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FOI, FIDEISME

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la foi divine ; pur l’objet, car, à côlé des connaissances accessibles à la raison naturelle, on nous propose à croire des mystères cachés en Dieu, qui, s’ils ne sont révélés d’en haut, ne peuvent venir à noire connaissance. » A cet énoncé le canon correspondant ajoute quelques précisions nouvelles, pour couper court aux systèmes divers de Hbumks ou des rationalistes :

« Si quelqu’un soutient que la révélation

divine ne contient pas de mystères proprement dits, mais que tous les dogmes de la foi peuvent, avec la raison bien cultivée, être compris et démontrés d’après des principes naturels : qu’il soit anathème. »

Est-ce à dire que la raison n’ait rien à faire ici ? Telle n’est pas la pensée de l’Eglise : « La raison, éclairée par la loi, quand elle cherche avec soin, avec piété, avec discrétion (cum seditlo, pie et sohrie ijiiiieril), arrive. Dieu aidant, à une certaine intelligence des mystères, et cette intelligence est des plus fructueuses. » Comment procède ici la raison ? De deux façons : « Par analogie avec les objets naturels de sa connaissance, et par le rapport des mystères, soit entre eux, soit avec la lin dernière de l’iiomme. » Mais cette intelligence est très limitée ; car « jamais la raison ne devient capable de les comprendre, comme elle fait pour les vérités qui constituent son objet i>ropre ». La cause en est visible. « Les mystères divins dépassent tellement par leur nature l’entendement créé, que, même révélés et reçus p.ir la foi, ils restent recouverts du voile de la foi et comme enveloppés d’une sorte d’obscurité, tant que, dans cette vie mortelle, nous sommes (siiivant le mot de l’Apôtre) loin du Seigneur ; car notre voie ici-bas est celle de la foi, non celle de la vision. « 

La foi est donc au-dessus de la raison, comme le surnaturel est au-dessus de la nature ; mais entre les deux « il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord, puisque le même Dieu qui révèle les mystères et nous donne la foi est aussi celui qui a donné à l’àme humaine la lumière de la raison, et que ni Dieu ne peut se nier lui-même ni le vrai s’opposer au vrai ». Vaines sont donc toutes les apptirences de contradiction ; elles viennent « surtout de ce que ou bien les dogmes de la foi ne sont pas compris et exposés suivant la pensée de l’Eglise, ou bien l’on prend pour dictées de la raison des opinions et des systèmes. » Après ces explications si simples, mais si profondes et si lumineuses, le Concile conclut, avec le cinquième Concile de Latran : « Nous définissons donc que toute assertion contraire à la vérité de la foi éclairée (de Dieu) est absolument fausse. »

Quand on distingue ainsi les domaines et qu’on pose les principes, on voit disparaître comme par enchantement les conflits entre la science et la foi. Et pourtant il ne faut pas dire qu’elles n’ont rien de commun, que la rencontre n’est pas possible entre elles, et par conséquent qu’il ne saurait y avoir de conflit. La paix ne se fera pas ici par la séparation

— comme celle d’Abraham et de Lot : « Si tu vas à droite, j’irai à gauche ; et si tu vas à gauclie, j’irai à droite » — cette séparation, au concret et dans la réalité, est chimérique et impossible, tout comme celle de l’Eglise et de l’Etat : il faut donc chercher un terrain d’accord. L’Eglise est accommodante dans la pratique ; mais elle ne transige pas sur les principes. Elle les rappelle ici avec une autorité souveraine :

