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FOI, FIDEISME

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ment de toute religion. » Ainsi la foi-sentiment est substituée ù la foi-connaissance. L’Encyclique ne veut voir là qu’une « divajjation » philosophique. Ce n’est pas ainsi que l’Eglise entend la foi. Aux yeux de l’Kglise, celle-ci suppose la révélation, et comme connue, puisqu’elle est l’adhésion à la vérité révélée sur la parole même de Dieu ; dans le système moderniste, la foi est antérieure, psychologiquement parlant, à la révélation, en tant qu’on y peut parler de révélation. Ecoutons l’Encyclique.

De même que, dans le sentiment religieux, le moderniste trouve la foi, il y rencontre aussi, « avec la foi et dans la foi, la révélation. Et pour la révélation, en elTet, que veut-on déplus ? Ce sentiment qii apparaît dans la conscience, et Dieu qui, dans ce sentiment, quoique confusément encore, se manifeste à l’àme, n’est-ce point là une révélation, ou tout au moins un commencement de révélation ? Même, si l’on y regarde bien, du moment que Dieu est tout enseudile cause et objet de la foi, danslafoi on trouve donc la révélation, et comme venant de Dieu et comme portant sur Dieu, c’est-à-dire que Dieu y est dans le même temps révélateur et révélé. » Avant de passer outre dans cet exposé de l’origine de la foi et de la révélation, l’Encyclique signale trois conséquences que les modernistes tirent eux-mêmes de ces premières notions. La première est qualiliée de

« doctrine absurde » ; on sent assez que les deux

autres ne sont pas moins regardées comme condamnables :

« De là… cette doctrine absurde des modernistes, 

que toute religion est à la fois naturelle et surnaturelle, selon le point de vue. De là l’écpiivalence entre la conscience et la révélation. De là enfin la loi qui érige la conscience religieuse en règle universelle, entièrement de pair avec la révélation, et à laquelle tout doit s’assujettir, jusqu’à l’autorité suprême, dans sa triple manifestation doctrinale, cultuelle, disciplinaire. » On voit du coup l’opposition irréductible entre la doctrine de l’Eglise et le modernisme, sur la distinction entre la religion naturelle et la religion surnaturelle, sur la notion de vraie et de fausse religion, sur la nécessité de la foi dogmatique, sur les droits de la conscience en face de l’autorité.

L’Encyclique ajoute quelques explications sur la manière dont, suivant les modernistes, la foi et la révélation se rattachent à des faits historiques. Ces explications précisent, par opposition, l’idée qu’elle se fait elle-même, soit des vérités de foi, soit, en général, de la vérité de notre connaissancepar la foi. L’inconnaissable, disent-ils, ne s’offre pas « à la foi isolé et nu ; il est, au contraire, relié étroitement à un phénomène qui, pour appartenir au domaine de la science et de l’histoire, ne laisse pas de le déborder par quelque endroit : ce sera un fait de la nature, enveloppant quelque mystère ; ce sera encore un homme dont le caractère, les actes, les paroles paraissent déconcerter les communes lois de l’histoire. Or voici ce qui arrive : l’inconnaissable, dans sa liaison avec le phénomène, venant à amorcer la foi, celle-ci s’étend au phénomène lui-même et le pénètre eu quelque sorte de sa propre vie. Deux conséquences en dérivent. Il se produit, en premier lieu, une espèce de transfiguration du phénomène, que la foi hausse au-dessus de lui-même et de sa vraie réalité, comme pour le mieux adapter, ainsi qu’une matière, à la forme divine qu’elle veut lui donner. Il s’oi>èie en second lieu une espèce de dé/iguration du phénomène, s’il est permis d’employer ce mot. en ce que la foi, l’ayant soustrait aux conditions de l’espace et du temps, en vient à lui attribuer des choses qui, selon la réalité, ne lui conviennent point. » L’Eglise, en condamnant cette idée d’une foi qui défigurerait,

