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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/920

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EXEGESE

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mais il ne reste de ces écrits que des fragments, à peine suffisants pour en préciser la nature. C’est avec le II' siècle que commence, parmi les chrétiens, le commentaire proprement dit ; et avec lui, le texte des Ecritures devient un thème sur lequel on fondera la science ecclésiastique. Cette forme nouvelle de la littérature chrétienne se fait jour de tous les côtés à la fois : à Rome avec S. Hippolytiî et Caius, à Alexandrie avec les premiers maîtres du Didascalèion, mais surtout avec Origène ; à Anlioche avec Skrapion et Paul de Samosate.

On a dit, non sans raison, que le fondateur de l’exégèse chrétienne est Origène (7 253). Sous forme de T5, « ît, iuùivi, Ty/^Mv., Tcij.-i’jnnz, il a donné le commentaire continu de presque toute l’Ecriture. Nous n’avons plus de son œuvre que des fragments, dont la teneur reste imposante. Cf. Prat, Orig’ene dans le Dict. de la Bible (Vig.), t. IV, c. 1881. Au IV » livre du Périarchon, qui est un vrai traité d’herméneutique, Origène expose son système d’exégèse. L’allégorisme en est le trait caractéristique. A vrai dire, il n’a rien inventé, mais repris, développé, synthétisé les principes et les procédés de l'école juive d’Alexandrie. Voir ci-dessus I, i*, b. Seulement, il a animé le tout de l’esprit chrétien. Il étend l’interprétation allégorique au N. T. et à l’Evangile lui-même, mais il le fait avec beaucoup plus de réserve. Cf. In Joan., t. X,

4. Sa terminologie ne se confond pas de tous points avec celle de Philon. S’inspirant de la trichotomie platonicienne, qui distinguait dans l’homme corps, àme et esprit, Origène parle plus volontiers d’un triple sens de l’Ecriture, savoir : le corporel, le psychique et le spirituel, qu’il appelle encore historique, moral et mystique. In Les’it., hom. v, 5 ; Périarchon, IV, xi-xii. Le sens psychique reste assez indéfini et d’un emploi très restreint. L’allégorisme chrétien est né des mêmes préoccupations qui ont suscité celui de l'école judéo-alexandrine : défendre victorieusement l’Ecriture contre la critique des Grecs et en tirer toute une philosophie. Les docteurs chrétiens ont cru y trouver un aulre avantage : accorder plus facilement l’Ancien Testament avec le Nouveau et établir, à rencontre des Juifs, que les prophéties ne devaient pas se réaliser toujours à la lettre. Origène estime que la Loi mosaïque, même dans ses prescriptions cérémonielles, oblige encore les chrétiens. Comment ? sinon <- quant à l’esprit ». Avant le Christ, les Ecritures étaient de l’eau, le Christ les a changées en vin. Mais le facteur le plus actif de l’allégorisme chrétien a été, sans doute, la culture littéraire et philosophique de ses propagateurs. Cependant, ils n’ont pas omis de justifier leur position par l’autorité de

5. Paul ; ils prétendaient que Gal., iv, il, I Cor., x,

6. II, leur donnaient le droit d’allégoriser et que II Tim., III, 16, les invitait à chercher dans l’Ecriture tout ce qui est capable de contribuer à la perfection de l'àme. On peut ramener à deux points ce qu’il y a de commun entre tous les tenants de l’allégorisme alexandrin, r^ En outre du sens corporel, il y a un sens spirituel qui est beaucoup plus relevé. Le sens corporel est à écarter dans certains passages, comme celui où l’on parle de l’inceste des filles de Loth, qui historiquement n’a jamais eu lieu ; mais le sens spirituel se rencontre partout. Car, notre éducation religieuse et morale est le but de l’Ecriture. Du reste, sans ce sens spirituel, la Bible ne serait plus digne de Dieu, puisqu’elle ressemblerait à n’importe quel livre profane. 2° L’absence du sens corporel n’est qu’accidentelle. D’ordinaire, le texte doit être compris tout d’abord en un sens historique, et ensuite en un sens spirituel. Orig., Périarch., IV, xix ; Comm. sur l'ép. à Philéni., cité par S. Pampiiile, Apol., vi. Cependant, il est à noter que Clû-ment d’Alex, allait i)lus

loin qu’Origène, il allégorisait jusqu’au Décalogue.

