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ÉVANGILES CANONIQUES

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plausible de la ressemblance généi-ale de nos documents, au point de vue du fond : nos Evangiles reproduisent la même partie du luinistère de Jésus en Galilée, souvent les mêmes faits, les mêmes discours, parce que tel était devenu l’objet courant de la catéchèse prêchce dans les Eglises.

Mais, ce que l’on ne comprend pas, dans cette hypothèse, c’est que les trois Synoptiques s’accordent parfois à grouper les faits dans le même ordre et au moyen d’une liaison tout artilicielle. Qu’il suffise de citer en exemple le récit de la décollation de Jean-Baptiste, rattaché à la mention de l’opinion qui avait cours auprès d’Hérode Antipas sur Jean-Baptiste ressuscité, opinon uîanifestée elle-même à l’occasion des miracles opérés par Jésus : Marc, vi, 14 sq. = Matth., xiA-, I sq. Cf. Luc, iii, 19-20 ; ix, 7 sq.

Ce que l’on ne s’explique également pas, c’est que, tandis que nos EAangiles relatent avec des variantes assez notables les paroles du Sauveur qui auraient dû être reproduites avec le plus de fidélité — par exemple, le texte de la prière dominicale, les expressions employées dans l’institution de l’eucharistie

— ils s’accordent, au contraire, çà et là, pour rapporter les mêmes détails historiques de peu d’importance, pour mêler à leur narration la même observalion d’ordre très secondaire, pour citer l’Ancien Testament d’une façon identique, et cependant différente de l’hébreu et des Septante, parfois pour introduire ou relier entre eux leurs récits par des formules fort semblables. Exemples : Marc, i, 3 ^ Matih., iii, 3 = Luc, iii, 4 ; Marc, 1, iG = Matth., iv, 18 ; 3Larc, I, 21 = : Matth., IV, 31 ; Marc, i, 32 =^Matth., viii, 16

: =Luc, IV, 40 ; Marc, ix, 36 =^ Matth., xviii, 2-3 : =

L.itc, IX, 47-48 ; Marc, xiv, 43 = Matth., xxvi, 4 ; = Luc, XXII, 47.

Ces particularités, et d’autres encore, ne semblent pouvoir s’expliquer quepar une dépendanceà l’égard de textes écrits : des Evangiles plus récents à l’égard des Evangiles antérieurs, ou des trois à l’égard de documents primitifs.

64. 2° — L’hypothèse de l’utilisation mutuelle de nos Evangiles ne fournit pas, non plus, une explication adéquate du problème.

Elle ne rend pas compte des divergences nombreuses et importantes qui se constatent entre nos documents, soit au point de vue du contenu général, soit au point de vue de l’ordre des récits et des discours, soit au point de vue des détails et des formules rédactionnelles. Si nos évangélistcs s’étaient servis du travail les uns des autres, on devrait le reconnaître d’une manière bien autrement sensible, à la comparaison de leurs écrits.

En particulier, il est difficile de croire que saint Matthieu et saint Luc se soient connus l’un l’autre : comprendrait-on le peu d’accord qu’offrent leurs récits de l’enfance de Jésus, l’absence chez l’un de discours ou de paraboles rencontrés chez l’autre, alors que tous deux attachent manifestement tant de prix aux enseignements du Seigneur, enfin la différence complète de Tordre dans lequel ils reproduisent ceux qu’ils ont en commun et de la liaison qu’ils leur donnent avec les événements de la vie de Jésus ?

Il est également improbable que saint Marc ait connu l’un ou l’autre des deux autres Synoptiques : on ne s’expliquerait pas qu’il en ait négligé les plus touchantes paraboles ; il n’a pas voulu, en effet, se borner systématiquement au récit de l’histoire, puisqu’on n’est pas sans trouver chez lui des paraboles et des discours. Saint Marc n’a d’ailleurs rien d’un abréviatcur, même en ce qui regarde les récits : sa narration est souvent plus développée et plus circonstanciée que celle des deux autres.

