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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/548

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INTÉRÊT (PRÊT A)

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des textes sacrés ? Nullement, à la condition de ne pas outrer le but et l’objet de leurs anatbènies.

Durant les trois premiers siècles de l’ère chrétienne la littérature patristique n’accorde au prêt à intérêt que de rares allusions, dont aucune n’est concluante. Apollonius n’a pas tort de trouver que le prêt à intérêt, comme jeu de dés, convient peu à qui se prétend prophète. D’après Clément D’ALiïs.iNDBiK, la loi juive, par ses prohibitions, recommande une eicellente pratique de charité fraternelle. Tebtul-LIBN voit dans la défense ancienne d’exiger plus que le capital, un acheminement vers l’Evangile, qui nous oblige à sacrilier ie capital lui-même. Saint GYPniEN s’attaque à certains évoques, dont les pratiques usuraires accablaient les pauvres. Et dans son livre des Témoignages, sous la rubrique « Il ne faut point prêter à intérêt », il n’apporte que trois passages de l’Ancien Testament. Dans le second, tiré d’Ezéchiel, il est clairement question d’une usure oppressive et ruineuse.

A consulter, pour cette époque, Apollonius, chez

EUSÈBE, //. E., V, XVIII, P. G., XX, 478, 479 ; CLÉMIiNT

d’Alexandrie, Strom., II, xviii, /’.G., VUI, 1023-1026 ; Tertullien, C Marciun., W, - ! lu, P.L., li, 898, 3yy ; saint Cyprien, De lapsis, vi, P. /,., IV, 470, 471 ; lU, Testimon., xlvui, P.L., IV, 769.

Voilà pour les trois premiers siècles. Au iv’, des tribulations moins glorieuses et plus affligeantes résultent pour l’Eglise du relâchement de la ferveur primitive et lui gâtent les joies de la paix. Tels sont les abus des richesses, que les Pères écrivent des pages où l’on a pu voir du communisme. Comment ne s’élèveraient-ils point avec vigueur contre les pratiques usuraires de leur époque, dont Ausone disait :

« Velox inopes usura trucidât. » L’usure a tôt fait

d’achever les indigents.

Mais dans les accents émus et véhéments qui, dans l’Eglise grecque comme dans l’Eglise latine, retentissent pour condamner d’immenses excès, trouvons-nous que tout prêt à intérêt est formellement convaincu d’injustice ? Nullement, si nous ne voulons pas nous lier en aveugle à quelques passages isolés de leur contexte.

Prenons les Pères comme interprètes de l’Ecriture sainte. Seul, leur accord est péremptoire. Or, cet accord fait complètement défaut. Si plusieurs découvrent dans l’Ecriture une prohibition absolue, d’autres donnent aux mêmes passages un sens plus restreint. Ainsi saint Jean Ghrysostomk et Clkment « ’.Alexandrie n’attribuent à l’Ancien Testament qu’une sévérité circonscrite aux Juifs. Encore faut-il tenir compte des raisons par lesquelles d’autres expliquent la prohibition qu’ils estiment absolue. « Quoi de plus inhumain, s’écrie saint Basile, que de se tailler des rentes dans les calamités du pauvre et d’amasser de l’argent chez celui que le besoin contraint à solliciter un prêt ? » (Sur une partie du Ps. xiv et contre les usuriers. P.O., XXIX, 268 ss.) La justice n’intervient pour aucune part dans de semblables considérations.

L’appel direct à leur autorité comme organes de la Tradition, conduit aux mêmes résultats. A part un tout petit nombre, ils ne prononcent pas le mot d’injustice. Ils ne discutent pas la question d’un prêt à taux modéré, hypothèse plutôt ignorée de la plupart d’entre eux. Leurs saintes invectives confondent des usuriers qui opprimaient le pauvre sous couleur de le servir.

Ecoutez cette description pittoresque que saint Grégoire ue Nyssedous fait du prêteur de son époque, a La plume lui sert de charrue ; le papier lui tient lieu de champ ; l’encre est sa semence ; le temps qui s’écoule est pour lui comme une pluie bienfai sante. Il fauclie lorsqu’il réclame le remboursement ^ et il a pour grange la maison où il passe au cribleles deniers des malheureux, n (Discours contre les- U usuriers, P. G., XLVl, 438.) |

Les Pères latins ne tiennent pas un autre langage. (t Réclamer des intérêts, dit Lactance, c’est chercher son avantage dans les luaux d’autrui. » (Epitome (lii’inarum iitstitutioiiuni, Lxiv, /*./.., VI, 1076.) S. A-UBROisE rappelle le mot de Gicéron : Prêter de l’argent à inlérêl, c’est tuer. Lui aussi s’émeut des ell’ets de l’usure, a Elle guette les héritiers et les jeunes gens ; les pousse aux folles dépenses ; abuse des passions humaines ; conduit les riches à la misère et va jusqu’à exploiter le pauvre. Et tout cela se fait avec un argent dont le prêteur n’avait que faire eu attendant. » (Voy. De Tohia, P. L., XIV, 70g ss.)

