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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/838

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ÉVANGILES CANONIQUES

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Juifs, c’est-à-dire probablement des Juifs convertis ou des judéo-chrétiens. Or l’examen interne du livre confirme ce témoignage sur plusieurs de ses points essentiels.

129. 1° L’auteur est Juif d’origine. — Tout d’abord, l’auteur paraît être, comme l’était en effet saint Matthieu, un Juif d’origine. — Sous l’enveloppe de la langue et du style grecs qui recouvre actuellement son ouvrage, on se rend compte qu’il sait l’hébreu : ainsi, parmi les citations de l’Ancien Testament, qui sont destinées à montrer l’accomplissement des prophéties en diverses circonstances de la vie de Jésus, et qui par conséquent sont propres au rédacteur de notre EAangile, trois sont empruntées au texte hébreu : ii, 15 ; aiii, 17 ; xxvii, 9, 10 ; quatre sont une combinaison de l’hébreu et des Septante : IV, 15, 16 ; XII, 18-21 ; XIII, 35 ; XXI, 5.

L’auteur sait donc l’hébreu. « Il est donc très probablement né juif. » La conclusion est de IM. Loisy lui-même, Les FA’ang. syn., t. I, p. 143. C’est d’une façon toute gratuite que le même critique ajoute :

« mais il n’est pas d’origine palestinienne ». Rien, 

absolument rien, n’invite à penser que ce Juif n’est pas un palestinien.

2° Il écrit pour des Juifs convertis. — En second lieu, si, à l’aide des indications du livre, on cherche quels en étaient les destinataires, on découvre que l’ouvrage a dû être composé pour des Juifs convertis.

130. 1° Ses lecteurs connaissent l’araméen. — Sans doute, les lecteurs de notre Evangile actuel avaient pour langue familière le grec : néanmoins, il semble bien qu’ils n’aient pas ignoré complètement la langue juive. L’auteur leur explique plusieurs expressions araméennes, conservées dans le texte grec, telles que Emmanuel, 1, -i.Z ; Golgotha, xxvii, 33, Haceldama, xxvii, 8 ; EU, Eli, lamma sabachtani, xxvii, 46 ; mais on peut croire que ces interprétations figuraient déjà dans les sources grecques que le traducteur paraît avoir utilisées pour sa traduction : on devait, en effet, traduire immédiatement, dans les catéchèses, les expressions araméennes spéciales dont on jugeait bon de garder le souvenir. En tout cas, notre auteur conserve diverses autres locutions d’origine araméenne, qu’il présente à ses lecteurs sans leur fournir aucune explication, comme si elles leur étaient suffisamment intelligibles : ainsi, non seulement rabbi, xxiii, ^, 8 ; xxvi, 26, 49 ; mais encore raca, , 22 ; mammona, vi, 24 ; gehenna, , 22, 29, 30 ; X, 28 ; XVIII, 9 ; XXIII, 15, 33 ; corbona, xxvii, 6.

Il montre l’ange justifiant le nom de « Jésus » par la raison que l’enfant ainsi appelé sauvera son peuple, sans indiquer que ce nom signifie précisément

« Sauveur » : i, 21. Son récit du reniement de

saint Pierre semble supposer ses lecteurs à même de comprendre les particularités qui distinguent le parler galiléen de celui de la Judée proprement dite : XXVI, ^3, comparé à Marc, xiv, 70 ^ Luc, xxii, 59.

De ces simples observations, on peut conclure que les destinataires de notre premier Evangile grec n’étaient pas sans une certaine connaissance de la langue juive. Or, cela invite tout à fait à les croire des convertis de la synagogue. On s’expliquerait bien qu’un Evangile, d’abord composé en araméen pour des Juifs palestiniens convertis, ait été traduit ensuite en grec pour l’usage de chrétientés judéo-chrétiennes analogues, situées hors de Palestine en des contrées de langue grecque. Th. Zaiin, Enleit. in dus N. T., t. II, p. 288.

La façon dont l’auteur parle des Juifs, en xxviii, 15, ne contredit aucunement cette conclusion : le

terme de Juifs est pris ici par opposition au groupe chrétien (n » 92).

