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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/547

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INTÉRÊT (PRET A)

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opinions ; … qu’il suffit de tenir sincèrement ce qu’on professe ; que notre mérite consiste à clierctier, et non pas à posséder ; … voilà le principe des philosophieset deshérésies, principe d’essentiellefaiblesse. » Ces paroles de Newman (fessai sur le développement, cliap. viii, sect. i) expriment admiraMenient le premier principe de ce qu’on a le droit d’appeler l’intellectualisme catliolique, principe de force, d’harmonie, de paix, et, quoi qu’en dise une critique superlicielle, principe de ie. La bienheureuse Angèle DE FoLiGNO dit la même chose plus brièvement :

« Celui qui connaît dans la i’érité, celui-là aime dans

te feu. ti (Visions, trad. Hello, II" p., ch. LVii.)

Pierre Rousselot.


INTÉRÊT (PRÊT A). — Le prêt à intérêt peut se délinir : un contrat oii l’emprunteur ajoute à son obligation principale de remboursement l’obliyalion accessoire de payer périodiquement un certain pour cent de la valeur mise à sa disposition.

Cette stipulation a lieu dans le prêt d’argent ou de choses fongihles, dont les notes génériques ou spécitiques importent plus que les caractères individuels. Le débiteur y acquiert tout droit sur les objets reçus, à charge d’en rendre la même quantité et qualité. C’est le prêt de consommation, qui diffère du prêt à uiage ; celui-ci ne porte que sur l’emploi, et oblige à restituer les objets mêmes qui furent prêtés. Le prix, souvent demandé pour cet usage, s’appelle loyer.

Même dans nos lois modernes, le prêt de consommation est encore en principe gratuit. En règle générale, les intérêts ne courent pas de plein droit. Mais, à la différence des lois antérieures à la Révolution, pour la France, à la Réforme protestante, pour d’autres paj’s, la législation actuelle autorise les stipulations d’intérêts, et ne condamne que certaines pratiques usuraires. Voy., pour le Code français, les art. 1892-1908.

A première vue, l’attitude de l’Eglise catholique, en cette matière, se divise en trois phases successives dont la dernière s’harmonise mal avec les deux précédentes. Dans une première phase, que l’on pourrait appeler oratoire, les Pères, les grands Docteurs de l’Eglise et les Conciles déclarent au prêt. intérêt une guerre à outrance. Une seconde période, didactique, érige en théorie classique la condamnation du prêt à intérêt, pris en lui-même, indépendamment de conditions particulières où peuvent se trouver soit le prêteur, soit l’emprunteur. Petit à petit, cette théorie cède au choc des hommes et des événements, et l’édifice juridique, si péniblement élevé, et que Benoit XIV croyait avoir conduit au faite, s’écroule pour faire place à une nouvelle construction dans le style et les goûls modernes. L’Eglise autorise le prêt à intérêt ; elle le pratique elle-même et s’inquiète assez peu du taux qui est exigé. L’on devine les objections qui naissent de l’histoire ainsi comprise :

En cette matière morale, l’Eglise s’est solennellement rétractée. Elle a donc erré ; elle n’est pas inr, iii ;  ! i’.c.

Par son aveugle intransigeance, l’Eglise a entravé l’essor du commerce et de l’industrie ; elle s’est montrée l’ennemie du progrès ; elle a manqué à sa mission bienfaisante.

En cédant au courant moderne, l’Eglise a trahi la cause des faibles et des petits. L’esprit de son divin Fond.iteur a cessé de l’animer.

La i)remière objection est au service de tout genre d’incrédulité.

Les économistes libéraux, surtout ceux de l’école classique, formulent la seconde objection.

El la troisième est produite par une certaine démocratie contemporaine, surtout par la démocratie socialiste.

Mais ces objections résultent d’une vue superficielle. Examinons les faits plus sérieusement.

L Bxposé des faits. — Puisque l’Eglise est, avant tout, gardienne d’une révélation qui lui arrive par le double canal de l’Ecriture sainte et de la Tradition, commençons par interroger les Ecritures.

Assurément, une impression nettement défavorable au profit tiré des avances d’argent ou de denrées se dégage de l’Ancien Testament. « Jéhovah, demande le Psalmiste, qui trouvera son repos siir ta montagne sainte ? » El il répond : « Celui qui ne prête pas son argent à usure, n (Ps., xiv, i, 5.) Ezéchiel, d’autre part, parlant au nom du Seigneur Dieu, reproche à la maison d’Israël d’avoir pratiqué le prêt à intérêt (£’ :., xxii, la). Néanmoins, l’exégèse contemporaine ne reconnaît dans aucun texte une condamnation générale du prêt à intérêt, portée au nom de la justice. Les ravages de l’usure, les fils et les filles réduits en esclavage, les familles dépouillées de leur patrimoine (II Reg., iv, i ; l Esdr., v), ont excité l’indignation des prophètes (.Jmo. « , viii, 4). le prêt gratuit a pu être recommandé et enjoint comme une forme d’assistance que l’on se doit de frère à frère (Lévit., xxv, 35-3^), car la Loi ne saurait permettre que l’on accable et ruine le pauvre ; mais vous chercheriez en vain une expression taxant d’injuste toute stipulation d’intérêts. Bien plus, un passage de l’Ancien Testament a beaucoup embarrassé les auteurs de l’époque rigide. C’estlechap.xxni, 19, 20, du Deutéronome, que M. l’abbé Crampon traduit de la façon suivante : « Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent ni pour vivres ni pour aucune chose qui se prête à intérêt. Tu peux exiger un intérêt de l’étranger, mais tu n’en tireras point de ton frère. » Cette concession a paru si invraisemblable à plusieurs théologiens, que le tribunal de la Rote, dans une cause très intéressante d’anatocisme, mentionne avec honneur l’opinion qui croit le texte interpolé (P. V., t. I, dec. 301, n. 45). D’autres se sont rejetés sur une dispense divine analogue à celle qui tolérait le divorce. Le caractère forcé de ces interprétations saute aux yeux. Disons plutôt, avec le rabbin Hermann Adler (Nineteenlh Century, 1878, p. 640), que la loi juive, sans se prononcer sur la question (le droit naturel, limitait aux rapports des Juifs entre eux la défense absolue de prêter à intérêt.

Les passages principaux de l’Ancien Testament, concernant l’usure, sont ^.rorf., xxii, 25 ; /.évit., xxv, 35-3^ ; Dentér., xv, 7-10 ; Il Reg., iv, i ; l Esdras, V, 5 et 7 ; Ps., XIV, 1-5 ; Ps., cviii, 11 ; Ezéchiel, xviii, 8, iS-i’j.

Les prédicateurs ont fréquemment exploité le Nouveau Testament contre le prêt à intérêt. P^orce nous est pourtant d’avouer qu’il est muet sur la question. Le fameux passage de.S. I.uc, vi, 34, 35 se traduit comme suit : n Si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel mérite aurez-vous ? Les pécheurs, eux aussi, prêtent aux pécheurs, dans l’espoir d’en obtenir l’équivalent. Pour vous, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. » Notre-Seigneur recommande donc la pratique désintéressée d’une charité étendue même aux ennemis : telle est la portée de son enseignement. Les saints Pères, il est vrai, s’appuient sur l’Ecriture sainte pour flageller les prêteurs à intérêt. Faut-il, de ce chef, leur reprocher un emploi abusif