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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/323

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INCIXERATION

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(Actes des Apôtres, v, g, lo. Cf. I Cor., xvi ; I Thess., iv) ; et elle l’a praliciuée à l’exclusion de tout autre rite. Le fait n’est pas contesté. Nulle part dans les catacombes romaines et dans les hypogées ou les aires funéraires des chrétientés primitives on ne trouve la coutume de l’incinération. Celle-ci est réprouvée par les apologistes, qui désignent l’inhumation comme propre à notre religion. Une telle considération s’attachait à l’office des fossores, que des textes sembleraient, à première lecture, le mettre sur le même pied que les saints ordres ; et l’on sait le culte pieux dont les lidèles entouraient la dormitioii de leurs frères décédés (cf. Hornstein, Les sépultures, ce. VI-XIl).

Ce qu’il y a de significatif, c’est le fait déjà signalé, à savoir que l’inliumalion s’implante partout avec la religion nouvelle, même dans des milieux encore païens, mais déjà atteints par les influences chrétiennes. L’on ne s’expliquerait pas l’unité de cette discipline dans des nations si diverses et l’attachement des pasteurs et des fidèles à un rite opposé, en bien des endroits, aux vieilles coutumes populaires, s’il n’y avait là une loi formelle reçue de l’Eglise naissante. Comment, si l’inhumation n’avait été qu’un usage libre, emprunté par les premiers chrétiens au milieu juif, les néophytes, dans les contrées grecques cl romaines, se seraient-ils à un tel point attachés à une singularité qui plus d’une fois attira l’attention des persécuteurs et provoqua les émeutes de la populace et la profanation des tombes chrétiennes ? (Tiin-TULLiEN, Ad Scapulani, ni. et. MgrCiioLLET, f.acrémation, p. 490-493, voir à la bibliographie.) On est donc porté à appliquer à cette pratique universelle une rOgle bien connue de saint Augustin et à y voir un de ces préceptes que les Apùtres eux-mêmes donnèrent à l’Eglise, dès son berceau. Cette règle apostolique a été respectée pendant dix-neuf siècles. Sans doute, puisque les Apôtres l’ont établie non comme organes inspirés de la Révélation mais comme simples législateurs ecclésiastiques, le Saint-Siège ou le Concile général aurait le droit absolu de la modifier. Mais, on le comprend, pour abolir une tradition si vénérable, l’autorité suprême est en droit d’attendre des raisons d’une urgence et d’une gravité exceptionnelles.

2" SymI/olisme dogmatique et moral de l’inhumation. — La mort, aux yeux du chrétien, est marquée d’un double caractère : caractère d’humilité et d’anéantissement ; caractère de grandeur et d’immortalité. On sait avec quelle éloquence Bossuet a exposé ce contraste dans l’Oraison funèbre de Henriette d’Orléans. L’inhumation sjmbolise ces deux aspects d’une manière frappante. On retrouvera les pensées d où procède notre rite funéraire dans toute la liturgie (Ililuale romanum, De exequiis ; Breiiarium, Offieium defunctorum ; Missale, Missae pro defunctis ; Pontificale, De coenieterii benedictione et De coenieterii reconciliatione).

a) Dissolution et résurrection. — La mort, dans la doctrine chrétienne, est un châtiment où sombre toute vanité terrestre et où la chair, souillée par le péché, revient à la poussière d’où elle a été tirée. Cependant elle n’est pas une destruction absolue et définitive : l’àme immortelle est inaccessible aux atteintes du trépas, et le cadavre lui-même est réservé à la résurrection future. Or, si l’incinération exprime l’idée d’anéantissement, elle l’exagère jusqu’à la fausser, en excluant celle d’un retour à la vie. D’une part, au contraire, quelle expressive image d’une catastrophe où tout s’abîme, que ce corps de l’homme caché sous terre pour devenir la proie des vers, et se confondre bientôt avec la poussière qui l’entoure, ce sépulcre solitaire et scellé, où l’homme, arraché

