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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/546

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liS’TELLECTUALISME

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soumise aux conditions du tcn ps el de l’espace. Les récents interprètes du thomisme ont insisté uvcc prédilection sur cet aspect de la doctrine. Ou peut voir RorssELOT, L’intellectualisme de saint Tliumas, Paris, 1908 ; Seutillanges, Saint Thunian, dans la collection des Grands Pliilosoplies, Paris, lyio. Ce dernier auteur résume très heureusement la critique thomiste du concept en fonction de lintellection idéale, dans cette formule : « Plus une chose est intelligible, moins elle est concevable. » (Op. cit., 1. 1, p. ^9.) Ainsi, c’est précisément l’Intellectualisme métaphysique le plus conséquent, le plus enthousiaste, qui fournit le plus violent et décisif antidote contre l’intellectualisme étroit et « anthropocentrique >, idolâtre de l’intellection animale, du concept. On chercherait en vain chez Scot les principes d’une pareille critique, méthodique et impitoyable. (1 Scot pense, contre S. Thomas, que la possession de Dieu s’opère formellement par la volonté. Il est, dès lors, conséquent avec lui-même en niant la parfaite coïncidence de l’ordre intelligible et de l’ordre réel : c’est le sens de sa fameuse distinction formelle ex natura rei. Parce que la notion thomiste d’intellection possédante et d’immanence intellectuelle lui manque, il tend à se représenter toute connaissance sur le modèle de notre conception abstraite et représentante : c’est ce qui explique ses théories sur l’univocilé de l’être, et sur la connaissance humaine des attributs di^ins. Si nous détinissions l’intellectualisme par la tendance à égaler tout le connaître au connaître humain, nous devrions dire que Scot est plus intellectualiste que S. Thomas. » (Rousselot, op. cit., p. XXIII, note i.) — On voit combien il est dangereux, jugeant sur les premières apparences, d’invoquer la tradition scotiste à propos de la moderne critique du concept. Une confusion semblable est possible dans la question de l’acte de foi, où Scot attribue à la volonté un rôle moins décisif que saint Thomas. Il y a là des distinctions essentielles à faire, que négligent aisément ceux qui n’ont de la Scolastique qu’une connaissance peu approfondie (voyez Le Roy, Dogme et Critique, >. laS-iai. et cf. note viii). — Au reste, encore une fois, et quelle que soit la faveur très spéciale témoignée par Rome, de nos jours surtout, au système de saint Thomas (voyez l’article Thomisme), celui de Scol jouit dans l’Eglise d’une pleine liberté.

Quelles que fussent au reste leurs idées sur la prééminence métaphysique de l’intelligence ou du vouloir, les scolastiques étaient d’accord pour pratiquer en théologie la méthode de la dialectique rationnelle. Ici, saint Thomas n’est pas plus intellectualiste que Scot. Il n’est peut-cire pas inutile de noter, à la fin de cette section, que l’Eglise a réprouvé, chez Bonnbtty, l’idée que la méthode des scolastiques conduisît au rationalisme. Pour être encore de temps en temps rééditée, cette appréciation n’en demeure pas moins condamnée par Rome [Denzinger, op. cit., n. 1602 (1508)l.

Conclusion. — (Qu’est-ce que l’Eglise pense de l’intellectualisme ? Le lecteur a vu par tout ce qui précède qu’on ne peut trancher cette question par une réponse abrupte et brève, mais qu’il faut, pour la résoudre, de multiples distinctions. La tâche est relativement facile, quand on est en présence soit d’un intellectualisme aux lignes rigides et nettes, comme celui de Taine, soit d’un anti-intellectualisme défini, et, par là même, rationnel encore dans sa méthode, et ilonc restreint, comme celui qu’on professe dans l’école de Scot. On reconnaît facilement le principe anti-dogmatique, identique à lui-même dans sa fai blesse, soit qu’il raille avec Voltaire les dogmes au prétendu bénélice de la morale, soit qu’il proclame avec M. Ménégoz que n la foi sauve indépendamment des croyances » : chez ces deux écrivains que tout le reste sépare, c’est la même impuissance à croire à la force de la vérité. Mais il est un anti-intellectualisme vague et diffus, d’ordre plutôt littéraire, et qui fut fort à la mode aux beaux jours du modernisme, et auparavant.

