Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/565

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

111- ;

IRAN (RELIGION DE L’)

1118

une branche, qui peuUêtre servira pour le feu, y ^ laisse tomber un lambeau de ebair morte.

Chez tous les peuples, les iJées purement religieuses sont plus anciennes que les réllexions morales. Puisque la reforme zoroaslrienne a pour but la prédominance des idées morales, communique une forte impulsion à la lutte pour le bien, transforme une religion naturelle en religion liistoricpie, ne sera-t-il pas raisonnable de considérer comme plus anciens les éléments naturalistes qui tigurent dans l’Avesta ? Si l’Avesta les a laissés percer dans l’ancienne légende, c’est précisément qu’il avait conscience d’être une réforme. Mahomet et ses premiers disciples aimaient à mettre eu contraste avec l’Islam le temps de l’ignorance ; Zoroastre n’alTecte nulle part une pareille révolution, mais il ne prétend pas non plus transporter dans le passé toutes les idées nouvelles. Le livre des Jubilés entend qu’Abraham ait pratiqué le ]>lus possible la loi de Moïse. L’Avesta ne se scandalise pas que les anciens héros aient offert des sacrifices sanglants. Aussi bien, ces anciens traits sont conservés dans des hymnes mythologiques ! Dans le ianhl à Urvàspa, les ancêtres légendaires offrent cent chevaux, mille bœufs, dix mille moutons. Quant vient le tour de Zarathuslra, il t offrait le Haoma, avec le lait, avec le Baresman (petit faisceau de tiges sacrées), la sagesse de la langue, le texte divin, la parole et les actes, les libations et les Paroles droites " (Vasut, IX, 20). Darmesteler a remarqué finement une autre nuance délicate. Les hommes n’avaient pas besoin de Zoroastre pour sacrifier à Ashi, la Fortune (Dar-MBSTETER, II, p. 501), mais c’est après lui seulement qu’on célèbre Cisti, la bonne religion.

Muni de ces indications générales sur la méthode, nous A oudrions en venir à des points particuliers. Notre but n’est pas d’embrasser tout le champ de la religion ; nous nous restreindrons aux points qui ont été signalés comme offrant une ressemblance avec le Judaïsme ; tout dépend des idées sur la divinité, les esprits célestes et l’eschatologie.

Les Achémènides n’étaient point monothéistes. Darius, il est vrai, ne nomme que Ahuramazda :

«.uramazda est un dieu puissant ; c’est lui qui a

créé cette terre ; lui qui a créé le ciel ; lui qui a créé l’homme, lui (]ui a l’ait Darius roi > ; mais ces attributs ne dépassent pas en somme ceux de Mardouk. On invoque Ahuramazda comme « le plus grand des (lieux 11, mais « avec tous les dieux » (Dahm., III, p. XXV). Artaxerxès Mnéraon invoque nommément Mithra et Anahata. Il est incontestable que les rois perses ne se soucient pas des énuniérations prolixes des monarques assyriens ou babyloniens ; on en conclura seulement qu’ils tiennent à rehausser leur dieu, qui était donc un dieu national. C’est de la même façon que Darius se dit avec insistance « Perse, fils de Perse ». Il va d’ailleurs de soi que Ahuramazda, dieu suprême, était un dieu bon.

Existait-il dès cette époque, en face de lui, un dieu mauvais ? Darmesleter le concède, et cela semble résulter des témoignages d’Aristote (dans Dioc. Labrt., prooemium, 8 : Apnr-.Tiir : S’h rsvToj T.ipi pt/575 ; (y.4 y.vÀ T. piT’^-jz ip^yj^ âtvat (les Mages) T^v At""/vTrr(’wv x%ï oiio zar* avrov ; uvxi àpyv.z^ ir/’yh’z-j ôat’uîva >ra( y.vy.b-j oxifiow y.yÀ 7’Z fiky cvsua etvat ZrJ ; xy.t "ûcsuajô » ;  ; , r^i oi’.Sr, f xr.i’ApicuKvcî ;), et de Tliéopompe (dans Plut.. De h. et Os., 47 ; nous reviendrons sur ce texte) qui ont connu le nom d’Ahriman. ou Hadès, dérivé d’.rigra Mainyu, l’esprit destructeur ou le dieu mauvais. Pour Geidner et Lehmann, c’en est assez pour prouver l’antériorité de l’Avesta, de la réforme mazdéenne et de cet homme de génie que fut Zoroastre. Oui, s’il s’agissait de deux principes, car l’idée