à tout ce qui le retenait, est retranché du nombre des vivants ; — et, d’autre part, quelle signification mystérieuse de nos espérances que ce dortoir selon l’expression si douce créée par le christianisme {r.oiti.rx’.pm, cimetière), où le lidèle sommeille, se reposant (le sa journée, clans l’attente du réveil, Eos qui dorniierunt. liequiescant a laborilius (I Thess., IV, 1 1 ; et Apocalypse, xiv, 13) ; ce champ bénit auquel l’Eglise a confié une semence mortelle qui doit germer à l’immortalité, Semmatur in corruptione, surget in incorruptione (I Cor., xv, 42).

h) Unité mystique du chrétien et du Christ. — D’après la doctrine de saint Paul, la mort est une honte, car elle est entrée par le péché ; mais elle est devenue désirable, depuis que par sa mort le nouvel Adam nous a rendu la vie. Incorporés mystérieusement à celui qui « a goûté la mort » pour nous, il convient que nous lui soyons assimilés. Nous connaîtrons les gloires de sa résurrection ; il est juste que nous partagions son tombeau. En lui ont été les prémices des dormants : ensevelis avec lui, nous nous lèverons à notre tour ; il sera « le premier-né d’entre les morts », même en cela la « primauté » lui est due (Boni., v et vi ; 1 Cor., xv ; Coloss., i ; 1 Thess., 11).

L’inhumation sjmbolise au vif cette identification morale du Christ et des fidèles. Si l’Eglise ne peut écarter de nos restes mortels la corruption, stigmate du péché, du moins c’est à une terre que l’Evèque

« a bénie, a sanctifiée, a consacrée », selon les termes

du /’on<(7 ?c((/ romaiH, que ce dépôt est confié ; tourné vers l’Orient (dans l’ancienne liturgie), le chrétien attend à l’ombre de la Croix, comme autrefois le Christ aux flancs du Calvaire, l’aurore du jour du Seigneur.

c) Respect dû à la dépouille humaine et sentiments éleyés qu’il inspire. — Le cadavre de l’homme est digne de respect non seulement pour ce qu’il sera, mais aussi pour ce qu’il a été. Les sentiments naturels les plus délicats et les plus profonds nous attachent à ces restes qui furent unis, dans l’unité d’une même personnalité, à un être vénéré ; c’est à travers ce visage que nous avons contemplé, possédé son âme ; sur ce front que nous avons déposé la dernière marque de notre amour. Cette dépouille, la religion a singulièrement grandi sa noblesse naturelle : sanctifié par le baptême et l’eucharistie, vivifié par une àme que la grâce avait élevée à la vie divine, le corps a été le temple du Saint-Esprit. Des mains pieuses lui ont rendu les derniers devoirs ; l’Eglise, avec l’eau sainte et l’encens, un suprême honneur. Il faut bien laisser la nature consommer son œuvre de destruction ; mais il ne convient pas d’y aider et de la hâter nous-mêmes.

« Le corps, il est vrai, écrit Mgr Chollet, est

bientôt livréà ladécomposition… ; mais ce travail est latent, il se fait insensiblement dans les entrailles de la terre et non sous les yeux des parents éplorés ; il se fait par l’action lente et cachée de la nature, et non par les mains d’amis ou de mercenaires indifférents à la douleur des parents autant qu’à l’horreur de ce spectacle. » (lievue des sciences ecclésiastiques, 1886, t. LIV, p. 500.)’( Se livrer soi-même ou permettre aux autres de se livrer à une opération qui a pour but de faire disparaître le plus vite et le jdus complètement possible la dépouille mortelle de ceux qui nous sont le plus chers, et cela le jour des obsèques, au milieu des larmes de toute la famille, c’est là un acte de sauvagerie. » (Mgr Freppbl, Discours prononcé à la Chambre des députés, le 30 mars 1H86.)

M. Henri Lavedan assista, au crématorium de Milan, à l’une de ces destructions rapides ; on trouvera reproduite dansles Çnei/io/is actuelles (l. LXXII,