« Lesformules sont un grand mal, disait-on, 

îàme, l’àme inexprimée qu’on y met… est tout ce qui importe… il serait immoral que la foi pût être formulée… savoir avant de faire est notre tentation mauvaise ; ne nous occupons que d’être hommes de bonne volonté… » « Ne lui demandez pas de système, disait un théologien protestant à propos d’un autre protestant ; il est trop riche pour être conséquent. La vie ne se formule pas ; elle n’en a ni le loisir ni le besoin. » On pourrait sans peine multiplier les citations de ce genre ; de déclarations pareilles, nous avons été rassasiés jusqu’à l’écœurement. Or, à ces contre-vérités détestables, on mêlait des vérités diminuées, — « la primordiale affaire n’est pas de spéculer sur l’univers, mais de se conduire », etc., — et des truismes exprimés poétiquement, comme le mot de Goethe : n Mon cher ami, toute tliéorie est grise, mais l’arbre d’or de la vie est verdoyant », sans oublier l’inévitable distique où Hamlet avertit Horatio qu’il y a, sm’terre comme au ciel, plus de choses que sa philosophie n’en peut expliquer. Ce mélange constituait l’anti-intellectualisme à l’état de mentalité diffuse. Ce qui cherchait de la sorte à s’exprimer, c’était d’ordinaire moins une pensée qu’un vague état d’irritation sentimentale, tantôt contre l’excessive présomption de la raison raisonnante, tantôt contre l’intransigeance légitime de la vérité, tantôt contre l’une et l’autre, qu’on arrivait à confondre dans une seule et même répulsion. De cet état d’àme indistinct el trouble, on ne peut rien dire d’absolu. U peut marquer la lin d’un rationalisme étroit et superbe ; il marque plus souvent, peut-être, une maladie de l’intelligence, incapable de conquérir et de garder en paix son bien propre, la vérité. Le devoir du médecin des àiues est de les soigner selon leurs inQrmités diverses. Le devoir du philosophe et du théologien catholique est de distinguer avec soin les diverses formes intellectuelles de l’anti-intelleclualisme, ut sciât reprobare malum el eli^erebonum ; il lui faut d’abord maintenir hors de toute alleinte les droits absolus de la divine vérité, ensuite intégrer dans la spéculation catholique tout ce qui parait bien fondé dans la moderne critique du concept. Celui qui s’applique sérieusement à cette double tâche, se trouve tout ravi de l’admirable balance de la pensée catholique, si sensible à toutes les erreurs, si juste envers toutes les vérités ; ce spectacle confirme merveilleusement dans la foi. Omnia consonant vero !

n Qu’il y a une vérité, donc, et qu’il n’y a qu’une vérité ; i|ue l’erreur religieuse est en soi de nature immorale ; qu’elle est à craindre ; … que l’esprit est soumis à la vérité et non point son maître ; qu’il est tenu, non d’exécuter des variations à son sujet, mais de la vénérer ; que la vérité et l’erreur sont placées devant nous pour éprouver nos cœurs ; … qu’x avant toute chose il est nécessaire de tenir la foi catholique » ; que n celui qui veut être sauvé doit penser ainsi », et non autrement ; … voilà le principe dogmatique, qui est fort et qui vaut. — Que la vérité et l’erreur religieuses ne sont que matière d’opinion ; qu’une doctrine est aussi bonne qu’une autre ; que le Maître du monde ne veut point que nous parvenions à la vérité ; qu’il n’y a pas de vérité ; que nous ne plaisons pas à Dieu davantage en croyant ceci qu’en croyant cela ; que personne n’est responsable de ses