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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/856

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ÉVANGILES CANONIQUES

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historicité du surnaturel. — Strauss subordonne d’une façon à peu près absolue la question d’autbenlicité et d’iiistoricité des Evangiles à celle de la non-existence du suinaturel. « Il n’y a pas de sentiment nettement historique, dit-il, tant que l’on ne comprend pas l’indissolubilité de la chaîne des causes finies et l’impossibilité des miracles. » Vie de Jésus ou Examen critique de son histoire, traduit de l’allemand sur la 3’édition, par E. Littré, 2’éd. 1853, t. I, p. 91. « Notre doctrine fait régner les mêmes lois dans tous les cercles des existences et des phénomènes ; par conséquent, elle déclare, de prime abord, non historique tout récit où ces lois sont violées. » Ihid., p. 102. « Les Evangiles, considérés comme de vraies sources historiques, rendent impossible une vue historique de la vie de Jésus. » Aou^elle vie de Jésus, traduite de l’allemand par A. NefTtzer et Ch. Dollfus, s. d., 1. 1, p. 47. « Par cela seul qu ils rapportent des faits surnaturels, il est clair qu’ils ne sauraient être des documents historiques. » Ibid., p. 33.

S09. La « Vie de Jésus ». — Sous l’influence de ce préjugé, Strauss entreprend sa Vie de Jésus (Das LebenJesu, 1835). Là, il commence par dire un mot du témoignage de la tradition ancienne au sujet de nos documents : on ne peut, en effet, laisser ce témoignage de l’histoire entièrement hors de considération ; mais il est visible que, pour lui, la question est secondaire, et décidée en quelque sorte d’avance. A peine, sur les quinze cent trente pages qui composent ses deux volumes, lui en consacre-t-il sept (t. I, p. 82-89), où. il la résout dans le sens le moins favorable à l’historicité des documents, de manière à conclure que les témoignages extrinsèques, étant insuffisants, laissent « aux raisons intrinsèques la décision entière du problème ». Vie de Jésus, t. I, p. 81.

Les garanties d’historicité que les Evangiles pourraient tenir de leur origine étant ainsi mises de côté, Strauss procède à l’examen direct des récits évangéliques : il les passe en revue les uns après les autres, s’attachant à y discerner ce qui est naturel de ce qui est surnatiu’el, à montrer que les explications proposées par Paulusl et d’autres pour réduire ce dernier élément à une interprétation naturaliste sont invraisemblables et inadmissibles, à conclure enfin que ce surnaturel est dû au mythe, c’est-à-dire à la fiction, généralement non réfléchie, des premières générations chrétiennes ; cette fiction inconsciente se serait élaborée sous l’influence de divers facteurs : la foi en la messianité de Jésus, la préoccupation de voir accomplies en sa personne les prophéties messianiques, le besoin de fournir des réponses plus décisives aux adversaires de la foi dans les controverses naissantes.

— Strauss lui-même esquissait ainsi son plan : « Tout l’auvrage que je soumets au lecteur n’a pas d’autre but que d examiner, à l’aide de raisons intrinsèques, la croyance que mérite chacun de leurs récits en particulier, et par conséquent la vraisemblance ou l’invraisemblance de leur rédaction par des témoins oculaires, ou du moins par des gens bien informés. » Ihid. ; cf. Nouvelle Vie de Jésus, i.l, p. 33-34, 122.

Exécutée sur ce plan, la Vie de Jésus était un ouvrage tout d’analjse, et aussi, l’on peut dire, tout de conclusions négatives. L’auteur laissait bien subsister un certain fond d’histoire dans ce que racontent les Evangiles, mais il s’attachait surtout à en montrer les éléments mythiques et donnait l’impression que la partie historique de nos documents formait un noyau assez exigu, largement recouvert par la légende.