Enfin, que saint Marc ait servi de source à saint

Matthieu et à saint Luc, c’est une supposition qui l)eut valoir seulement pour la partie narrative de ces deux derniers évangélistcs ; aussi est-elle généralement combinée avec l’hypothèse d’une deuxième source, le recueil "de Logia. Même restreinte à la partie narrative, elle ne laisse pas de présenter de sérieuses difficultés, comme nous le verrons en parlant de l’hypothèse mixte,

65. 3° — L’hypothi’se documentaire, nécessaire après l’élimination des deux précédentes, satisfait difficilement au problème, si l’on se maintient à la supposition d’un seul document ou Evangile primitif, qui aurait contenu la matière de nos trois Synoptiques et aurait été exploité successivement par chacun d’eux. — Pourquoi saint Marc en aurait-il éliminé les discours ? Pourquoi la partie narrative de ce second Evangile serait elle souvent i>lus déAcloppée que chez les deux autres ? Pourquoi les discoiu’s apparaîtraient-ils sous une forme si divergente et dans un ordre si différent, en saint Mattliieu et en saint Luc ?

66. 4° — ^(i supposition d’une multitude de petits documents écrits, qui auraient servi de sources à nos écrivains, explique très bien les divergences de nos Evangiles. Dans cette hy])othèse, combinée avec celle de la tradition orale, doit se trouver, en particulier, l’explication de ce que chacun d’eux a de propre, en fait de récits, de sentences ou de discours. Mais cette hypothèse, prise isolément, rend malaisé de comprendre l’accord remai’quable que les Synoptiques montrent, sous leurs divergences, dans leur plan général, le choix des matériaux, l’ordre dans lequel ils sont présentés, parfois la façon très spéciale dont ils sont groupés.

67. 5° — LJexplication qui paraît répondre le plus complètement aux données du problème est celle qui, tout en faisant une part assez large à l’influence de la tradition orale, ou des souvenirs personnels, et à celle des sources écrites particulières, rattache l’ensemble de la matière narrative des Synoptiques à un premier document écrit, et l’ensemble de leur matière discursive, surtout celle de saint Matthieu et de saint Luc, à un deuxième document.

A cette explication revient l’hypothèse mixte, qui, combinant la théorie de l’utilisation avec la théorie documentaire, présente Matthieu et Luc comme utilisant Marc et dépendant en même temps d’un recueil antérieur de Logia. Sous cette forme, nous l’avons vu, l’hjpothèse est soutenue aujourd’hui par le plus grand nombre des critiques. Elle est, de ce chef, une hypothèse des plus autorisées : l’on doit en tenir compte dans la controverse actuelle au sujet de l’origine de nos Evangiles.

68. Est-ce à dire que ce soit une hypothèse pleinement prouvée et que l’on doive considérer comme définitive ? Il est permis d’en douter.

En elTet, on ne trouve d’abord nulle part, entre saint Marc et les deux autres Synoptiques, une identité absolue. Or, si son texte avait été utilisé par eux, l’un ou l’autre, semble-t-il, devrait contenir des récits entièrement pareils, des phrases littéralement semblables. On prétend que Mattliieu et Luc ont retouché le style de Marc : il serait bien surprenant qu’ils l’eussent retouché d’une façon si complète.

Il y a d’ailleurs des péricopes de Marc qui sont omises, soit par Matthieu (Marc, i, 21-28 ; xii, 41-44)> soit par Luc (Marc, vi, 45-46 ; vii, 24-viii, 21 ; x, 1-12, 35-45 ; XII, 28-34 ; xiv, S-g), soit par les deux (Marc, 111, 20-21 ; IV, 26-29 ; "^"’31-37 ; VIII, 22-26 ; XIII, 34-37 ; XIV, 51-52). Or, dans l’ensemble, on ne voit jias de motif à ces omissions ; on se les explique malaisément de la part de nos deux évangclistes. s’ils prennent comme fond de leur ouvrage l’Evangile de Marc.