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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/955

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1893

FAMILLE

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aimé. La famille saine se conçoit mal dans un logement malsain et banal. Or de grands et louables efforts sont faits, à l’heure actuelle, pour l’assainissement des habitations pauvres, pour la distribution de l’enseignement ménager aux femmes et le développement de la mutualité familiale, pour la création d’un bien de famille durable : les lois des 12 avril 1906 et 10 avril 1908 en font foi. Mais, outre que ces préoccupations cadrent mal avec les menaces actuellement formulées contre la propriété privée, elles visent le point de vue matériel de la question exclusivement, négligeant le côté moral ; or les habitations économiques servent autant aux faux ménages qu’aux familles régulières, et il en est de même des mutualités dont, trop souvent, les statuts assimilent les « compagnes », c’est-à-dire les concubines, aux épouses légitimes. Qu’importe un foyer à une famille irrémédiablement désunie, une maison agréable si la garde n’en est pas confiée toujoiu’s à la même femme ? D’autres textes légaux d’ailleurs, en matière d’assistance aux nouveau-nés par exemple ou d’indemnité pour accident de travail, favorisent nettement la femme non mariée par rapport à l’épouse-Tel projet d’impôt sur le revenu donnait une prime à l’union libre en groupant, pour les frapper suivant un tarif progressif, les revenus des divers membres de la famille légitime, cpiand le chef en a la jouissance et l’administration. Même les dispositions, pourtant très défendables par certains côtés, des lois des 20 juin 1896 et 21 juin 1907, simplifiant les formalités du mariage, portent une gra^e atteinte à la puissance paternelle et s’ajoutent à la perspective du divorce pour enlever à l’union conjugale un caractère de solennité et de sérieuse durée.

Mais des coups plus directs ont été frappés. Sous prétexte de régulariser une situation de fait qui ne doit plus paraître choquante, une loi du 15 décembre 1904 a déclaré toujours possible le mariage entre un époux condamné pour adultère et son complice. Une autre, du 13 juillet 1907, réduit le délai passé lequel, en cas de divorce, la femme peut se remarier. La conversion des séparations de corps en divorces, facultative après un délai minimum de trois ans, était prononcée 96 fois Sur 100 par les juges : cela parut insuffisant, et la loi du 6 juin 1908 la prescrit de plein droit après ce temps sur la demande formée par l’un des époux. Enfin une proposition de loi, très favorablement accueillie au Parlement, va permettre à nouveau, sauf quelques complications de procédure à observer, le divorce par consentement mutuel avec possibilité d’un mariage presque immédiat pour les divorcés. On prétend éviter ainsi tout scandale au plus grand profit de la famille et même des enfants. Mais ce ne sont là que des étapes. Déjà l’on propose sérieusement le divorce par la volonté d’un seul. pour toute cause paraissant atteindre profondément le lien conjugal, ou encore la rupture du mariage sans intervention judiciaire. Tout cela est logique et M. Dehkrme le remarque fort justement (La coopération des idées, i*"mai 190^, p. 386) : « Nous sommes dans l’impossibilité de remonter le courant qui nous entraîne. Ayant établi le divorce, nous sommes dans l’obligation de l’élargir. El, l’élargissant aujourd’hui jusqu’au divorce par consentement mutuel, nous devrons l’élargir demain jusqu’au divorce par la volonté d’un seul et après jusqu’à l’union libre. » Seulement les intérêts moraux et même simplement matériels des enfants sont sacrifiés et la famille est profondément atteinte dans son fondement essentiel. a° Elle ne l’est pas moins dans son prestige ])ar l’assimilation légale, toujours poursuivie, de tous les enfants, légitimes ou non. On ne saurait, dit-on, punir les illégitimes pour une faute, si faute il y a,

dont ils sont innocents. Dès lors, au lieu de forliCer la famille régulière dans l’intérêt social, d’en fermer l’accès à tous autres que la postérité légitime, on bouleverse les règles du Code civil. La situation des enfants naturels reconnus est singulièrement rapprochée de celle des enfants issus du mariage. Bien mieux, la légitimation des enfants adultérins et incestueux devient possible.

En dehors de toute légitimation, les enfants naturels simples sont traités comme s’ils étaient légitimes quant aux faveurs accordées aux familles nombreuses en matière militaire ou fiscale et quant aux autorisations requises pour le mariage. La loi du 2 juillet 1907 fait de même en ce qui concerne les droits des parents exerçant l’autorité paternelle ou la tutelle. Depuis la loi du 25 mars 1896, les mêmes enfants viennent à la succession de leurs pères et mères en qualité d’héritiers véritables et pour une part bien plus forte qu’autrefois : ils excluent tous les collatéraux non privilégiés et peuvent même être gratifiés d’une portion égale à celle des enfants légitimes. Ainsi le législateur assimile presque complètement les descendants légitimes et naturels vis-à-vis de leurs auteurs. Les mœurs se chargent de le suivre, voire même de le devancer, dans cette voie, et font entrer progressivement les enfants naturels dans la famille.

Jusqu’à ces dernières années du moins, les enfants adultérins et incestueux en demeuraient nettement exclus : leur existence seule constituait un scandale que le législateur voulait ignorer lui-même toutes les fois que cela était possible, elle ébranlait les fondements constitutifs de la famille. Cependant ces enfants sont le fruit innocent de la faute d’autrui et on s’est apitoyé sur leur sort. Dès lors, la loi du 7 novembre 1907 permet, sinon encore leur reconnaissance, du moins leur légitimation par mariage subséquent. C’est là pour les enfants adultérins spécialement, a-t-on dit, une conséquence forcée de la loi de 1 90^ qui autorise le mariage entre leurs auteurs : si ceuxci peuvent désormais fonder une famille, ils doivent être autorisés à régulariser la situation des enfants nés antérieurement. Vainement ol)jectera-t-on qu’admettre l’enfant adultérin au foyer domestique, c’est y introduire un élément de discorde certain, en même temps que la preuve permanente de la violation des engagements pris au jour du mariage, du plus graA’e manquement possible aux lois naturelles et positives en la matière. Le législateur n’a pas été ému par ces considérations et, s’il reste encore quelque infériorité de condition pour les enfants adultérins ou incestueux par rapport aux enfants naturels simples, les scrupules qui l’ont fait maintenir par le Sénat n’auront qu’un temps. Toute restriction en effet est illogitjue dans l’application, dès lors cpi’on a admis le principe, et, ai)rès l)ien d’autres, M. Guoussibu exi)rimait, le 18 janvier 1907, à la Chambre, une opinion qui tend à se généraliser : (> Je suis, disait-il, partisan de l’égalité absolue des droits pour tous les enfants, qu’ils soient légitimes, naturels, incestueux ou adultérins. » Autant vaudrait affirmer la volonté formelle de supprimer la famille, et du reste nombreux sont aujourd’hui ceux qui n’hésiteraient pas à la condamner, comme l’ont fait les grands ancêtres révolutionnaires.

3° Aussi bien, les ressorts les plus énergiques de l’institution familiale, l’autorité maritale et l’autorité paternelle, ont été volontairement brisés ou distendus, llien de plus logique encore pour qui adopte la thèse individualiste : en dehors de l’Etat, nul ne peut entraver de façon quelconque la liberté individuelle d’autrui.

En tant qu’institution civile, et malgré certaines l réminiscences fâcheuses du droit romain, l’autorité