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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/828

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ÉVANGILES CANONIQUES

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lypse. dont les millénaristes abusent, et il la refuserait assez volontiers à l’apôtre saint Jean. H. E., III, xxiv, XXV. C’était déjà, au m* siècle, et pour le même motif, Tattitude de Denys d’Alexandrie. Aussi, venant à parler de ce Père, Eusèbe s’étend-il longuement à dire comment il avait conjecturé que l’Apocaljpse pourrait être d’un Jean, autre que l’apôtre, sans doute un de ses homonymes, ayant vécu aussi en Asie, peut-être même à Ephèse, car « on dit qu’à Eplièse il y a deux tombeaux, qui tous deux sont appelés : tombeau de Jean ». H. E., VII, xxv. C’est à cette opinion de Denys qu’Eusèbe fait manifestement allusion, à la suite de son interprétation personnelle du passage de Papias. Il est Aisible que la distinction entre le Presbytre et l’Apôtre, dans ce passage, l’intéresse surtout parce qu elle fournit une conlirmation et une précision à la conjecture générale de Denys touchant un second Jean, auteur possible de l’Apocalypse.

D’autre part, on ne peut pas ne pas être frappé de la faiblesse de largumentation d’Eusèbe. Il tenait à trouver dans l’histoire la mention concrète de l’individu que Denys s’était borné à conjecturer, et que l’on pourrait substituer à Jean l’apôtre dans la composition de l’Apocalypse. Or, si l’on excepte le vague

« on dit », relatif aux deux tombeaux de Jean, qu’Eusèbe

emprunte à Denys et qui est sans portée appréciable, l’évêque de Césarée n’invoque, en faveur de l’existence d’un second Jean, que le passage de Papias, dont il est contraint de faire l’exégèse. On peut en inférer avec certitude que, dans les nombreux documents du iii « et du ii<= siècle qu’il avait eus entre les mains, Eusèbe n’avait rencontré aucun témoignage capable de corroborer ou d’éclairer celui-ci. Bien plus, on peut être assuré qu’il n’a trouvé, dans le reste de l’œuvre de Papias, aucune indication qui pût établir plus clairement que le presbytre, dont se réclamait î’évéqued’Hiérapolis, était un autre que l’apôtre Jean.

En résumé, c’est du seul passage cité de Papias, interprété uniquement d’après son texte, sans lumière complémentaire venue du reste de l’ouvrage ni de la tradition, qu’Eusèbe a tiré l’existence d’un presbytre Jean, distinct de l’apôtre de ce nom.

81. Explication du passage de Papias. — Nous avons donc le droit de reprendre pour notre compte l’examen du texte de Papias : nous sommes à son égard exactement dans l’état d’information où se trouvait Eusèbe ; nous avons, pour l’interpréter, les mêmes ressources et les mêmes moyens, sans avoir le même préjugé. Or, il n’est pas du tout évident que, dans ce texte, Papias entende mentionner deux personnages différents sous le nom de Jean ; on a même les plus sérieuses raisons de penser qu’il mentionne en réalité à deux reprises un seul et même personnage.

Le second Jean, en effet, reçoit le qualificatif de

« presbytre > ; et, conjointement avec Aristion, de
« disciple du Seigneur ». Or, dans les lignes immédiatement-précédentes, 

on Aoit Papias appeler « presbytres » et « disciples du Seigneur » les apôtres, donc en particulier l’apôtre Jean. Il serait bien singulier qu’à si peu de distance il entendit présenter un homonyme de l’apôtre, sans prendre la peine de l’en distinguer d’une façon expresse, bien plus en le désignant par des qualificatifs exactement semblables. D’autant que, à en juger par la teneur de notre passage et par le contexte du début du prologue, Papias entend, par les personnages qu’il nomme, les dépositaires premiers de la tradition, les témoins immédiats de Jésus : le presbytre Jean serait donc un disciple direct, au même titre que l’apôtre : mais, encore une fois, il serait bien étrange que, ni en cet endroit ni ailleurs, Papias n’eût distingué nettement entre deux homonymes si parfaitement semblables.

