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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/301

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IMMANENCE (MÉTHODE D’590

rendre compte dans les paragraphes qui précèdent et ce qu’on a sans doute sullisaniinent compris.

Ce qui reste à voir, c’est comment cette apologétique doit s’y prendre, de quelle méthode elle doit user, pour mettre ce besoin en évidence d’une manière à la fois contraignante et philosophique.

Or, cette méthode est déterminée par la fin même qu’on se propose. Puisqu’il s’agit de voir si l’homme se sullit et qu’il ne se sullit pas, de lui révéler sa propre indigence, de l’éclairer sur cela même qu’il pense et qu’il veut, en manifestant ce qui fait le fond réel et la substance de ses actes, force est bien de s’installer d’abord en lui, de conniver fiit-ce avec ses illusions et son orgueil, de prendre ses idées et ses aspirations pour ce qu’elles se donnent, jusqu’à ce qu’on les ait vues manifester d’elles-mêmes, sous une impitoyable analyse, ce qu’elles portent et où elles vont.

Ainsi, entreprenant d’accréditer le surnaturel auprès desànies.onne partira point de ro/<ye^, pouren démontrer l’existence avec toutes les ressources de l’histoire, — pour en signaler les convenances intellectuelles, morales ou esthétiques, — pour en marquer la conformité aux « lois de la vie », — pour en déployer l’ordonnance architecturale ; — ce serait laisser l’homme à l’illusion de sa sullisance, et quelques bonnes choses que l’on dise, et utiles et fécondes en leur temps, ne rien faire pour supprimer le problème tel qu’il se pose du point de vue philosophique, obstruant l’accès de la religion.

Mais il faut ajouter qu’à parler exactement, qu’à procéder en rigueur, ce n’est même pas du sujet qu’il s’agit de partir, comme s’il était isolément constitué et isolément connaissable. Considérer en effet un sujet en face d’un objet, comme s’il fournissait par lui-même une donnée concrète, alors que la discrimination même qui le pose, en l’opposant, témoigne d’un travail discursif et d’une préalable élaboration, c’est déjà être infidèle à l’ambition toute réaliste dont on s’inspire et se condamner infailliblement à osciller entre ces deux écueils : ou traiter ce sujet, qui est une abstraction, comme s’il était riche de toutes les requêtes de la vie, et c’est l’erreur du naturalisme ; OH s’en tenir délibérément à cela seul qu’implique son concept pour faire comme si la pauvreté de la notion exprimait la richesse historique delà nature ; et c’est l’erreur, tovit opposée, du philosophisme.

En vérité, il s’agit de prendre comme matière de l’analyse, comme terrain de la recherche, la vie elle-même danssa complexité synthétique, cette vie transnaturée qu’emplit, sans qu’on ait besoin de le savoir expressément pour en profiter, l’œuvre commune du sujet et de l’objet ; il s’agit de se placer, avant que l’entendement soit intervenu pour distinguer deux courants, au contluent où les eaux se compénètrent sans s’identifier ; et c’est peu à peu, sous l’effort qu’on fera pour en préciser le contenu, pour en découvrir l’orientation, pour en calculer la portée, que doit se révéler dans l’action qu’on croirait tout humaine, la présence et le concours d’un autre facteur.

C’est le rôle du surnaturel anonyme et immanent de creuser et d’élargir le lit de l’action, d’empêcher qu’elle soit jamais unie et dormante, de grossir tellement son flot, qu’aucune fin nalurelle n’arrive à la contenir entre ses bornes ; et c’est le propre de la méthode qui s’offre à nous, de suivre de si près ce progrès irrésistilile de l’action, que la volonté y voie clairement où sa tendance foncière l’emporte, même quand elle y résiste et croit s’y soustraire.