devient philosophique ; mais si c’est le ternie d’Aristote, un philosophe, ce n’est pointcelui deThéopompe, qui parle de deux dieux. Encore à supposer que Diogène Lacrce ait exactement reproduit les termes, et on sait s’il est suspect ! Il me paraît inqjossible de concilier son texte avec le texte authentique d’Aristote où il range les Mages parmi ceux qui admettent un premier principe bon génér.iteur : ri /i^^c^yv T.pilz-.j Ki.TT » T.Siaî. (Melaph., Xlll, iv, ! , , éd. Uidot).

Oui, peut-être, si le nom d’Ahriman était déjà connu, car son prototype Aâgra Mainyu signifie le mauvais esprit, idée zoroastrienne ; mais se liera-t-on au seul témoignage deDiogène Lacrce. et le mauvais esprit doit-il s’entendre nécessairement dans le sens pui-ement spirituel ? Les sauvages admettent les esprits et même le grand esprit. D’autre part, nous voyons surgir dans l’Inde une figure qui n’appartient pas au Véda, c est le tentateur Màra, le Satan bouddhique. Si son identité avec le Mairya de l’Avesta, épithète d’Ahriman tentant Zoroastre, a été prudemment écartée par Darmesteter, Sénart et Oldenberg, il est dillicile de ne pas reconnaître aux deux personnages des traits communs. Ahriman, comme Màra, peut être étranger au vieux fond naturaliste, sans être pour cela zoroaslrien.

Oui, surtout si l’opposition entre les deux êtres est une lutte morale, la lutte du bien contre le mal, mais c’est ce qu’on ne nous dit pas.

Oui, certainement, « si le triomphe final du bon esjtrit est un postulat moral de la conscience religieuse », car on verra là avec Geidner « la quintessence de la révélation de Zoroastre ».

Mais l’opposition d’Ormazd et d’Ahriman ne saurait-elle être conçue autrement ? Tiamat est l’ennemie de Mardouk à l’origine du monde, et on ne prétendra pas sans doute que ce thème si commun ne puisse se rencontrer sans une conception morale du monde. En fait, le plus ancien renseignement que nous ayons sur cette lutte nous montre les Mages s’acharnant à tuer « les fourmis, les serpents et les autres reptiles et volatiles u (Hï : n., 1, i^o). Nous concédons volontiers qu’ils s’en font un devoir de conscience zKi (>711jvtTu « T^vTi yi/y -’.tvjvry.i, mais autre chose est d’introduire le ressort moral dans une action religieuse, autre chose est de prendre pour point de départ l’idée morale elle-même. Le Mage fait son devoir en exterminant des créatures qu’il juge ahrimaniennes à cause de leur nuisance physique ou de leur laideur ou pour un motif superstitieux quelconque. Il contribue physiquement au triomphe de son dieu et cela est une bonne action. Le disciple de Zoroastre fait triompher Ormazd par de bonnes pensées, de bonnes paroles, de bonnes actions et. conformément à la tradition, une de ces bonnes actions est de tuer les petites bètes. L’Avesta porte encore des traces de la conception ancienne. Un des plus grands héros de la lumière, c’est Sirius ; mais il est vaincu honteusement tant qu’on ne lui a pas offert le sacrifice qu’il demande. Les hommes ont le pouvoir d’assurer la victoire des dieux bons par le sacrifice. Or cette idée est en elle-même purement religieuse. Il semble donc bien que l’opposition entre Ormazd et Ahriman ait été d’abord une opposition religieuse entre deux dieux, et rien n’empêche de constater son existence dans une religion naturiste ; elle est devenue ensuite une opposition morale entre deux principes, et c’est le résultat de la réforme zoroastrienne. Xous avons d’ailleurs une preuve positive qu’au temps des Perses l’esprit du mal était simplement un dieu. Plutarque {De siiperxlitione, 13) nous apprend qu’Amestris, femme de Xerxès, ensevelit vivant douze hommes en l’honneur d’Adès. C’est ce qu’un mazdéen eût eu horreur de faire envers Ahriman.