Au contraire, on s’explique bien la double mention du nom de Jean, si, de part et d’autre, il s’agit du même personnage. Papias examine et compare — c’est le sens précis de KJé/.pi-jo-j, employé avec de simples comjjléments directs : rij ; /sysj ; et v. te)iyoj7cj, ainsi que l’ont compris saint Jérôme et l’auteur de la version syriaque — deux catégories d’informations : celles qu’il a recueillies par l’intermédiaire de visiteurs ayant entendu les disciples immédiats de Jésus, et celles qu’il tient personnellement de ces disciples eux-mêmes : on comprend qu’il mentionne le nom de Jean l’apôtre dans la première série, avec les autres apôtres, si l’un ou l’autre de ses visiteurs avait prétendu reproduire son témoignage, et l’on comprend encore qu’il le cite de nouveau, en compagnie d’Aristion, si, avec ce dernier, il avait été ouï directement par lui-même, ainsi qu’il le fait entendre dans le reste de son livre, au témoignage d’Eusèbe.

On est donc sérieusement fondé à croire que le presbytre Jean, mentionné par Papias, ne se distingue pas de l’apôtre Jean. Son titre de « presbytre », loin de le différencier des apôtres, tend plutôt à l’en rapprocher, puisque ce titre paraît synonyme de témoin immédiat. La manière toute spéciale, et l’on peut dire éminente, dont ce titre lui convient, fait entendre qu’il a été regardé dans la région, et par Papias lui-même, comme « l’Ancien » par excellence : sans doute aura-t-il surAécu aux autres membres de la génération apostolique, et aura-t-il été, à une époque, le dernier représentant de la première tradition. Or, ce personnage ne peut, semble-t-il, être que l’apô-I tre Jean, dont parle tout le reste de la tradition asiaj tique au ii* siècle, et dont Eusèbe lui-même ne conteste aucunement le séjour authentique à Ephèse.

88. Conclusion. — Dans ces conditions, le témoignage d’Eusèbe doit être laissé hors de considération, et il faut s’en tenir à celui de saint Irénée, d’ailleurs beaucoup plus rapproché de Papias et mieux à même d’interpréter ses informations sur ce point. Le presbytre Jean, auquel se réfère l’évêque d’Hiérapolis, est en réalité l’apôtre Jean, iils de Zébédée.

C’est donc de Jean l’apôtre que Papias tiendrait son renseignement au sujet de l’Evangile de saint Marc. En fait, la teneur de la déclaration, qui est une appréciation motivée touchant l’exactitude du second évangéliste, paraît bien dénoter un juge particulièrement autorisé, comme pouvait l’être l’apôtre Jean, témoin oculaire. Bien plus, le jugement du Presbytre sui- Marc se comprend au mieux, s’il est’prononcé du point de vue de l’Evangile johannique, où l’on trouve effectivement une disposition plus régulière et une chronologie plus précise. Cela s’explique bien, si le presbytre ne se distingue pas du quatrième évangéliste lui-même. Renax, EEglise chrétienne, p. ^g ; Harxack, Chronologie, 1. 1, p. 691 ; BoussET, Offenbarung, 1896, p. ! ’j, note 2. Et nous verrons que cet évangéliste est précisément à identiiier avec l’apôtre saint Jean (n° 166).

Importance du témoignage de Papias. — On saisit dès lors la valeur exceptionnelle du renseignement foui’ni par Papias. Comme le reconnaît hypothétiquement M. Loisy, Les Eang. srn., t. I, p. 24 : « Si Jean l’Ancien était l’apôtre Jean, Ois de Zébédée, le compagnon de Pierre et de Matthieu, il pouvait être et il était bien instruit touchant les actes et l’enseignement de Jésus, les rapports de Marc avec Pierre, la valeur du second Evangile, l’œuvre littéraire de Matthieu ; et les renseignements que Papias tient de lui sont de tout premier ordre : il n’y a qu’à les contrôler par l’examen de nos Evangiles, pour être assuré que ceux-ci correspondent bien à l’idée qu’en avait le dernier survivant du collège apostolique. »