Tout le ressort de cette méthode consiste dans la mise en évidence d’une nécessité : celle où est l’homme d’égaler son libre vouloir au vœu profond de tout

son être, — d’être d’accord avec soi-même, — de ratifier en le reprenant à son compte, par la réflexion, ce qu’il pense et veut inévitablement, sans que ses actes délibérés puissent jamais supprimer la volonté foncière qu’ils contredisent ni cesser d’être moralement qualifiés, jugés et condamnés par elle. C’est I)ourquoi on peut justement l’appeler une « Méthode d’immanence ». Rien d’extérieur, en effet, n’y doit entrer en ligne de compte : chercher par sa volonté propre sa volonté vraie ; découvrir, sous ce qu’on croit vouloir, ce qu’on veut, sous ce qu’on croit penser, ce qu’on pense, sous ce qu’on croit être, ce qu’on est ; — voilà tout uniment à quoi elle vise, ce qui constitue sa définition même.

Or, c’est en même temps ce à quoi personne ne peut se refuser. En efTet, ce n’est faire crédit à rien que de s’engager danscettevoie ; le philosophe le plus jaloux de son autonomie n’a pas à se méfier, et plus même il est sur de sa suffisance, plus il met de confiance dans la plénitudeetlaportée de sa pensée, plus aussi doit-il trouver bon qu’on entreprenne d’aller avec lui jusqu’au bout de ses idées, jusqu’à l’extrême pointe de son vouloir.

Si cette méthode, où la philosophie voit de plus en plus sa méthode propre, aboutit à « l’attente religieuse 1), si elle se trouve être apologétique, ce n’est pas, du moins premièrement ou essentiellement, d’intention, comme si la philosophie s’était gagée, mais de l’ait, et parce que, étant donné l’état actuel de l’humanité, la philosophie, entendue non comme une spéculation abstraite, mais comme une doctrine de la vie, ne peut être complète sans être religieuse. Ce n’est point là un caractère adventice ni qui doive spécifier une philosopliie ; c’est, dans l’ordreexistant, l’essence de la philosophie tout court.

II. — Application de la méthode

i) Cette méthode a-t-elle été appliquée ? — Oui,

maintes fois, si l’on s’attache en elle moins à ce qui en est le procédé scientifiquement élaboré, rigoureusement suivi, qu’à ce qui en fait l’objet et la raison d’être. Car sans parler des Pères de l’Eglise qui, avec saint Augustin, ont à l’occasion insisté sur le caractèreinconsistant detoute satisfaction d’ordre naturel, il serait facile de trouver des vues analogues chez nombre de mystiques, de prédicateurs ou même de philosophes. Lorsque Pascal, par exemple, montrait dans la recherche d’un « divertissement » l’effet d’une disposition profonde et comme maladive, où se trahit une âme essentiellement en quête ; lorsque BossuET parlait de « ce désir vague et inquiet », reste de l’état surnaturel où nous avons été élevés et a qui fait naître dans tous les hommes un amour incroyable de la nouveauté » (éd. Lebarq., t. III, p. 429, Sermon sur l’Annnnciation) ; lorsque Fénklon signalait dans le sentiment d’un vide l’expérience du travail intérieur de la gràce(FHNKLON, Lettres surla Religion, lettre vi’, surtout § 3 et § 4 ; œuvres complètes, 1 85 1, t.l, p. 1 36 sq.) ; lorsque Malebranche dénonçait l’inquiétude comme l’état normal de la volonté humaine « parce qu’elle est portée à chercher ce qji’elle ne peut jamais trouver et ce qu’elle espère toujours de trouver » (De la liecherche de la Vérité, 1. IV, c. 11) ; ces grands hommes mettaient déjà spontanément en relief ce dont la démonstration systématique constitue l’objet de la méthode d’immanence.

Pourtant ce n’étaient encore là que des idées jetées en passant, auxquelles il manquait d’avoir été suivies et complètement exploitées.

C’est au cardinal Dbchamps que revient d’avoir ex professo pratiqué le premier une méthode d’immanence. En effet, le premier, il entreprit délibérément.