la société civile a pour but final : la réalisation du bien commun, naturelleuietit nécessaire à tous les hommes. La fin de la société civile, en effet, est précisément ce bien qui, tout en étant indispensable à tous les hommes, ne peut être réalisé par chacun d’eux pris isolément ou par des groupements particuliers.

De la déf’inition de la société civile, il résiilte que les éléments qui la constituent sont au nombre de trois : i) une masse d’hommes constitués en familles ;

2) une autorité commune suprême ; 3) l’indépendance A-is-à-A’is des autres sociétés de même nature, en d’autres termes : la souvcraineté. On peut ajouter : un territoire propre, en faisant abstention des sociétés rudimcntaires, telles que les hordes nomades.

2. Fin propre de l’Etat. — Il est important de déterminer avec soin la fin propre de la société civile, car de cette considération dépendent la fonction, les droits et les dcA-oirs de la société et du pouvoir suprême. Qu’est-ce en définitiAC que la fonction de la société politique, sinon le moyen de tendre à sa fin propre ? Les droits de la société ? Le moyen nécessaire pour remplir sa fonction. Les dcA-oirs ? La règle et la mesure de cette fonction. D’ailleurs, comme nous le démontrons dans la suite, la fin de l’autorité suprême n’est pas différente de celle de la société.

D’après Montesquieu, les Etats ont pour fin commune, unique, leur propre conserA ation. En dehors de cela, ils ont chacun une fin particulière déterminée. " L’agrandissement, dit-il, était l’objet deRome, la guerre celui de Lacédémone. la religion celui des lois judaïques, le commerce celui de Marseille, la tranquillité pul)lique celui de la Chine, la navigation celui des Rhodiens. y ^lais on constate sans peine que Montesquieu confond la lin de l’Etat avec les différents moyens qui peuvent serA’ir à la réaliser. Passant à l’extrémité opposée, H.ller nie toute fin propre de l’Etat. « Si la société civile, dit-il, n’est autre chose qu’une addition et un engrenage d’innombrables sociétés particulières, difTérentes et aolontaires, si elle n’est pas une société une et générale, qui euvcloppe de plein droit tous les membres du groupe, la fin naturelle de l’Etat est un non-sens. » L’erreur capitale de Haller, ce qu’il n’a pas su discerner, c’est que les convcntions priA’ées qui forment les groupes particuliers ne sont point l’Etat, mais seulement la cause occasionnelledecelui-ci, elles rapprochent et groupent un certain nombre d’individus, et de ce rapprochement naît naturellement une société générale, la société civile, l’Etat, qui encadre les sociétés particulières et réunit en un tout les membres du groupe.

La fin propre de l’Etat, c’est lebien temporel commun, la prospérité publique. La fin propre de la so-. ciétécÎAile doit être le terme des tendances naturelles qui lui donnent naissance. Or les deux forces qui attirent l’homme à la aMc sociale : la bienveillance innée et l’indigence dans la loi du progrès, ont pour terme naturel et nécessaire le bien temporel commun. C’est dans ce bonum commune que se trome la fin propre de la société civile. Au Arai, la sociabilité de l’homme n’est satisfaite que dans une société supérieure aux groupements particuliers et par l’acquisition d’un bien qui dépasse et domine les biens particuliers, c’est-à-dire le bien public, le bien commun temporel. Pourqiioi les hommes cherchent-ils au-dessus de la famille et des associations particulières une union plus compacte et plus Aaste, sinon pour obtenir un bien communj un bien social auquel ne peuvcnt parvcnir, ou du moins auquel ne parviennent ([ue dilHcilcment les individus et les groupements inférieurs" ? Etant le dernier terme de la sociabilité humaine dans l’ordre naturel, la société ciA-ile a pour l>ut de compléter, d’aider les sociétés inférieures dans la poursuite du bonheur temporel, ordonné lui-même à la l)éatitude éternelle. Et donc le bien commun supplée à l’insuflisance des activités individuelles ou collcctives, s’élève au-dessus des dilTérents biens particuliers, favorise la tendance au progrès physique, intellectuel et moral de la nature humaine, et comprend l’ensemble des conditions qui rendent possibles à tous les associés le Arai bonheur, la perfection sur cette terre.