131. 2" Ils sont pénétrés des idées juives. — La destination de notre Evangile à des convertis du judaïsme est d’ailleurs confirmée très solidement par d’autres particularités tirées du fond même du livre, et Aalant soit pour notre Evangile grec, soit pour son original araméen.

Tout d’abord, de la partie narrative du premier Evangile il ressort que l’auteur a eu pour dessein principal de prouver que Jésus de Nazareth était le Messie, fils de David. C’est dans ce but qu’en tête de son ouvrage il dresse l’arbre généalogique qui montre le Sauveur descendant de David et filsd’Abraham,

I, 1-17. C’est dans le même dessein qu’à chaque pas de ses récits il a soin démontrer comment l’histoire de Jésus accomplit les prophéties anciennes, i, 22 ; 11, 5, 15, 17-18, 23 ; III, 3 ; IV, 1 4-1 6 ; VIII, 17 ; xii, 17-21 ; xiii, 35 ; XXI, 4-5 ; xxvi, 56 ; xxvii, 9-10, 35. — Or, un tel but, et surtout une telle méthode d’argumentation, ne se conçoivent bien qu’à l’adresse de chrétiens familiarisés avec les Ecritures et portant intérêt aux traditions juives, c’est-à-dire à l’adresse de Juifs convertis.

On arrive à une conclusion semblable, si l’on considère les discours, en les comparant avec ceux du troisième Evangile. On voit noire auteur reproduire avec soin, du Sermon sur la montagne, les passages, omis par saint Luc, qui concernent l’Ancienne Loi et la nouvelle interprétation que Jésus donne à ses commandements, v, 17-44- ^on content de souligner les malédictions portées contre les pharisiens et les scribes, xxiii, 13-36 (cf. Luc, xi, 39-52), il accorde un développement tout spécial aux discours par lesquels le divin Maître flétrit la conduite hypocrite de ces personnages, comme s’il eût été encore nécessaire de prémunir les lecteurs de l’Evangile contre le scandale que ces faux dehors de sainteté pouvaient créer à leur foi, V, 20 ; vi, 1-18 ; xxiii, 1-12.

132. 3° Ils sont au courant des choses juives et palestiniennes. — Enfin, diverses particularités semblent montrer qu’il suppose ses lecteurs bien au courant des choses juives, et même palestiniennes. II parle des ablutions légales, xv, 2 (cf. Marc, vii, 2-5), du jour de la Préparation, xxvii, 62 (cf. Marc, xv, 42 = Luc, XXIII, 54), sans explication aucune. A plusieurs reprises, il désigne Jérusalem sous le nom de’( la ville sainte », « la cité du grand roi », iv, 5 ; v, 35 ; xxvii, 53 ; af. xxiv, 15, comparé à Marc, xiii, 14. Certaines de ses indications géograpliiques ne sont intelligibles qu’à des gens familiarisés avec la distribution de l’antique Palestine entre les douze tribus d’Israël : Bethléem est appelée « Bethléem de Juda »,

II, i, 5, 6 ; Capharnaiim est signalée comme sise sur les confins deZabulon et de Nephthali, iv, 13. Enfin, le renseignement sur le nom de Haceldama que l’on continue de donner au champ payé par l’argent du traître, xxvii, 8, semble supposer chez les lecteurs, aussi bien que chez l’auteur, un intérêt particulier pour les choses hiérosolymitaines.

3 J L’évangéliste doit être saint Matthieu. — Mais, si la criti((ue interne nous montre, dans l’auteur du premier Evangile, un Juif d’origine, écrivant pour des Juifs convertis, elle confirme donc le témoignage de la tradition sur deux points importants et essentiels. C’est une présomption sérieuse que la tradition n’est pas moins fondée en ce qui regarde le nom précis de cet auteur, et son identification avec l’apôtre Matthieu.

133. De cette identification, l’Evangile contient d’ailleurs, sinon des preuves, du moins des indices, qui paraissent significatifs à la lumière du témoignage traditionnel.