« L’Eglise qui, avec la mission apostolique d’enseigner, 

a reçu le mandat de garder le dépôt de la foi, a, du coup, de par Dieu, le droit et le devoir de proscrire une science de mauvais aloi (falsi nominis scieiiliam), pour empêcher (suivant le mot de l’Apôtre ) qu’on ne soit déçu par la philosophie et le vain sophisme. » Arrière donc une prétendue liberté qui ne serait que pour le mal : « Si quelqu’un soutient

que les sciences humaines doivent être traitées avec une liberté si entière que leurs assertions, tout opposées qu’elles puissent être à la doctrine révélée, doivent être tenues pour vraies, et ne puissent être proscrites par l’Eglise : qu’il soit anathème. » « C’est povirquoi, conclut le Concile, tous les tidèles chrétiens, en face des opinions que l’on sait être contraires à l’enseignement de la foi, surtout si elles ont été réprouvées par l’Eglise, non seulement ont défense de les soutenir comme des conclusions légitimes de la science, mais ils doivent bien plutôt les tenir absolument pour des erreurs, qui ont vine fausse apparence de vérité. » N’est-ce pas méconnaître les conditions du progrès scientifique, et faire de la foi une ennemie de la raison ? Tant s’en faut, dit le Concile ; cette subordination indirecte (car on ne nie pas la liberté de la science et de la philosophie dans leur l)ropre domaine) est pour le bien de la raison, non moins que de la foi : « Non seulement il ne saurait y avoir désaccord entre la foi et la raison, mais elles se prêtent une aide mutuelle ; car c’est la droite raison qui démontre les fondements de la foi, et qui, à sa lunnère, élabore la science des choses divines, tandis que la foi délivre la raison d’erreur, la protège et l’enrichit de connaissances multiples. » La conclusion se dégage d’elle-même : « Ainsi l’Eglise, loin d’être un obstacle à la culture des arts et des sciences humaines, y aide et l’avance de mainte façon. Car elle n’ignore ni ne dédaigne les avantages qui en résultent pour la vie humaine ; au contraire elle reconnaît que, comme ils viennent du Seigneur Dieu des sciences, ainsi, si on les traite comme il convient, ils conduisent à Dieu avec le secours de sa grâce. » Sentant, que, sur ce point, la raison est jalouse et chatouilleuse, toujours en éveil pour revendiquer ses droits, toujours prête à crier qu’on empiète sur sa juste liberté, le Concile s’explique et précise encore : « Et certes elle (l’Eglise) ne défend pas que ces études n’aient, chacune dans son domaine, leurs principes propres et leur méthode à elles ; mais, tout en reconnaissant cette juste liberté, elle veille avec soin à ce que, en se mettant en opposition avec la doctrine divine, elles ne se chargent pas d’erreurs, ou que, sortant de leur domaine propre, elles n’envahissent pas celui de la foi et n’y mettent le trouble. »

Suivent, contre les erreurs de Guknthkr, quelques explications sur la manière dont le dépôt de la vérité révélée a été remis à la garde de l’Eglise et sur son rôle à l’égard de ce dépôt, comme aussi sur l’identité de sens que le dogme doit garder dans l’Eglise à travers les vicissitudes des sciences ou de la philosophie. Le Concile insiste sur la diflerence entre les doctrines révélées et les opinions philosophiques ou les sciences qui se font. Celles-ci sont dans un flux perpétuel, et ne trouvent que peu à peu, dans la prise de possession de certaines vérités acquises, un principe de stabilité. La vérité révélée est donnée une fois pour toutes, et s’il y a progrès du fidèle dans la foi, cl même, en un sens, progrès de la foi dans le fidèle, ce progrès ne tient pas à l’invention de vérités nouvelles, mais à une vue nouvelle de l’antique vérité. D’où l’identité foncière du dogme, le semper eadem de Vincent dis Lérins. Celte identité, d’ailleurs, n’est pas celle de la stagnation et de l’inertie, celle du cadavre momifié ou de la mare croupissante, ni même celle du lingot d’or enfermé dans une cassette : c’est celle de l’idée vraie, qui se meut, qui grandit et progresse ; celle delà vérité, toujours la même, mais vivante et féconde dans les âmes, évoluant, s’adaptant, prenant de plus en plus conscience d’ellemême, entrant sans cesse en contact avec des vérités nouvelles qui l’éclairent et qu’elle éclaire, suivant enfin les fluctuations de la vie, mais d’une vie qui ne