Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/956

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1895

FAMILLE

1896

maritale, en droit français, supposait la femme associée de son mari dans le mariage. Elle ne niait pas l’égalité civile des deux sexes, mais découlait, comme une conséquence nécessaire, de la communauté d’intérêts entre époux, résultat elle-même et symbole de leur communauté de vie. Mais elle ne se conçoit plus guère si le mariage est un contrat comme un autre, normalement menacé toujours de dissolution : chaque contractant doit alors défendre ses propres intérêts. L’autorité maritale doit donc disparaître. A une loi facilitant et généralisant le divorce, correspond mieux une législation qui donnera à la femme mariée une capacité à peu près complète et une pleine initiative dans la gestion de ses intérêts ; du même coup, la communauté de biens devra, comme régime matrimonial de droit commun, faire place à la séparation. Sans doute le Gode civil n’avait pas franchement et exclusivement adopté l’idée chrétienne de simple subordination de l’épouse et il y aurait eu avantage à faire disparaître les textes s’inspirant de l’idée païenne d’incapacité à l’égard de la femme mariée. Mais tout autre est la tendance actuelle : on envisage les époux comme deux étrangers vivant, pour un temps restreint peut-être, côte à côte, et se désintéressant de la prospérité du ménage. Si donc on peut approuver les lois qui, depuis trente ans, ont élargi sensiblement les pouvoirs de la femme mariée en matière d’épargne, si l’on peut souhaiter une augmentation de ses droits dans la direction intérieure du ménage et l’administration desproduits de son travail personnel, la loi du 1 3 juillet 1907, relative à ce dernier point, multiplie, semble-t-il, les causes d’antagonisme et de désunion entre les époux, les procès qu’ils soutiendront l’un contre l’autre en justice ; certes l’unité de la famille en souffrira.

Quant à la puissance paternelle, les limitations qu’elle a reçues ne se comptent plus. On se rapproche de plus en plus de l’idéal rêvé par M. Laurent quand il disait, « De droits proprement dits, le père n’en a pas ; le vrai droit est à l’enfant, le père n’a que des devoirs » ; ou par ce sénateur français d’après lequel une loi sur la puissance paternelle est insulFisante tant qu’elle la laisse debout. On ne s’est donc pas contenté de restreindi-e législativement les droits du père, dans la classe ouvrière surtout, relativement aux enfants employés dans l’industrie, on les a limités d’une façon plus générale, quant à l’obligation de scolarité pour la jeunesse (lois 28 mars 1882 et 30 octobre 1886), aux versements à faire par ou pour les enfants aux caisses d’épargne ou de retraite pour la vieillesse (lois 9 avril 1881, 20 juillet 1886, 20 juillet 1895), au consentement des parents dont, en cas de mariage, peuvent se passer désormais les majeurs de 21 ans (lois 20 juin 1896, 21 juin 1907) et demain probablement les mineurs eux-mêmes. Chacune prise à part, ces dispositions se justihent ou du moins s’expliquent. Encourager l’épargne est chose excellente et l’on conçoit que des parents oublieux de leurs devoirs puissent être obligés à faire instruire leurs enfants ; on comprend aussi que le mariage ne soit pas rendu parfois presque impossible pai- un excès de formalités longues et coûteuses. Mais ce sont là des atteintes répétées à la puissance paternelle, qu’on n’a rien fait pour fortifier par ailleurs. Bien mieux, on tend de plus en plus à considérer le père comme le représentant et le mandataire de l’Etat, remplissant une fonction que celui-ci lui conŒ, à transformer son ancienne puissance en une fonction publique perpétuellement et étroitement contrôlée, autrement dit à la supprimer.

Cette suppression est au fond de la loi du 2^ juillet 1889, prévoyant delà façon la plus large, en dehors parfois de toute condamnation, la déchéance des’parents, tantôt obligatoire, tantôt facultative pour le juge. Cette déchéance est totale quant aux droits atteints, indivisible à l’égard des enfants présents ou à venir, applicable même à un célibataire et, par contre-coup, au conjoint du père coupable. Elle est perpétuelle, ou, du moins, la réhabilitation est fort diflicile à obtenir. Au besoin, d’ailleurs, on poussera les parents à se dépouiller eux-mêmes de leurs droits sous forme de délégation judiciaire. Et. dans toutes ces hypothèses, le père est remplacé par le service de l’assistance publique représentant l’Etat. C"est l’Etat encore qui prétend imposer aux parents l’obligation non seulement de faire instruire leurs enfants, mais de leur faire donner un enseignement conforme à ses préjugés et ses passions, au risque d’en faire des sans famille, sans religion et sans patrie, et qui accumule en ce moment les projets de loi pour interdire toute action en responsabilité contre les instituteurs coupables d’outrager dans leurs classes la morale, le catholicisme et la France. Bientôt, peut-être, la déchéance de la puissance paternelle sera, comme on l’a demandé, prononcée contre les pères donnant une éducation religieuse à leur famille. Dans l’oeuATe de l’éducation, comme en beaucoup d’autres matières, mais celle-là est d’importance toute spéciale, l’Etat veut être tout, dùt-il détruire tous les organismes naturels dans la société : le citoyen doit être à la merci dun despotisme collectif et anonjme.

Bref, le mariage transformé par le divorce en bail à terme, l’enfant accaparé par l’école athée obligatoii’e, l’unité familiale supprimée faute d’autorité et de soumission, un patrimoine que le fisc aura tôt fait de désagréger, la tyrannique ingérence de l’Etat installée partout, voilà où nous en sommes. Les mœurs ont contribué à cette décadence, mais le législateur et les pouvoirs publicsy ont une grande part de responsabilité. Les conséquences ne se font pas attendre et le mot prophétique de Bonald trouve sa triste et flagrante application : « Quand l’Etat détruit la famille, la famille se venge et ruine l’Etat. »

De fait, aujourd’hui, la société se heurte à d’angoissants problèmes, ceux de la protection de l’enfance, des retraites aux vieillards, des soins aux malades, par exemple. Ni les ressources puissantes et l’autorité formaliste de l’Etat, ni lingénieuse charité des particuliers ne les peuvent solutionner. On apporte d’insuffisants palliatifs, appropriés à une époque troublée, des secours, à demi efficaces pour des besoins exceptionnels, qui deviennent très dangereux pour tous si on les tient pour des institutions régulières, permanentes et générales. Les problèmes seraient au contraire tout natiu-ellement résolus, ils se poseraient même à peine en face d’une famille puissamment organisée, où l’enfant, soigné et élevé par ses parents, assurerait à son tour, quand il deviendrait adulte, la vieillesse de ceux-ci contre le besoin. Mai s il y a plus. Du moment que notre droit public prend pour fondement essentiel le principe de la liberté individuelle, et que par ailleurs la loi divine ne doit plus s’imposer aux particuliers, ce n’est plus sevilement la liberté du divorce qu’on réclamera, mais aussi la liberté de la maternité, voire le droit à l’avortement. Des trois caractères du mariage, deuxont disparu : la fidélité et l’indissolubilité ; le troisième, la fécondité, doit avoir. le même sort. On ne doit mettre au monde que les enfants qu’on peut nourrir. Ayons peu d’enfants, voilà une thèse soutenue par une propagande éhontée et malheureusement très largement mise en pratique sans presque plus soulever de réprobation. En dépit du nombre croissant des mariages, la natalité française s’arrête, il n’y a plus d’enfants : de 987.944 en 1883, le chiffre des naissances est tombé, en igo5, à 807.299 et, en 1907 à 7 7^ 000, inférieur de 9.920 uni-