S. H1PP0LYTE de Rome n’appartient pas à l'école d’Alexandrie, mais c’est un contemporain d’Origène, le plus grand assurément. A-t-il eu des rapports ave lui ? Y a-t-il eu influence de l’un sur l’autre ? Ce poini d’histoire reste encore à éclaircir. L’exégèse de S. Hippolyte est parfois si étrangement littérale qu’elle rappelle celle de Tertullien. D’autre part, il allégorise largement dans son £ommentaire de Daniel et du Cantique. Il est vrai que le sujet y prêtait. Cependant, mêiue ici, surtout dans le Cantique, sa manière n’est pas celle d’Origène. « Son exégèse, écrit M. A. d’Alès, La théol. de S. Hippulyte, p. i-ib, rappelle souvent celle de Philon et l’on y rencontre des traits de provenance juive. Mais tandis que le théosophe d’Alexandrie empruntait ses développements au spiritualisme platonicien, le prêtre romain s’inspire de l’Evangile ; l’opposition des deux Testaments remplace l’opposition entre la chair et l’esprit, ramenée assidûment par l’exégèse philonienne ». S. Hippolyte se complaît à interpréter les types bibliques. M. d’Alès, o/j. laud., ^. 111-120, a analysé ses plus beaux développements à ce sujet. Par la justesse et la fermeté 4e ses principes d’herméneutique, il l’emporte sur Origène. Ce n’est pas à dire qu’il soit toujours heureux, par exemple quand il suppose que les prophètes ont brouillé à dessein l’ordre des événements pour déconcerter le démon et lui soustraire l’intelligence des prophéties. On retrouve la même idée dans Tertullien, Adv. Marc, III, v ; cf. xni, xiv.

Parmi les écrivains qui ont exploité Origène, il faut compter Eusèbe. Bien qu’il soit plus remarquable par ses œuvres historiques et apologétiques que pai" son exégèse, l'évêque de Césarée ne laisse pas d’avoir bien mérité de lEcriture. Il nous reste de lui trois volumes de commentaires. P. G., XXII-XXIV. Encore n’est-ce là qu’une portion de son œuvre. Malheiu*eusement, la plupaiH de ces textes ne nous ont été conservés que dans des « chaînes », ' et cette circonstance donne à penser que leur teneur primitive a dû souffrir. Comme exégète, Eusèbe manque d’originalité ; c’est un compilateur soigneux, toujours docte, rarement suggestif. Les Questions et solution sur les Evangiles (P. G., XXII, 879) valent mieur ;. S. Jérôme a jugé sévèrement son œuvre exégétiquc. Il lui reproche de ne pas donner autant qu’il promet, de s'égarer dans des fantaisies allégoriques, de rapprocher violemment les textes. P. Z., XXIV, ïbl, 17 j.

Freppel, Origène, II, p. 1 37-186. Reinkex, De démente alex., 1851. M. J. Denis, La philosophie d’Origène, 1851. Redepexxing, Origenes, 1841-1846, I, p. 365. Z0ELLIG, Die Inspirationlehre des Origenes, 1902. F. Prat, Origène, 1907, p. iii, 186. A. d’Alij.s, La théologie de S. Ilippolrte, 1906.

Apprécier l'œuvre d’Origène uniquement, ou même surtout, par les excès de son allégorisme, serait bien mal la connaître. Nonobstant cet écart, son exégèse a eu de grands mérites : elle est pénétrante, synthétique, déjà soucieuse des graves problèmes d’histoire et de psychologie, avec lesquels la critique moderne est encore aux prises. L’influence d’Origène sur les exégètes venus après lui, tant latins que grecs, a été unique, tellement que S. Grégoire de Nazianze (d’après Suidas) aimait à l’appeler h tm-zwj / ; , </*> à/.dyr, « la pierre qui nous a tous aiguisés ». Le tort des allégoristes a été de porter arbitrairement atteinte à l’intégrité de l’histoire sainte. En cela, ils sont sortis de la tradition, aussi bien de la tradition juive primitive que de la tradition chrétienne. D’autre part, on ne doit pas perdre de vue que leur position s’explique assez nalurellement par les mœurs littéraires de leur milieu, les antécédents de l'école philonienne, les difficultés