Avec S. Grégoire lk Grand, qui n’a rien de précis à notre propos, l’ère des Pères semble close. En tout cas, la littérature ecclésiastique postérieure olTre peu d’intérêt pour nous. Plutôt qu’à nous livrer une pensée originale et neuve, elle vise à reproduire et à vulgariser les doctrines des grands docteurs des siècles antérieurs.

Bref, les Pères n’ont pas connu un contrat de prêt avantageux aux deux parties, fournissant aux exploitations agricoles ou industrielles le crédit nécessaire au développement des affaires, parfois même à leur vitalité. Moins au nom de la justice qu’au nom de l’humanité, ils condamnent une usure accablante et vexatoire. Aucun accord des Pères n’oblige l’exégète catholique à s’écarter du sens naturel des textes sacrés. Bien plus, si quelques-uns rencontrent des litres que nous appellerions extrinsèques, notamment le danger que court le prêteur de perdre son capital, c’est pour rejeter ce genre d’excuse. Mais ce faisant, ils n’auraient avec eux aucun moraliste moderne, s’ils entendaient se placer surle terrain de la justice, non sur celui de la charité.

Voyez les passages à consulter :  !. Pères orecs. — .S. Basile, Sur une partie du Ps. xiv et contre les n.suriers, P. G., XXIX, 268 ss. ; S. Grégoire de Nysse, Contre les usuriers, P.G., XLl, 434 ss. ; S. Jbax CHRVS08T0.ME, Sur la Genèse, Hom., xli, P.G., LUI, 376-377 ; Sur saint ilatl., Hom., v, 5, P.G., LVII, 6162 ; Dont., Lvi, 5-C, P. G., LVII, 556-558 ; Procopius Gazakus, Comment, sur le Lévilique, xxv, 35, P. G., LXXXVII, 787 ; S. Jean Damascène, Sacra parallela,. t. Ï, P.G., XCV, 1363-1366.

II. Pères latins. — Lactance, Institution., VI,

XVIII, P.L., VI, 698-699 ; Epitonie divin, instit., LXiv,. P.L., 1076 ; S. HiLAiRE, Sur le Ps. xiv, 15, P.f.., IX, 307 ; S..^JUBROISE, De Tobia, P. /., XIV, 769 ss. ; Ep.,

XIX, Ad Vigilium, 4-5, P.L., XVI, 983-984 ; S. Jérôme, Sur Ezéchiel, xviii, 5 ss., P./.., XXV, 176-177 ; Sur Amos, viii, 4 ss., P.L., XXY, 1080 ; S. Augustin. Ep. cLiii, Ad Macedoniiim, 15, P.I., XXXIII, 66’)-665 ; Sur le Ps. XXX VI, 6, P.l.., XXXVI, 386 ; S. Léon le Grand, Serm., xviii, alias xvi, P.L., LIV, 181 ; Ep., IV, Ad episcopos per Campanim, etc., constitatos, P.L, ,. LIV, 613 ; S. Maxime de Turin, Homélie contre l’avarice, P.l,., LVII, 476477 ; S. Sidoine Apollinaire, Ep., XXIV, Ad Turnum, P.L., LVIII, 528-531 ; S. Grégoire de Tours, //is(or/a /rflncorwm, III, xxxiv, P.L., LXXI, 266-267 ; l^ABAN Maur, Sur l’Ecclésiastique, VI, x, P.L., C.l, 978, 974 ; Sur le Lévitique, vii, P L., GVIII, 543.

Il est temps d’interroger les Conciles, dont les décrets d’ailleurs nous mènent à ce que nous avons appelé la seconde phase ecclésiastique du prêt à intérêt.

Si déjà au iv° siècle le concile africain de 345, puis, au VIII* siècle, celui d’Aix-la-Chapelle (789) désapprouvent les laïques qui se font payer des