en le transfigurant, le Christ de l’histoire, maintient qu’il ne saurait y avoir d’opposition entre la Acrité historique et la vérité de la foi ; elle maintient du même coup que la foi ne fait pas son objet, mais qu’elle le reçoit, et le reçoit d’une révélation dont l’histoire peut, à l’occasion, ressaisir la trace, comme c’est le cas pour la révélation évangélique, et notamment pour la révélation de Dieu en Jésus et par Jésus (voir J, Ledketon, Les origines du dogme de la Trinité, introduction, p. xvii-xxiv, et livre 111, débuts, p. 207-210, où il est montré que le fait du Christ est, historiquement parlant, le fait révélateur de la Trinité) ; elle maintient enfin le surnaturel de la foi et rappelle la condamnation prononcée déjà par le concile du Vatican contre qui prétendrait que l’homme peut atteindre par lui-même à la possession de tout vrai et de tout bien.

L’Eglise ne se contente donc pas de la foi sentiment. Elle veut une foi intellectuelle et intelligente. Mais ici encore elle repousse celle que lui présente le modernisme. Les modernistes, en effet, font une part à l’intelligence dans l’acte de foi. Voici comment. a Le sentiment dont il a été question — précisément parce qu’il est sentiment et non connaissance — fait bien surgir Dieu en l’homme (^in sensu ilto… Veus guident se Itomini sistit), lains si confusément encore que Dieu, à vrai dire, ne s’y distingue pas, ou à peine, de l’homme lui-même. Ce sentiment, il faut donc qu’une lumière le vienne irradier, y mettre Dieu en relief, dans une certaine opposition avec le sujet. C’est l’office de l’intelligence, faculté de pensée et d’analyse, dont l’homme se sert pour traduire, d’abord en représentations intellectuelles, puis en expressions verbales, les phénomènes de vie dont il est le théâtre. De là ce mot, devenu banal chez les modernistes : l’homme doit penser sa foi. » La formule, nous le verrons, pourrait avoir un sens admissible. Celui que l’Eglise repousse, c’est celui d’après lequel « l’intelligence survient… au sentiment, et, se penchant en quelque sorte sur lui, y opère à la façon d’un peintre qui, sur une toile vieillie, retrouveraitetferait reparaître les lignes effacées du dessin i- suivant, à peu près, « la comparaison fournie, par un des maîtres des modernistes ». C’est par ce travail aussi que les modernistes expliquent le dogme, dont ils pervertissent la notion en même temps que celle de la foi.

« En ce travail (selon eux) l’intelligence a un double

procédé : d’abord par un acte naturel et spontané elle traduit la chose en une assertion simple et vulgaire, puis, faisant appel à la réflexion et à l’étude, travaillant sur sa pensée, comme ils disent, elle interprète la formule primitive au moyen de formules dérivées, plus approfondies et plus distinctes. Celles-ci, venant à être sanctionnéespar le magistère de l’Eglise, constitueraient le dogme. »

On croirait, au premier abord, que les théologiens disent quelque chose de semblable : ils admettent une donnée primitive, impliquée souvent dans des assertions et des façons d’agir d’où elle ne se dégage pas encore <’n formules précises, et une élaboration intellectuelle de cette donnée sous la poussée de « la foi qui cherche à comprendre », suivant la formuleclassique, élaboration qui aboutit souvent à une formule dogmatique proprement dite. La ressemblance n’est que de surface ; le fond des doctrines est tout différent. Dans la pensée de l’Eglise, la donnée primitive est l’objet de la foi, est saisie par la foi comme une chose vraie. Non pas que la chose tombe par elle-même sous l’intuition de l’esprit ; mais elle est l’objet de l’intelligence, comme enveloppée dans la parole de Dieu, comme présentée à notre foi par son autorité infaillible. La foi est donc déjà une connaissance qui perçoit son objet par un acte intellectuel (comme