SIO. La « Nouvelle Vie de Jésus ». — Dans sa N’ouvelle Vie de Jésus (Das Leben Jesu fur das deutsche

Volk hearbeitet, 1 864), Strauss entreprit de compléter l’œuvre primitive, en adoptant la marche inverse, c’est-à-dire la méthode synthétique et positive. « Aujourd’hui, écrivai.t-il en faisant allusion à son premier ouvrage, nous savons à tout le moins, aA’ec j certitude, ce que Jésus n’a été point et ce qu’il n’a point fait. Il n’a été rien, il n’a rien fait qui fût au-dessus de l’homme et de la nature. » Nouvelle vie de Jésus, t. I, p. 211. Il s’agissait maintenant de définir ce que Jésus avait été et ce qu’il avait fait, et d’expliquer comment ce que les Evangiles lui prêtent en dehors de cette réalité historique avait pu s’élaborer et se construire.

De là les deux livres qui se partagent Touvrage le premier, consacré à tracer l’esquisse historique de la vie de Jésus : t. I, p. 317-421 ; le second, à décrire la raison et le mode de formation du mythe superposé à l’histoire, c’est-à-dire le travail d’idéalisation progressive accompli autour de la personne et de la vie historique de Jésus : t, II, p. 1-4^4 Le tout se trouve précédé d’une introduction, consacrée en bonne partie à l’étude des Evangiles comme source de la vie du Christ : t. I, p. 47-190. Mais il est visible que cette étude n’est placée en tête de l’ouvrage que pour une raison de logique spéculative. Si l’on tenait compte de la marche réellement suivie par Strauss et qui lui était imposée par sa méthode, elle devrait venir en dernier lieu, n’étant presque en son entier qu’une systématisation après coup des conclusions obtenues au préalable par sa critique rationaliste des faits évangéliques.

SU. Opinion de Strauss sur l’origine des Synoptiques. — L’appréciation portée sur l’origine des Synoptiques y est exactement semblable à celle qui avait été ébauchée dans la Vie de Jésus : et à cela rien d’étonnant, puisqu’elle est influencée et gouvcrnée par la même nécessité logique. L’auteur continue donc de prétendre que la rédaction de nos Evangiles n’est guère antérieure au milieu du 11° siècle et que jusqu’à cette époque ils n’ont cessé de recevoir des transformations et des accroissements légendaires., Ibid., 1. 1, p. 75.

Comme Baur, il juge l’Evangile dit de Matthieu <.< le, plus ancien en date et le plus digne de foi ». Ibid., p. 147, cf. 178. Néanmoins, à son sens, le fond seul de cet écrit peut être primitif ; sorti vraisemblablement des traditions des communions chrétiennes de la Galilée, il aura été remanié dans la suite à plusieurs reprises et accommodé aux progrès du dogme. Il n’est nullement certain que même ce fond original soit de saint Matthieu : le nom de cet apôtre a dû être accolé au document, sans qu’il soit pour rien dans la com])osition d’une de ses sources. « D’après un bruit recueilli par plusiem-s Pères de l’Eglise, Matthieu passait pour un de ceux qui avaient annoncé l’Evangile aux Juifs, et, en sa qualité d’ancien publicain, il paraissait plus propre que personne à manier la plume. C’en était assez pour attacher son nom à l’Evangile, n’en eût-il pas écrit une ligne. » Ibid., p. 152(cf. n°119). Le troisième Evangile, d’après Strauss, doit être postérieur au premier. Il appartient donc à une époque à laquelle un compagnon de Paul ne pouvait plus guère écrire ni vivre. Ce n’est donc pas à lui qu’il faut rapporter la première personne du pluriel employée dans certaines parties de son autre ouvrage, le livre des Actes ; mais il aura « introduit assez négligemment dans sa rédaction des extraits de mémoires de quelque compagnon de Paul, dont il a oublie de nous apprendre le nom. » Ibid., p. 164 (cf. n° 106)-L’Evangile attribué à Marc serait également une œuvre de seconde main, et postérieure aux deux autres Synoptiques. D’après Strauss, l’auteur s’est contenté de faire un abrégé de ces deux premiers docu-